La scène culturelle a accueilli avec beaucoup d’espoir l’arrivée de Sam Tanson à la tête du ministère de la Culture. Depuis, un vent nouveau souffle sur l’Hôtel des Terres Rouges. La méthode de la ministre, basée sur le pragmatisme et un souci d’efficacité, est en train de faire bouger les lignes. Au prix de certaines concessions. Analyse.

«On lui fait confiance. Elle est intéressée, cultivée, structurée et elle nous implique à différents niveaux». La présidente de l’association des artistes plasticiens du Luxembourg, Trixi Weis, ne tarit pas d’éloge lorsqu’on l’interroge sur le bilan de la première année de Sam Tanson au ministère de la Culture. «Elle en a fait plus en quelques mois que ses prédécesseurs en plusieurs années», observe de son côté la présidente de l’association des professionnels du spectacle vivant, Peggy Wurth. «Et n’allez pas chercher la petite bête. Pour une fois qu’on a une ministre qui veut faire avancer les choses!», peut-on encore entendre. Même la vice-présidente de la Commission de la Culture à la Chambre des députés et ancienne ministre de la Culture, Octavie Modert (CSV), pourtant dans l’opposition, dit qu’«il s’est fait plus en un an qu’au cours des cinq années précédentes».

De mémoire de journaliste culturelle, c’est une petite révolution. Seule voix discordante: celle du collectif Richtung 22 qui dénonce le soutien de Sam Tanson au projet de participation culturelle à l’exposition universelle de Dubaï, pays qui ne respecte ni les droits de l’homme, ni la liberté artistique.

L’état de grâce dont bénéficie la ministre de la Culture et de la Justice se reflète au-delà de la seule scène culturelle, si l’on en croit le dernier Politmonitor réalisé pour le Luxemburger Wort et RTL Lëtzebuerg en octobre 2019. Classée en septième position parmi les personnalités politiques du pays jugées les plus compétentes et sympathiques, Sam Tanson est aussi celle qui a le plus grimpé dans le tableau depuis mai 2018.

Une missionnaire de la Culture

Engagée de longue date au sein du parti déi Gréng et ancienne échevine de la ville de Luxembourg, Sam Tanson n’est pas une novice en politique lorsqu’elle entre au gouvernement en décembre 2018. Mais à 41 ans, c’est la première fois qu’elle accède à un poste ministériel. Le plus remarquable aura été sa détermination à obtenir le portefeuille de la Culture, un ministère généralement attribué en fin de mercato gouvernemental pour ajuster la balance politique. Il faut remonter à Erna Hennicot-Schopges (CSV), qui a occupé ce poste de 1995 à 2004, pour retrouver un tel engagement. Cette mission qui l’anime s’est confirmée en octobre 2019. Un remaniement ministériel l’a maintenue à la Culture tandis qu’elle a cédé le Logement pour la Justice.

Depuis 2007, date de la dernière Capitale européenne de la Culture, il n’y avait plus de réelle feuille de route à l’Hôtel des Terres Rouges. Les «Pactes Culture(s) » signés par les partis avant les élections étaient vite remisés au fond des tiroirs. La ministre est arrivée à son poste avec en main deux cartes que n’avaient pas ses prédécesseurs: un capital-sympathie du côté de la scène culturelle, mais aussi le fameux Plan de développement culturel, ou «Kep» (pour Kulturentwicklungsplan) bouclé in extremis à la toute fin de la première législature Bettel, en septembre 2018.

Ce plan a été rédigé sous la houlette du président du Fonds culturel national, Jo Kox, après consultation de l’ensemble des acteurs de la scène culturelle. L’une des  premières décisions de Sam Tanson est de nommer celui-ci Premier conseiller de son ministère. S’il reste à définir les priorités et à chiffrer le coût du Kep – ce que réclament les représentants du CSV à la Commission de la Culture de la Chambre des députés –  ce plan a le mérite d’offrir un cadre avec des objectifs.

Realpolitik

L’année qui vient de s’écouler aura permis de prendre la mesure de la «méthode Tanson». Son pragmatisme se manifeste avant même son arrivée à l’Hôtel des Terres Rouges. Alors que le programme culturel de son parti réclamait le rattachement du secteur du cinéma au ministère de la Culture, elle s’incline devant le chef du gouvernement qui le garde dans son portefeuille des Médias. De même, l’enseignement musical passe sous la houlette du ministère de l’Éducation.

Sam Tanson démarre donc son mandat à la Culture avec un périmètre d’action réduit. Un an plus tard, elle dit s’en accommoder et même que cela fait sens. À court terme, ce pragmatisme est une forme d’opportunisme. Lâcher du lest d’un côté lui permet de se concentrer sur ses priorités. Reste à prouver, à plus long terme, que la Culture est en mesure d’imprimer sa marque sur certains projets qui ne sont pas directement de son ressort et qui sont pourtant essentiels, comme le rôle de la culture à l’école. L’accord de coalition pour 2018-2023 indique clairement que «la culture doit avoir une place plus importante et transversale au sein du système éducatif».

(Photo: Martine Pinnel)

D’une manière générale, son étiquette déi Gréng n’exclut pas un encouragement aux initiatives privées. Ainsi, elle donne un coup de pouce financier aux asbl Lët’z Arles (qui supervise la présence luxembourgeoise au festival international de photos) ou De Main de Maîtres Luxembourg (initiée par la Princesse Stéphanie pour organiser des expositions autour de l’artisanat d’art). Elle soutient le marché de l’art en participant à la Luxembourg Art Week, et le Nation Branding en engageant des artistes au pavillon de l’exposition universelle de Dubaï.

Entreprise de déminage

Le début du mandat de la nouvelle ministre a été marqué par le déminage d’un certain nombre de sujets sensibles et urgents.  À commencer par l’asphyxie d’une scène culturelle entraînée dans la spirale infernale de la surproduction à bas coûts pour pouvoir survivre.

Maggy Nagel avait annulé en 2013 toutes les conventions du ministère avec les associations culturelles pour resserrer les budgets. Xavier Bettel avait inversé la tendance en 2018. Sam Tanson rouvre plus largement encore le robinet des finances. C’est une bouffée d’oxygène  applaudie par les professionnels.

L’enveloppe financière des conventions aux associations atteindra en 2020 le montant de  10,8 millions d’euros sur un budget du ministère de la Culture (hors investissement) de 137,9 millions d’euros. C’est peu, mais conçu pour avoir un effet structurel. Les principaux bénéficiaires en sont le secteur du Théâtre (une progression des subventions de 29% en deux ans pour atteindre 3,8 millions d’euros en 2020),  les Centres culturels régionaux (+23,5% à 3,5 millions d’euros), le secteur de la danse (+ 81% à 0,76 millions d’euros) et les Fédérations professionnelles (+62% à 0,58 millions d’euros). Parallèlement, le volume des subsides ponctuels pour la réalisation d’activités culturelles est réduit (-21%).

Pas moins de 21 nouvelles conventions renouvelables ou ajouts à des conventions ont été signés en 2019. Les associations professionnelles d’acteurs, artistes plasticiens, intermittents du spectacle ou encore musiciens peuvent désormais recruter des administrateurs. De nouveaux projets culturels sont soutenus à plus long terme (le festival Monodrama, les compagnies Kaleidoscop, Openscreen, Compagnie Ghislain Roussel, Kopla Bunz). Enfin la danse, parent pauvre de la scène culturelle, obtient de nouvelles aides à la structuration pour les compagnies en phase de développement.

Dans l’immédiat, cette injection de liquidités ne résout pas la question de la surproduction, en particulier dans le secteur des arts de la scène. Rien ne garantit que l’argent servira à mieux rémunérer les artistes et à réduire leur rythme de production. Du côté de l’Aspro, on travaille sur une Charte qui encadre les relations contractuelles entre producteurs et intermittents du spectacle. Sam Tanson de son côté souhaite finaliser en 2020 l’élaboration d’un code de déontologie.

Une force fédératrice

La nouvelle ministre a aussi fait la démonstration au cours de l’année de sa force fédératrice. On l’a observé dans un autre dossier sensible: la future capitale européenne de la Culture Esch 2022. Alors que l’ambiance est délétère et le projet quasiment au point mort fin 2018, Sam Tanson apporte son soutien à la nouvelle direction autour de Nancy Braun. Elle met aussi tout son poids dans la balance pour trouver une alternative au Hall des Soufflantes à Esch-Belval, qui ne peut être utilisé comme épicentre de la future manifestation. En juin 2019 est annoncé l’aménagement d’infrastructures sur la terrasse des haut-fourneaux à Belval.

Son activisme se manifeste par ailleurs du côté du Mudam. Début 2019, les démissions se succèdent, pointant du doigt le management de Suzanne Cotter, la directrice qui a succédé à Enrico Lunghi. Là encore, Sam Tanson choisit de soutenir la nouvelle responsable, après l’avoir quand même convoquée dans son bureau. La question du statut du Mudam – une Fondation privée quasi exclusivement financée par l’État (mesure 5 du Kep) – n’est pour l’heure toujours pas mise à l’ordre du jour. La ministre fait néanmoins entrer au Conseil d’administration son Premier conseiller Jo Kox ainsi que l’ancienne directrice de opderschmelz, Danielle Igniti, passionaria du service public. À eux de veiller au grain.

(Photo: Martine Pinnel)

Parmi les autres dossiers qui se débloquent sous l’impulsion de Sam Tanson, on peut aussi citer le tour de force que représente le dépôt du projet de loi sur le Patrimoine. Cela faisait 19 ans que les différents gouvernements s’y étaient essayés sans succès. Elle trouve avec la nouvelle ministre de l’Intérieur Taina Bofferding un compromis compatible avec le sacro-saint principe de l’autonomie communale et met le turbo pour déposer le projet à la Chambre des députés avant l’été 2019.

D’une manière générale, on peut dire que Sam Tanson aura consulté tous azimuts au cours de sa première année de mandat, dans la lignée du processus participatif de la rédaction du Kep. Dans les coulisses se finalise notamment l’avant-projet de loi du futur Luxembourg Art Council, chargé de centraliser les aides et le support à l’exportation des artistes luxembourgeois. Un budget de préfiguration est voté pour 2020, avec probablement la constitution d’une asbl en attendant le vote d’une loi. Ces consultations assoient la légitimité de la ministre et font oublier certains dossiers du programme gouvernemental qui avancent moins vite, comme la controversée Galerie nationale d’art, chère à l’ancien ministre de la Culture Xavier Bettel. Il est parfois urgent de savoir attendre.


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