Cela s’appelle une méthode «participative». Chacun peut, jusqu’à la fin du mois, présenter ses observations pour finaliser le «Plan de développement culturel 0.1» présenté par Jo Kox les 29 et 30 juin dernier. Un plan dont chacun se renvoie la responsabilité et qui n’en est pas vraiment un. Beaucoup de points ont un goût de déjà-vu, quelques idées originales en émergent. REPORTER s’est penché sur le document pour en analyser les forces et les faiblesses, mais aussi les difficultés de sa mise en oeuvre.

Premier motif de satisfaction pour le rédacteur de ce que l’on appelle désormais communément le KEP («Kulturentwicklunsplan»): il ne devrait pas finir à la poubelle. Une motion déposée mardi 3 juillet à la Chambre des députés par Sam Tanson (Déi Gréng), a été votée par tous les partis à l’exception de l’ADR. Elle prévoit «l’organisation d’un débat au sujet de la mise en œuvre d’un plan de développement culturel tous les deux ans». Il y a donc bien volonté affichée de mettre en œuvre un tel plan à long terme (2018-2028). Les commentaires allaient de l’enthousiasme le plus fervent (Marc Baum pour déi Lénk l’a qualifié de «document historique») au rejet pur et simple (Fernand Kartheiser pour l’ADR parlant de «eidel Wierder»).

Cette motion, il est vrai, n’engage pas à grand-chose. En revanche les partis seront attendus au tournant dans leurs programmes gouvernementaux et surtout sur la question stratégique de l’attribution du futur poste de ministre de la Culture. Le groupe de travail «Kultur» du LSAP se désole, dans un document rédigé en mai dernier, du temps perdu sous l’actuelle législature. Il n’empêche qu’il était à la table des négociations lorsque les portefeuilles ont été répartis en 2013.

La méthode du grand écart

La question du timing politique est importante. Elle explique en grande partie la tonalité de ce qu’il faudrait davantage qualifier de «Rapport Kox», même si l’auteur écrit – en page 15 de ce document qui en compte 186 – que «si j’avais été amené à le rédiger seul, il aurait été bien différent».

Et pour cause! On y retrouve certaines idées chères à celui qui est aussi président du Fonds culturel national – en particulier la création d’un Luxembourg Art Council, l’ambition d’une meilleure gouvernance et transparence de la politique culturelle, ou encore le fait de mettre les artistes au cœur de la politique cultuelle. Mais on voit aussi dans ce document la marque très libérale de l’actuel ministre de la Culture.

En avant-propos, Xavier Bettel s’engage à «définir le cadre nécessaire pour la réussite de la mise en oeuvre des recommandations dans les dix ans à venir» (p.11). Pourtant, bon nombre des 61 recommandations formulées dans le KEP consistent à «mener une réflexion», «veiller à », «encourager» ou «favoriser»…

Assises 2018
Le KEP a été rendu public un jour avant les assises culturelles qui se sont déroulées les 29 et 30 juin 2018. (Photo: SIP)

Cerise sur le gâteau: la 61ème et dernière recommandation est d’«adopter une loi sur l’encouragement de la culture» qui aura pour objectif de «définir les priorités en matière de politique culturelle, en conformité avec le plan de développement culturel, pour la législature respective» (p.173). Fixer les priorités ne relèverait donc plus du KEP, mais de la manière dont le vent tourne à chaque législature.

Un nouvel écosystème culturel, dynamique, évolutif et transversal qui permettra aux artistes, aux acteurs culturels et aux citoyens de s’épanouir pleinement.“Plan de développement culturel

Il faut rappeler que l’idée de mettre sur pied un KEP est l’un des engagements du programme de coalition, avec l’organisation chaque année d’assises de la Culture. Il aura fallu attendre 2016 pour que de telles assises aient lieu et encore deux ans pour que, à quelques semaines des élections, on voie finalement la couleur de ce que Jo Kox considère comme «un texte largement conceptuel, dans la mesure où les recommandations proposées répondent aux désirs formulés par les acteurs culturels sans relever dans l’immédiat de prises de décisions au niveau de la gouvernance » (p.73). Il ne parle donc pas lui-même de «Plan de développement culturel», sachant que celui-ci impliquerait des décisions et un plan d’action.

Chargé en juillet 2016 par le Premier ministre et ministre de la Culture Xavier Bettel de cette mission, Jo Kox a fait un recueil des souhaits des différents acteurs de la scène culturelle – artistes, institutions, partenaires sociaux ou éducatifs, administrations. Cela a concerné plus de 500 personnes au total, dont les noms sont mentionnés en fin de document. Ceux-ci  n’ont pas tous pris activement part aux «Réunions d’échange et de concertation» de 2016 ou aux «Ateliers du jeudi» de 2017. Certains ont simplement assisté aux assises (où il est vrai qu’ils avaient le droit à la parole). Cette base participative est en quelque sorte «l’assurance-vie» du document, ce qui lui donne une légitimité alors que se profilent les prochaines élections législatives.

Big bang au ministère de la Culture?

Le problème, c’est qu’une accumulation de revendications sectorielles ne fait pas une politique. D’où la «Vision» à la fois généreuse et passe-partout de ce KEP que l’on ne découvre qu’aux pages 80-85. Il s’agit de mettre sur pied «Un nouvel écosystème culturel, dynamique, évolutif et transversal qui permettra aux artistes, aux acteurs culturels et aux citoyens de s’épanouir pleinement».

La question de la gouvernance du ministère de la Culture est le chapitre qui présente le plus d’innovations. De nombreuses autres recommandations figuraient déjà dans le programme gouvernemental de 2013 ou dans le fameux «Pacte» soumis par le ForumCulture(s) aux partis avant les élections de 2008 et de 2013. On peut citer le soutien à la création et aux artistes, le rapprochement entre éducation et culture, le développement de la médiation culturelle ou encore la valorisation du patrimoine.

Le ministère de la Culture deviendrait un ministère «nouvelle génération» organisé pour se concentrer sur sa mission stratégique, c’est-à-dire fixer les priorités de sa politique et veiller à leur mise en oeuvre. Son périmètre pourrait être élargi au secteur des médias et du cinéma (p.91).

Il s’appuierait sur de nouvelles structures. Un poste de «Commissaire au Plan de développement culturel» serait créé (p.171) afin d’orchestrer et de superviser l’exécution du plan, en fonction des «priorités définies par le gouvernement respectif».

Deuxième pilier: un «Fonds pour la création artistique et culturelle» (p.95) qui gérerait toutes les aides à la création mais aussi à la diffusion internationale, afin de garantir sa gestion sans interférence politique (en s’inspirant des modèles des Art Council étrangers). Comment serait-il organisé? Qui aurait un pouvoir décisionnel sur la répartition des fonds par secteur artistique et au sein de ce secteur? L’incertitude n’est pas sans inquiéter certains acteurs culturels. Il est aussi question de mettre sur pied un «Fonds du patrimoine» (p.119).

Troisième pilier: le KEP envisage la création d’une sorte de Conseil des sages, un «Observatoire des politiques culturelles» chargé de surveiller que le cap est maintenu.

Une voie semée d’embuches

Encore faudrait-il qu’il existe une boussole pour suivre ce cap. Ce qui n’est pas le cas. Jo Kox le reconnaît lui-même dans le chapitre intitulé «Suivi et Evaluation». Il observe qu’il est «nécessaire de développer des outils d’analyse innovants et adaptés à l’unicité du secteur artistique et culturel afin de mesurer avec précision son impact sur la société, mais aussi l’efficacité des mesures prises pour le renforcer» (p.169). En l’état actuel, le KEP ne dispose ni d’un chiffrage du coût des mesures préconisées ni d’une évaluation de leur effet systémique. Autant dire qu’il est inapplicable.

Plus grave, Jo Kox dénonce une documentation «peu accessible voire défaillante», et ajoute : «Quant aux rapports des conseils nationaux (Conseil supérieur des bibliothèques publiques, Conseil permanent de la langue luxembourgeoise, Conseil national du livre, Conseil national de la Culure, ndlr), ils sont remis aux ministres de tutelle respectifs, sans nul accès a posteriori par autrui». Il y a manifestement eu obstruction dans son travail de recherche, ce qui préjuge mal d’un futur plan qui ne pourra se mettre en œuvre sans une mobilisation générale et transversale de tous les acteurs de la culture.

Pilotage à vue

Le rédacteur aurait pu ajouter que la Cellule statistique du ministère de la Culture, créée en 2000 pour pallier une carence avérée après la première Capitale européenne de la Culture, a été sacrifiée sur l’autel du «Zukunftspakt» en 2014. Depuis lors, les études statistiques ont été placées sous la responsabilité du Statec, alors même que les instances européennes soulignaient la spécificité du secteur culturel dans le traitement des données.

A cela s’ajoute un besoin de clarification du côté des finances. En avant-propos, une trentaine de pages est dédiée à «L’intervention publique en matière culturelle» (pages 38-68). C’est la question de savoir si le Luxembourg atteint ou non le fameux 1% de son budget dédié à la culture, mais aussi comment est «investi et non pas dépensé», pour reprendre les termes de Xavier Bettel, cet argent public. Les postes budgétaires sont encore très flous et l’on ne sait donc pas vraiment ce qui revient par exemple au soutien à la création.

L’enjeu communal

Autre point notable: le ministère de la Culture investit moins dans la Culture (32,8% du total des dépenses culturelles publiques en 2016) que les Communes (41%). Mais il faut aussi prendre en compte les autres ministères (26,2%). Au total, les dépenses culturelles publiques représentaient 0,68% du PIB en 2016, contre un maximum de 0,95% en 2005 (avant la deuxième capitale européenne de la Culture).

La fête de la musique à Dudelange est l’un des temps fort de l’agenda culturel dans le pays. (Photo: Marc Lazzarini)

Ces chiffres montrent qu’il est crucial d’associer les communes au KEP. D’où la recommandation de mettre sur pied des «Pactes culturels» entre l’Etat et les communes. Problème : il faudrait une «politique culturelle coordonnée», cela sans nuire au sacro-saint principe d’indépendance communale.

Quid des fondations?

Le rapport Kox n’esquive pas ces différents obstacles puisqu’il est spécifié pour chaque recommandation les «principaux bénéficiaires» mais aussi «les limites et les risques». Cela a le mérite d’être clair. Et aussi de souligner que, faute d’une volonté politique inébranlable sur la durée, tout ceci restera lettre morte. Le Luxembourg continuerait alors sur son status quo sans vision dynamique pour accompagner les évolutions de notre société.

Le problème, c’est qu’il manque un inventaire qui permette de construire le plan de développement culturel sur une base objective. C’est d’ailleurs l’une des recommandations finales (p.170): «Établir un état des lieux précis et complet du secteur artistique et culturel luxembourgeois». Sans ces fondations, on voit mal comment pourrait se construire un plan pour l’avenir. Et l’on ne peut manquer de s’interroger: ne fallait-il pas commencer par là?