L’horizon était dégagé sur Belval pour le lancement officiel de l’appel à projets de la Capitale européenne de la Culture Esch 2022. La directrice générale Nancy Braun et le directeur artistique Christian Mosar ont su trouver le ton pour convaincre qu’à trois ans du début des festivités, tout est encore jouable. Ce qui ne signifie pas que tout soit encore sous contrôle.

L’échéance était attendue. Il y avait affluence jeudi 28 février dans la Halle des Poches à fontes de Belval pour une  «conférence de presse» aux allures de cérémonie soigneusement orchestrée. Celle-ci était ouverte à tous, signe que Esch 2022 se veut une manifestation basée sur la «participation citoyenne». Pour être un succès, elle doit réussir à créer une dynamique culturelle qui touche au plus près les quelque 200.000 habitants de Esch, des dix autres communes du syndicat Pro-Sud et des huit communes frontalières du Pays Haut Val d’Alzette en France.

Toujours est-il que parmi les quelque 130 personnes présentes, on voyait surtout les élus ou représentants locaux – au premier rang desquels le bourgmestre de Esch et président de l’asbl Esch 2022 Georges Mischo – des responsables d’institutions culturelles du Sud du pays et d’associations. C’est le grand retour de tous ceux qui se sentaient jusqu’à présent injustement tenus à l’écart. Il y avait également quelques artistes restés en fond de salle du fait du manque de chaises. Une attitude dans laquelle on peut lire une certaine distance face à cet appel à projets qui n’est pas le premier.  Celui lancé fin 2017 a été classé sans suite. Le deuxième annoncé mi-2018 n’a jamais été réalisé.

Marge de manoeuvre

C’est une Nancy Braun tout sourire qui a donné la tonalité du programme. La capitale européenne de la Culture sera «flott a witzeg!»  Le Bid Book rédigé par la précédente équipe Andreas Wagner/Janina Strötgen, et validé par la Commission européenne autour de la thématique «Remix», reste le socle de Esch 2022. Mais la nouvelle directrice générale estime que rien n’est fixé dans le marbre. D’après nos informations, bon nombre de projets qui figurent dans ce fameux Bid Book n’avaient pas été formalisés avec les parties prenantes (comme le festival Zeltik «remixé» à Dudelange ou Tissage avec le CNA).

Ce discours fleuri tranche avec la ligne Wagner/Strötgen. L’ancien directeur général voyait dans la capitale européenne l’occasion de rassembler ou «remixer» la population locale, mais en mettant aussi le doigt sur les sujets sensibles voire douloureux auxquels est confrontée cette région, notamment en matière d’intégration ou de dérive du capitalisme. Christian Mosar, pour sa part, reste ouvert à toute proposition artistique. Il devra démontrer qu’on peut aussi parler joyeusement des questions difficiles.

Un jury sous surveillance

Désormais, chacun peut s’enregistrer et déposer jusqu’au 31 juillet 2019 son projet sur le site internet de l’organisation. La procédure, accessible en six langues (luxembourgeois, français, allemand, anglais, italien, portugais), est un signal d’ouverture multiculturelle et transfrontalière. «Une capitale européenne de la Culture, c’est autre chose qu’un projet artistique national», a dit Nancy Braun. Les projets doivent répondre à un certain nombre de missions et objectifs. L’un des principaux changements par rapport aux précédentes capitales européennes est que celle-ci doit s’inscrire dans une perspective de durabilité sur son territoire.

La standardisation de la procédure répond à un souci d’équité qui faisait défaut pour les projets retenus par la précédente équipe de direction (lesquels doivent eux aussi repasser par la procédure harmonisée). Mais le risque existe que cela douche l’enthousiasme des simples citoyens ou petites associations qui ne sont pas habitués à gérer des projets culturels. Christian Mosar a insisté sur le fait que l’organisation serait présente en support pour aider les idées à se concrétiser. Aura-t-elle suffisamment de ressources pour le faire? Deux gestionnaires de projets sont en cours de recrutement. Il est vraisemblable que l’équipe devra être renforcée ultérieurement.

Le bourgmestre de la Ville de Esch, Georges Mischo (CSV), est le président de l’asbl (à gauche). Le président de Prosud (et bourgmestre de Differdange) Roberto Traversini (à droite) représente les commues du sud.

Autre interrogation: qui fera partie du  jury de sélection? Nancy Braun a parlé de membres du Conseil d’administration ainsi que d’experts indépendants pour évaluer objectivement la faisabilité des projets. La composition en sera rendue publique et sera certainement scrutée de près par les parties prenantes. Alors que l’ancien directeur général Andreas Wagner estime que «Esch 2022 risque d’être une machine à subventions», le comité de sélection devra faire la preuve du contraire en défendant les objectifs généraux plutôt que les intérêts particuliers.

L’asbl investira 37 millions d’euros (sur un budget de 57 millions) dans les initiatives artistiques. La participation culturelle et financière des communes associées à Esch reste libre. Derrière les discours, il sera intéressant de voir jusqu’où celles-ci s’engageront dans l’aventure collective.

Battre le fer quand il est chaud

Sur fond de questions ouvertes, la présence jeudi à Belval de la ministre de la Culture Sam Tanson et de son directeur général Jo Kox souligne que l’État met désormais tout son poids dans la balance pour contribuer au succès de la manifestation. Voilà qui tranche avec l’ère du tandem Xavier Bettel/Guy Arendt qui suivait le dossier à distance. Sam Tanson n’a pas manqué d’exprimer son soutien au projet de sauvegarde de la Halle des Soufflantes de Esch Belval pour en faire l’épicentre de la capitale européenne de la Culture. Comment? Le groupe de travail Eise’Stol, oeuvrant dans la mouvance de la candidature «Minett UNESCO Biosphere MUB», se réunit sur la question au lendemain de la conférence de presse de Esch 2022. Il est bien connu qu’il faut battre le fer pendant qu’il est chaud…

Les missions et objectifs du projet Esch 2022

Pour avoir une chance d’être retenus, l’asbl Esch 2022 indique que les projets soumis devront être en ligne avec les missions et objectifs suivants:

Culture

  • Soutenir et dynamiser la création artistique à long terme, l’expression culturelle et le renouveau culturel.
  • Stimuler et développer le dialogue interdisciplinaire et la mise en réseau des acteurs culturels.
  • Soutenir la professionnalisation et créer des conditions de travail meilleures.
  • Proposer une plateforme de créations inédites et faciliter la mise en œuvre du (Kulturentwécklungsplang) KEP.

Public

  • Toucher un public large et divers par le développement de moyens de participation et de communication.
  • Améliorer l’accès à la culture et ainsi gagner de nouveaux publics.
  • Soutenir et stimuler l’éducation à la culture dès le plus jeune âge.

Population

  • Valoriser la mixité des populations tout en renforçant la cohésion sociale et en donnant des impulsions pour un meilleur vivre-ensemble.
  • Promouvoir et stimuler la participation citoyenne.
  • Renforcer les liens culturels unissant les Européens et ranimer l’esprit « communautaire » inspiré des valeurs fondamentales de l’Europe que sont la dignité, la liberté, la démocratie, l’égalité et le respect des droits humains.