La question de l’amélioration du statut des artistes figurait comme une priorité de la politique culturelle du parti Déi Gréng aux dernières élections législatives, avec différentes mesures concrètes. Qu’en pense aujourd’hui la nouvelle ministre de la Culture Sam Tanson? Nous lui avons posé la question.
Interview: Marie-Laure Rolland
Madame la ministre, les artistes ont tiré la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail lors des dernières assises culturelles. Avez-vous le sentiment que cela concerne quelques cas particuliers ou est-ce un problème systémique sur la scène culturelle?
C’est quelque chose qui touche énormément de gens dans le secteur, même si cela dépend bien entendu de l’art que l’on pratique. Les artistes sont dans une situation de dépendance à la fois psychologique et financière. Souvent, ils ne savent pas de quoi demain sera fait, puisque leur revenu dépend des commandes publiques, des projets, des ventes d’œuvre. Par ailleurs, ils ne sont pas très bien payés alors que le niveau de vie au Luxembourg est très élevé.
De combien d’artistes parle-t-on?
Nous pouvons retracer le nombre d’intermittents et d’artistes professionnels inscrits auprès du ministère de la Culture. Au-delà, je ne sais pas combien de personnes pratiquent de manière professionnelle ou semi-professionnelle au Luxembourg. Nous voulons relever le niveau statistique pour avoir une meilleure vue de la situation. Une ligne budgétaire a été accordée cette année pour cela.
Les gens voient parfois les artistes comme des assistés qui vivent au crochet du contribuable. Est-ce juste?
Cette idée d’un artiste assisté est quelque chose qui me désole. Je trouve au contraire que ce sont les artistes qui nous assistent, nous, dans notre vie quotidienne. Ils nous ouvrent des horizons, nous emmènent vers d’autres mondes. C’est quelque chose qui n’est pas rentable en chiffres comptables. L’art ne devrait pas s’évaluer en termes purement économiques même si le champ des rentrées économiques doit aussi être pris en compte. Il faut se demander ce que le rayonnement artistique peut avoir de positif pour le Luxembourg, à l’intérieur et à l’extérieur du pays.
Il faut des contrats clairs qui ne s’établissent pas au détriment des artistes ».
Le programme de votre parti, Déi Gréng, plaidait pour un standard minimum de rémunération pour les artistes. C’est un point qui ne figure pas dans le programme gouvernemental. Pourquoi?
Là encore, cela dépend des domaines. On ne peut pas mettre tous les artistes dans le même pot. L’essentiel pour moi est que les institutions culturelles que nous soutenons financièrement se tiennent à des règles déontologiques dans leurs relations avec les artistes. Il faut des contrats clairs qui ne s’établissent pas au détriment des artistes.
Connaissez-vous la base de rémunération d’un danseur par exemple?
J’ai une idée en tête, mais je préfère ne rien dire plutôt que de donner un chiffre erroné. Je sais qu’il y a des différences selon les secteurs et aussi parfois entre hommes et femmes. Cela étant, on ne peut pas comparer un danseur et un peintre, un artiste débutant et une personne expérimentée. Les mesures d’aide sociale aux artistes indépendants et aux intermittents du spectacle leur permettent justement de parvenir à un revenu minimum. C’est une bonne chose que nous les ayions. Ce n’est pas le cas dans tous les pays.
Avec 120 euros par jour pour un danseur, auxquels il faut déduire les charges sociales et les taxes, nous sommes à moins de 15 euros de l’heure lorsque l’on peut avoir un contrat. Les artistes doivent souvent avoir un travail alimentaire pour survivre. Or, il y a une telle différence entre la rémunération artistique et celle d’autres métiers – par exemple l’enseignement ou la médiation culturelle – qu’il devient difficile de conserver son statut et de se développer comme artiste…
C’est justement pour cela que nous voulons évaluer le système actuel. Mais nous n’allons pas le modifier entièrement car il me semble que la base est bonne.
Que pensez-vous des systèmes français et belges, qui rattachent les artistes à l’assurance chômage?
Je veux comparer les différents systèmes qui existent avec le nôtre et voir quelles sont les «best practices» dont nous pourrions nous inspirer.
L’association luxembourgeoise des professionnels du spectacle vivant (Aspro) travaille à établir une grille de rémunérations minimales. N’est-ce pas au ministère de la Culture de le faire?
Non, je ne crois pas. C’est à nous en revanche d’exiger des partenaires que nous soutenons financièrement qu’ils respectent les artistes dans le cadre déontologique que nous allons mettre en place.
À quelle échéance?
Cette année, ce sera juste. Je dirais 2020. Cela s’inscrit dans le contexte du Plan de développement culturel et de la réforme du système de conventionnement et d’attribution des subsides que nous allons mener. Nous organisons une réunion à ce sujet le 21 mars. Je souhaite un dialogue ouvert avec tous les acteurs concernés. J’aimerais notamment que certaines asbl bien établies obtiennent des mini-conventions pluriannuelles qui leur permettent de mieux planifier leurs projets et d’embaucher des personnes si besoin. Comme nous allons regrouper les subsides dans un Luxembourg Art Council – quel que soit son nom – nous allons voir les questions qui se posent. Cela inclut aussi la question des aides à la mobilité qui sont très importantes car le territoire est exigu. Si on veut vraiment se professionnaliser, il est difficile de le faire uniquement au Luxembourg.
C’est aussi mon rôle que l’on n’oublie pas les artistes locaux »
Le programme gouvernemental évoque la possibilité d’une évolution de la «mission statement» des grandes institutions «en soulignant notamment une mixité de leur programmation en ce qui concerne les artistes locaux». En clair, êtes-vous favorable à l’introduction de quotas d’artistes luxembourgeois?
C’est une discussion qui est toujours à double tranchant. C’est important de soutenir le développement de nos artistes locaux et la plupart de nos maisons le font. Certains efforts supplémentaires pourraient être faits et nous allons en discuter dans le cadre du traitement déontologique des artistes.
Pensez-vous à certaines institutions en particulier? La Philharmonie est souvent pointée du doigt à ce sujet…
J’ai rencontré récemment ses responsables. Nos discussions se sont très bien passées. La Philharmonie fait un excellent travail avec une programmation fabuleuse, un rayonnement national et international. On a regardé les chiffres. Il y a un certain nombre d’activités avec des artistes du pays, surtout pour le jeune public, mais disons qu’il y a là peut-être un peu de marge d’évolution. C’est aussi mon rôle que l’on n’oublie pas les artistes locaux. Cela leur permet d’avoir un autre public, une autre scène et un tremplin pour sortir des frontières. Pour les programmer, il faut naturellement un concept qui fasse du sens.
Quelle est votre marge d’influence sur une maison comme le Grand Théâtre de la ville de Luxembourg, qui est une vitrine de premier plan pour les arts de la scène mais qui est financée par une administration communale?
C’est plus difficile, mais je trouve que le travail de Tom Leick pour soutenir la création locale est très bien. J’en veux pour preuve la pièce de théâtre «Breaking the Waves», mise en scène par Myriam Muller, qui a eu les moyens de faire une production de haut niveau.
Les équilibrages sont en cours pour augmenter le soutien aux petites structures»
Tout le monde n’a pas de tels moyens à disposition. D’une manière générale, les professionnels du secteur ont le sentiment que les projets culturels ne sont pas suffisamment financés. Faudrait-il faire moins? Ou augmenter les moyens des institutions culturelles?
Ma compréhension est que les institutions culturelles, notamment en région, n’ont pas vu leurs budgets augmenter de manière substantielle depuis qu’elles existent. Si elles veulent produire des pièces, elles manquent de fonds. Les budgets vont être revus à la hausse cette année pour permettre ce travail de création.
Dans quelle proportion?
Les équilibrages sont encore en cours. Les grandes institutions qui ont des réserves, comme la Philharmonie, garderont un budget stable, ce qui permettra d’augmenter le soutien aux petites structures.
Un autre point sensible pour la scène musicale est la Directive européenne sur les droits d’auteur. La Fédération luxembourgeoise des auteurs et compositeurs (Flac) est favorable à la proposition actuellement discutée au Parlement européen. Or le Luxembourg a voté contre. Quelle est votre position en tant que ministre de la Culture?
Sur le principe, je suis pour une meilleure protection des droits d’auteur. Le problème est que le texte sur la table ne propose pas un juste équilibre entre cette protection d’un côté et la liberté d’internet. Il faut voir ce que le Parlement européen va proposer.
Vous partagez ce dossier avec le ministre de l’Économie Étienne Schneider. Êtes-vous sur la même longueur d’onde?
En général, j’arrive à très bien parler avec Étienne Schneider, mais c’est une question que je dois encore thématiser avec lui. En attendant, la balle est désormais dans le camp du Parlement européen.
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