Sam Tanson est arrivée à l’Hôtel des Terres Rouges avec de fortes ambitions pour la Culture mais sans expérience ministérielle. Un an après, nous l’avons rencontrée pour faire le point sur la manière dont elle pilote une politique culturelle où elle doit composer avec d’autres partenaires.
Interview : Marie-Laure Rolland
Sam Tanson, vous êtes arrivée à la tête du ministère de la Culture avec l’engagement de remettre la scène culturelle sur les rails. Douze mois plus tard, un principe de réalité s’est-il imposé?
Je suis quelqu’un d’assez réaliste en général. Mes attentes l’étaient. De par mon expérience au collège échevinal de la ville de Luxembourg, j’étais consciente qu’il y a toujours des contraintes à prendre en compte au niveau administratif ou législatif.
L’enveloppe des dépenses du ministère de la Culture progresse de 4,4% à 137,9 millions d’euros en 2020, après une hausse 16,8% à 132 millions d’euros en 2019. Est-ce le retour de la «politique de l’arrosoir» dénoncée par l’ancienne ministre de la Culture Maggy Nagel en 2013?
Ce n’est pas le retour de quoi que ce soit. Le soutien vise la professionnalisation du secteur à travers des aides structurelles. Je ne suis pas là pour dire oui à tout le monde.
Vous êtes arrivée à l’Hôtel des Terres Rouges avec en main la feuille de route du Plan de développement culturel (dit «Kep»). Est-il toujours question, comme le prévoit le Plan, de présenter une loi de promotion de la culture et de la mise en œuvre du Kep, ou encore de nommer un Commissaire de gouvernement au Kep?
Je ne suis pas convaincue de la nécessité d’une loi et préfère avancer dossier par dossier. Je viens régulièrement devant la Commission de la Culture de la Chambre des députés avec des points à l’ordre du jour. La dernière fois, cela concernait le Patrimoine. Il y a trois autres chapitres qui portent sur les conventions avec les associations culturelles, le statut des artistes et l’Art Council. Quant au commissaire, à l’heure actuelle je l’ai dans le bureau à côté de moi…
Comment fonctionne le tandem avec votre Premier conseiller Jo Kox?
Très bien. On est assez complémentaires et j’aime bien travailler avec lui. C’est quelqu’un d’extrêmement positif qui adore la culture et les gens qui font de la culture. Cela aide. C’est vraiment leur partenaire. J’aime bien travailler comme cela: chercher les solutions et non pas les problèmes.
Lors de votre prise de fonction, vous avez accepté une réduction du périmètre de la Culture et renoncé notamment au cinéma et à l’éducation musicale. Cette déception est-elle digérée?
Concernant l’éducation musicale, je trouve ce transfert absolument légitime. Il faut qu’elle soit aussi proche que possible de l’enseignement normal. Cela permet beaucoup plus de synergies dans les horaires, mais aussi d’élargir l’offre à tous les enfants.
Êtes-vous favorable à l’idée d’un passeport culturel au sein des écoles, qui validerait un parcours de découverte culturelle identique pour tous?
Non. Je crois en revanche que l’on peut ouvrir bien davantage les institutions culturelles. Le partenariat avec l’Éducation nationale est important. On a des connexions à travers Kulturama, le Liser ou encore les enseignants détachés dans les institutions culturelles.
Un budget de 50.000 euros pour Kulturama, qui permet à des écoliers ou lycéens de réaliser des projets avec des artistes, est-ce suffisant?
C’est encore trop tôt pour faire un bilan car Kulturama a été lancé à la rentrée 2018. Je pense aussi que la culture a beaucoup à voir avec l’enfance, mais pas uniquement. Nous avons un rôle à jouer en offrant un accès à un large public à travers toutes nos institutions culturelles. C’est pour cela que j’ai mis en place au sein du ministère une cellule dédiée à la médiation. Il faut faire tomber les barrières non visibles qui bloquent l’accès à la Culture ou à la compréhension de l’art.
Concernant le secteur du cinéma, celui-ci ne serait-il pas davantage épargné par les polémiques s’il était rattaché au ministère de la Culture?
Lors du débat à la Chambre des députés sur le Film Fund, le premier ministre Xavier Bettel a clairement mis l’accent sur son volet culturel et la nécessité de le financer. Ce qui se fait au Film Fund est aussi de la politique culturelle. Jo Kox est à son Conseil d’administration et j’échange sur la question avec le ministre des Médias.
Certains reprochent le peu de visibilité des films produits au Luxembourg. La ministre de la Culture a-t-elle son mot à dire sur la question?
Ces dernières années, les productions ont gagné en visibilité. Je pense par exemple aux series «rout wäis gro» ou au succès de films populaires comme Superjhemp. Certains acteurs se positionnent à l’étranger. Au niveau du ministère de la Culture, nous soutenons le Luxembourg Film Festival, qui met un accent fort sur la production luxembourgeoise, ou encore le Filmpräis.
Si l’on regarde dans les pays voisins, tous les films ne sont pas systématiquement vus par beaucoup de monde. Cela étant, je soutiens tout-à-fait la position de Xavier Bettel qui a organisé un audit et mis en place des groupes de travail. Je vais en tirer les conclusions et répondre aux remarques qui ont été faites.
Les communes sont incontournables pour le Plan de développement culturel 2018-2028. Comment celui-ci pourra-t-il se mettre en place dans le respect de leur sacro-sainte autonomie?
J’ai chargé ma conseillère Danièle Kohn-Stoffels de faire un état des lieux des subventions qui vont vers les communes. Il s’agit de voir la distribution par région et de détecter d’éventuels déséquilibres. Je souhaite aussi des critères clairs concernant l’appellation de «Centre culturel régional», qui ouvre le droit à un soutien financier pour la programmation. Certains centres culturels dans le Sud du pays nous demandent des financements alors qu’ils n’ont pas ce label. À mon sens, cela implique d’avoir un peu une dimension nationale, notamment à travers le soutien à la création.
Êtes-vous prête à soutenir davantage de centres culturels en région?
Actuellement, nous avons dix institutions qui ont le label de Centres culturels régionaux. Il faut s’adapter à mesure de l’évolution de la population de notre pays et de sa répartition territoriale.
En un an, vous avez cumulé vos responsabilités à la Culture avec celles du ministère du Logement puis de la Justice. Avez-vous encore le temps de lire ou d’aller voir des spectacles?
J’arrive à lire très tard le soir, avec un kindle pour ne pas trop énerver mon compagnon. Je suis en train de lire «Normal People», un livre de Sally Rooney, une jeune écrivaine irlandaise née en 1991. J’adore son style. J’avais déjà lu son premier roman «Conversations with Friends». Les derniers mois malheureusement j’avais un agenda trop chargé pour aller voir des spectacles. J’espère avoir plus de temps à la rentrée.
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