«Een neien Elan fir d‘Kulturpolitik zu Lëtzebuerg!». C’est ce que revendiquait le programme électoral de Déi Gréng. Après cinq années de frustration des partenaires du DP aux manettes de ce ministère, quel pourrait être cet élan? Le LSAP a lui aussi des revendications en la matière.

En 2013, deux heures avaient suffi pour tracer dans les grandes lignes le volet culturel de l’accord de coalition, d’après un témoin. Les partenaires s’étaient inspirés du «Pacte culturel» rédigé par le collectif  Forum Culture(s). Leur ambition: mettre la Culture au cœur de la dynamique sociale. La belle unité n’a pas duré longtemps. Du côté des socialistes comme chez Déi Gréng, les voix n’ont pas tardé à rejoindre le chœur de la scène culturelle et à s’élever contre la politique menée par le camp libéral sous la houlette de la très contestée Maggy Nagel, puis du tandem Xavier Bettel/Guy Arendt.

A l’heure où débutent les négociations pour une réédition de la coalition DP/LSAP/Déi Gréng, c’est le retour à la prudence. Qui va hériter du ministère de la Culture, de ce portefeuille généralement attribué en fin de parcours et avec lequel on ne va pas risquer de faire dérailler les négociations de coalition? La question se pose surtout du programme qui sera mis en œuvre, après cinq années de frustration des partenaires du DP. Au-delà d’un possible accord sur l’enseignement musical gratuit ou de l’unanimité pour soutenir le projet Esch 2022, bon nombre de points restent ouverts.

A chaque parti ses priorités

«La culture a toujours été une priorité chez Déi Gréng, mais il est encore trop tôt pour dire comment les portefeuilles seront répartis», explique la députée Sam Tanson dont le programme électoral revendiquait «Een neien Elan fir d‘Kulturpolitik zu Lëtzebuerg!». Elle s’est fortement mobilisée sur le volet du «Kulturentwicklungsplan» (ou Kep) et est à l’origine de la motion parlementaire votée à la Chambre des députés le 3 juillet dernier. Celle-ci prévoit «l’organisation d’un débat au sujet de la mise en œuvre d’un plan de développement culturel tous les deux ans». C’est l’assurance survie de ce plan dont la version définitive a été présentée le 27 septembre et validée en Conseil de gouvernement le lendemain.

Cette fois, les voix s’élèvent au LSAP pour ne pas laisser filer un ministère que le parti n’a plus occupé depuis le mandat de Robert Krieps (1984-1989). L’ancien député Franz Fayot n’a pas passé le cap de l’élection directe mais est en bonne position pour rejoindre les rangs de la Chambre après la formation du nouveau gouvernement. Il confirme qu’il fera partie du groupe de négociations du volet culturel de l’accord de coalition où il espère défendre l’idée chère au Forum Culture(s) que la «Kulturpolitik ist Gesellschaftpolitik».  S’il n’est pas en mesure d’anticiper qui héritera de ce ministère, il espère que la «nouvelle donne permettra aussi un rééquilibrage» des portefeuilles. L’ancien président des Jongsozialisten et échevin de Steinfort, Sammy Wagner, s’est clairement exprimé sur l’antenne de la radio 100,7 pour que son parti, en quête d’un nouveau souffle, revendique la Culture.

Du côté du DP, Xavier Bettel s’est battu pour conserver son poste de Premier ministre mais ne s’est jamais exprimé sur son intention de rester à l’Hôtel des Terres Rouges – d’aucuns pourront spéculer sur le fait qu’il a choisi d’y lancer mercredi 17 octobre les négociations de coalition. Pour l’instant, on fait profil bas au ministère. Le Secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt, fraîchement réélu, ne souhaite pas s’exprimer. Le programme électoral du parti affichait comme ambition «une promotion ciblée des artistes et la participation de tous à la vie culturelle». Rien de nouveau par rapport à ce que Xavier Bettel a toujours préconisé, sans réussir à convaincre les professionnels du secteur.

Une question de budget

Les négociateurs du prochain programme culturel pourraient être bien inspirés d’aller relire le document de Gambia I pour 2013-2018. Celui-ci reste en grande partie pertinent. Et pour cause! Il devait débuter par l’élaboration d’un «Kulturentwicklungsplan» qui servirait de boussole à partir de laquelle dérouler le reste du programme. Or ce Kep est arrivé sur la table deux semaines avant les nouvelles élections, avec son catalogue de propositions à mettre en œuvre suivant un calendrier pour… 2018-2028! Les partenaires sont désormais au pied du mur.

L’un des projets hérité du premier gouvernement Bettel: l’actuelle Bibliothèque nationale devrait abriter la future Galerie nationale d’art. (Photo: Ministère de la Culture)

Les discussions de coalition vont porter sur les priorités à retenir, sachant que d’après l’estimation «intuitive» du rédacteur du Kep, Jo Kox, une application intégrale des propositions impliquerait de porter le budget de la Culture à au moins 2% du budget total de l’État (contre 0,94% en 2018) et de recruter une vingtaine de nouveaux fonctionnaires.

Ce chiffre est-il significatif? On peut s’interroger. L’inventaire du secteur culturel reste en grande partie à faire et nombre de nouveaux projets ne sont pas budgétisés. Dans son programme électoral, le DP propose une enveloppe de «au moins 1% du budget de l’État» consacré à la Culture. Franz Fayot estime pour le LSAP qu’il faut donner au ministère «les moyens de ses ambitions».  Lors de la discussion du 3 juillet à la Chambre, Sam Tanson soulevait aussi la question d’une revalorisation du budget de la Culture.

Le plus curieux est que les lignes semblent avoir bougé entre 2013 et 2018. Par principe réticent à l’idée de toute planification rigide, le DP indique dans son programme électoral qu’il «mettra en œuvre ce plan de développement culturel de manière systématique au cours des prochaines années». Cela passe par l’adoption, d’ici 2020, d’une «Loi de promotion de la culture et de la mise en œuvre du plan de développement culturel», avec à la clé la nomination d’un Commissaire de gouvernement au Kep, la création d’un Observatoire des politiques culturelles ou encore la mise en place d’un comité interministériel de la Culture pour actionner les synergies avec d’autres ministères comme l’Éducation, l’Intérieur, la Santé, la Recherche, etc.

Si déi Gréng sont également favorables à inscrire le Kep dans la loi, la mesure semble superflue à Franz Fayot. «Le Kep est un bon document mais je ne vois pas l’intérêt d’une loi cadre qui le coulerait dans le marbre. Il s’agit d’un plan qui doit pouvoir évoluer au gré des besoins», observe-t-il.

Un super-ministère de la culture?

Pour certains observateurs, c’est le mauvais fonctionnement du ministère de la Culture qui explique l’absence de dynamique de la politique culturelle. Les projets de loi n’avancent pas ou ne répondent pas aux besoins de la scène culturelle. Ce point a été largement thématisé dans le Kep. Mais la réorganisation du ministère de la Culture, pour en faire un ministère «nouvelle génération» moins exécutif et davantage stratégique, va prêter à discussion. En particulier concernant son périmètre d’action.

Le secteur des médias (avec la production de films, l’audiovisuel et la presse) est actuellement rattaché au ministère d’État. Les industries créatives sont sous la tutelle du ministère de l’Économie. Doivent-ils se regrouper sous le parapluie d’un super ministère de la Culture? La réponse n’est pas encore claire. Les uns et les autres s’opposent des arguments mais la vue d’ensemble manque. Sam Tanson a déclaré en juillet qu’il lui semblait «utile et logique» que le secteur du film s’ancre à la Culture, comme c’est le cas par exemple en France. Les producteurs de leur côté craignent une dilution du Film Fund dans un pot commun qui leur serait défavorable. Le programme culturel du DP insiste sur le développement de «hubs créatifs» à l’instar du centre 1535°C de Differdange (commune gérée par un bourgmestre du parti déi Gréng, Roberto Traversini). Le LSAP n’est pas défavorable à ce secteur mais alerte contre une éventuelle instrumentalisation de la Culture à des fins économiques.

Mieux soutenir la scène artistique

Tous les programmes culturels des partis le soulignent: il faut prioritairement soutenir la création et donc les artistes qui, lorsqu’ils essaient de vivre exclusivement de leur art en tant qu’indépendants, se trouvent dans une situation de grande précarité. Beaucoup doivent s’expatrier, ce qui vide le pays d’une partie de sa substance créative et restreint les possibilités de développement culturel endogène. L’ambition de réformer le statut des artistes ou des intermittents du spectacle était déjà affichée en 2013 et faisait consensus. Les mesures pour y remédier sont connues et regroupées dans les chapitres 17 à 28 du Kep.

Si l’analyse d’ensemble est partagée, c’est l’application concrète qui peut poser problème dans le détail. On le voit par exemple sur la question de la TVA à taux réduit pour que les prestations des artistes luxembourgeois soient compétitives par rapport aux productions créées à l’étranger. Cette réforme est toujours bloquée du côté du ministère des Finances qui évoque des contraintes de réglementation européenne (que certains de nos voisins manifestement n’ont pas).

Autre point à clarifier: le projet de Luxembourg Art Council qui regrouperait les fonds d’aide à la création et à la diffusion des œuvres artistiques. Dans la version définitive du Kep, il atterrit en soixantième recommandation (sur 62) avec une entrée en vigueur prévue à l’horizon 2022. Déi Gréng comme le LSAP soulignent pourtant tous deux l’importance de disposer d’un tel outil dont les modalités de fonctionnement restent à préciser.

L’identité du pays via la „Luxembourg House“?

Plus généralement, on observe que le DP n’a pas abandonné son idée d’associer culture et «nation branding», dont on sait qu’elle hérisse ses partenaires tout autant que la scène culturelle. Après le projet de Galerie nationale d’art validé sous Gambia I, Xavier Bettel souhaite désormais lancer une «Luxembourg House», c’est-à-dire «une sorte de ‘Flagship Store’ du Luxembourg, qui permet aux autochtones, aux immigrés et aux visiteurs de voir, d’écouter, toucher et goûter l’identité particulière du pays». La réalité pourrait ainsi rattraper la fiction, puisque le concept figure dans le scénario du tout nouveau film «De Superjhemp Retörns»! Déjà, le collectif Richtung22 est monté au créneau contre «d’Nationbrandiséierung, d’Deloittiséierung, d’Philharmoniséierung an Sproochendebattiséierung vum Konschtsecteur». Serait-ce la ligne rouge de la politique culturelle?