Certains espéraient le grand soir en matière culturelle en 2013. La révolution est advenue mais pas là où on l’attendait. Le prospectus promotionnel du DP pour les prochaines élections, intitulé «Gesot, Gemaach», retient deux points au chapitre de la culture: la loi de promotion de la langue luxembourgeoise et le Plan de développement culturel. La première ne figurait pas dans l’accord de coalition. Le second est loin d’être abouti. L’ère Bettel appliquée à la culture aura été marquée par un art de surfer sur l’air du temps en donnant l’impression de faire du surplace.

Qu’est-ce que la culture? Lorsque Xavier Bettel et son secrétaire d’Etat Guy Arendt reprennent le flambeau vacillant de Maggy Nagel en janvier 2016, la question mérite d’être posée. Plus personne à l’hôtel des Terres Rouges ne semble trop savoir dans quelle direction mener la barque, dans un contexte d’hostilité larvée de la scène culturelle. L’ancienne locataire des lieux a fait exploser le cadre financier en renégociant toutes les conventions avec les associations. Cela a suscité beaucoup de tensions pour revenir à un quasi statu quo, avec en prime la frustration de constater que les questions de fond ne sont pas réglées. Xavier Bettel promet que les Assises culturelles annoncées dans l’accord de coalition auront lieu. La date est fixée au 1 et 2 juillet 2016.

D’ici là, on consulte tous azimuts, les acteurs culturels mais aussi la population. Or que dit celle-ci? D’après le sondage TNS Ilrès réalisé en février 2016, 83% des personnes associent la culture à la langue, 83% aux traditions, 77% au patrimoine. L’art arrive en quatrième position avec 76%. Il faut noter que les sondés ne sont pas uniquement de nationalité luxembourgeoise. Parmi les étrangers également, l’idée d’un lien entre culture et langue fait sens.

Surfer sur l’air du temps

Ces consultations se déroulent sur fond de contexte politique mouvementé, après le rejet du droit de vote pour les étrangers lors du référendum du 7 juin 2015. Le projet de réforme de la loi sur la nationalité, présentée en mars 2016, prévoit notamment un assouplissement des critères linguistiques. Cela passe mal chez certains et la résistance s’organise. Fin août 2016 est déposée la pétition 698 sur l’utilisation du luxembourgeois comme première langue administrative et langue officielle. Son succès phénoménal dans la mouvance de Nee2015 entraîne un débat à la Chambre des députés le 16 janvier 2017, en même temps que la contre-pétition 725. L’enjeu est politique: sous couvert de combat culturel, la langue n’est-elle pas instrumentalisée pour dresser des barrières identitaires protectionnistes sur le territoire? Le débat est relayé sur les réseaux sociaux et dans les médias.

«Domat äntwert si op eng breet Demande vun der Populatioun.»Claude Meisch et Guy Arendt

Incontestablement, le débat dans l’opinion publique autour de la pétition 698 fait sauter des verrous. Un événement est symptomatique du changement de paradigme. En décembre 2016, l’association De Main De Maîtres Luxembourg organise avec succès une exposition de prestige sur l’artisanat d’art dans l’ancien siège de l’Arbed avenue de la Liberté à Luxembourg, avec le soutien des ministères de l’Économie et de la Culture et sous le patronage de la Princesse Stéphanie. Les panneaux d’explication sont en luxembourgeois, avec des traductions en français puis anglais. L’allemand a disparu du radar. Une première pour ce type de manifestation.

Depuis lors, la surface du luxembourgeois comme langue de communication écrite a largement débordé le cadre informel des réseaux sociaux et n’a cessé de gagner en visibilité. Plutôt que de nager à contre-courant, le gouvernement s’est attelé à la rédaction d’un plan stratégique à 20 ans de promotion de la langue luxembourgeoise, présenté en mars 2017 par le ministre de l’Éducation Claude Meisch et le secrétaire d’État à la Culture Guy Arendt. «Domat äntwert si op eng breet Demande vun der Populatioun», peut-on y lire.

Ce plan est ancré sur le long terme par le vote consensuel à la Chambre des députés de la loi du 20 juillet 2018. Celle-ci prévoit notamment la création d’un «Zenter fir d’Lëtzebuerger Sprooch» qui aura pour missions, entre autres, l’étude et la normalisation de la langue luxembourgeoise. Il inclut le service du «Lëtzebuerger Online Dictionnaire» du ministère de la Culture. Un commissaire sera chargé de veiller au bon déroulement  des 40 mesures du plan stratégique. Logiquement, le DP voit le «Zukunft op Lëtzebuergesch» pour sa campagne des prochaines législatives. Qui l’eut cru en 2013?

Il faut noter que le changement de paradigme semble être acté chez une partie des résidents étrangers, comme le montre l’afflux de demande de cours de luxembourgeois ou l’augmentation des procédures de naturalisation. De plus en plus d’entreprises proposent désormais des cours à leurs employés (mais pas toujours sur leurs heures de travail). D’après un sondage réalisé dans le cadre du Sproochenronn au printemps 2018, 52% des personnes qui ne maîtrisent pas le luxembourgeois pensent que cette langue doit être renforcée dans la vie quotidienne.

Laisser son empreinte

Dans ce contexte de questionnement voire de crispation identitaire, Xavier Bettel sort de son chapeau en janvier 2016 une idée que nul n’avait vu venir et qui ne figurait pas dans le programme gouvernemental: la création d’une Galerie nationale d’art (Gnal). Rien de tel qu’un chantier culturel pour marquer de son empreinte un quinquennat! Cette tradition française (que l’on songe au Centre Pompidou, à la Pyramide du Louvre de François Mitterrand, au Musée des Arts Premiers de Jacques Chirac) a une certaine cote au Luxembourg. Jacques Santer est le père du Mudam. Xavier Bettel se verrait bien en bienfaiteur des arts luxembourgeois.

L’annonce en est faite peu de temps après son arrivée au ministère de la Culture et est validée en conseil de gouvernement. Elle sera installée dans le bâtiment de l’actuelle Bibliothèque nationale, après le déménagement de celle-ci au Kirchberg. Les travaux de rénovation sont inscrits dans le budget pluriannuel du ministère du Développement durable et des Infrastructures. Au fil du temps, les voix qui critiquaient la «ghettoïsation» des artistes luxembourgeois se calment, d’autant qu’un consensus se dégage sur l’importance de disposer d’un centre de documentation sur les arts visuels, prévu au sein de la future Gnal. Il n’existe pas encore d’avant-projet de loi mais il est vraisemblable que le projet, devenu la recommandation n°30 du «Kulturentwicklunsplan» (KEP), passe d’une manière ou d’une autre le cap des élections.

Ironie du sort, alors que le Premier ministre et ministre de la Culture échafaude des plans pour une nouvelle institution culturelle, il contribue à ébranler le Mudam en lançant une enquête disciplinaire contre son directeur, Enrico Lunghi, mis en cause par un reportage diffusé par RTL  Télé. Celui-ci annonce sa démission en novembre 2016 et quitte le musée à la fin de l’année. Il faudra attendre janvier 2018 pour que la nouvelle directrice, Suzanne Cotter, entre en fonctions après une procédure d’appel à candidatures internationales.

Rester branché

Autre marque de cette légisture: le gouvernement, sous la bannière de sa stratégie «Digital Lëtzebuerg», se veut moderne et connecté. Le ministère de la Culture n’a pas attendu 2013 pour soutenir la digitalisation du patrimoine des institutions culturelles du pays. La Bibliothèque nationale et les Archives s’y sont attelées dès 2010. Néanmoins, c’est sous l’impulsion de Xavier Bettel qu’est créée en 2016 une fonction de coordination de la stratégie numérique au sein du ministère de la Culture. Celle-ci est présentée lors d’une conférence de presse en juin 2018 à laquelle assistent tous les directeurs des instituts culturels concernés. Les moyens financiers et humains semblent encore limités pour atteindre l’objectif de numériser toutes les collections et d’en permettre l’accès au public. Toujours est-il que le mouvement de convergence entre les différents instituts culturels, pour développer des outils compatibles et des synergies, est amorcé.

La visite virtuelle et en 3D du Musée national d’art et d’histoire. (Photo: Screenshot)

La loi du 17 août 2018 sur l’archivage, longtemps attendue et finalement votée, s’inscrit dans cette perspective. Signe des temps: le dossier d’un futur bâtiment pour les Archives nationales du Luxembourg à Esch Belval n’a en revanche pas vraiment avancé.

Dans ce registre, on peut aussi mettre à l’actif de ce gouvernement la normalisation des procédures d’accès aux aides financières pour le secteur via  la plate-forme guichet.lu.

Dans un souci de transparence annoncé dans le programme gouvernemental, le rapport annuel du ministère de la Culture publie depuis 2015 le détail des bénéficiaires des conventions, subventions ou bourses. L’exposé des motifs n’y figurant pas, les différences dans les montants alloués n’en restent pas moins obscures.

L’art de déléguer

Surfer sur l’air du temps plaît davantage au libéral ministre de la Culture que de s’enfoncer dans les structures de la scène culturelle pour accoucher du Plan de développement culturel promis «à courte échéance» par l’accord de coalition. Fort de l’expérience de Maggy Nagel, Xavier Bettel comprend qu’il doit répondre aux attentes des professionnels de la scène culturelle. Cela passe notamment par un coup de pouce financier qui fait remonter le budget de la Culture de 0,87% du budget de l’État en 2016, à 0,94% en 2018.

Va-t-il s’impliquer plus directement? Dès les premières assises, en juillet 2016, il botte en touche. C’est le président du Fonds culturel national, Jo Kox, qui est chargé d’aller au charbon et de rédiger le futur «Kulturentwicklunsplan» (ou KEP). On lui alloue un crédit de 16 heures de travail par semaine qui sera finalement remonté à 30 heures. À lui de se débrouiller, armé de son carnet d’adresses et sa bonne volonté, pour mobiliser la scène culturelle et faire ressortir les idées, suivant le principe de la procédure bottom up.

Une première version du KEP est présentée les 29 et 30 juin 2018. Il faudra attendre le 27 septembre, soit 17 jours avant les élections, pour en connaître la version définitive. L’été aura donc été studieux pour le rapporteur qui a promis d’y intégrer les commentaires adressés par les professionnels du secteur.

51 prises de position lui ont été adressées, dont 33 sont rendues publiques, ce qui dénote de l’intérêt des participants. Mais d’ores-et-déjà, il apparaît que le KEP n’est pas vraiment un plan. Il s’agit plutôt d’une accumulation de revendications sectorielles thématisées en dix chapitres et 61 propositions dont beaucoup figuraient déjà dans la déclaration gouvernementale et n’ont pas été transposées – en particulier pour améliorer le statut des artistes qui sont nombreux à ne pas gagner suffisamment pour travailler durablement au Luxembourg.

On comprend que le collectif Forum Culture(s), qui a inspiré ce programme de 2013, exprime son amertume dans sa prise de position. Le triomphalisme de Xavier Bettel dans le prospectus «Gesot, Gemaach», cadre difficilement avec la réalité.

Toujours est-il que cette boîte à outils pourrait encore servir après les élections. Une motion, déposée le mardi 3 juillet à la Chambre des députés par Sam Tanson (Déi Gréng), a été votée par tous les partis à l’exception de l’ADR. Elle prévoit «l’organisation d’un débat au sujet de la mise en œuvre d’un plan de développement culturel tous les deux ans». En 2020, Maggy Nagel sera à Dubaï. Quant à Xavier Bettel, il ne cache pas son ambition de rester au pouvoir, si possible comme numéro 1. Pas sûr en revanche qu’il soit prêt à reprendre du service aux Terres Rouges.