Paul Mousel paie le prix fort des malversations dans une affaire de faillite vieille de presque trente ans dont il était le curateur. Condamné en appel, l’avocat d’affaires a aussi perdu son honorabilité pour occuper des mandats d’administrateur dans le secteur financier.
Lorsque le 17 octobre 2019, la banque ING Luxembourg fait acter la démission de Paul Mousel de son conseil d’administration, le petit cosmos financier s’étonne de ce départ aussi soudain que brutal de l’avocat d’affaires. Celui qui dirige encore à l’époque l’étude Arendt, qu’il a co-fondée avec Guy Harles, a aussi rendu (1er octobre selon le rapport annuel 2019) son tablier d’administrateur d’ING Belgium, siège qu’il occupait depuis avril 2014. Là aussi, à la surprise générale.
Dans le secteur bancaire, Me Mousel avait déjà renoncé à son poste d’administrateur de la banque ABLV aux capitaux lettons fin mars 2018. Toutefois, le motif semblait clair, car quelques semaines auparavant, la CSSF avait placé l’établissement en défaut de paiement. Le régulateur du secteur financier a depuis lors scellé définitivement le sort de l’établissement, placé en liquidation judiciaire en 2020.
Démissions préventives
Il a fallu les révélations de Reporter.lu sur la condamnation pour des infractions financières de la célébrité du Barreau en décembre 2019 pour que les raisons de l’abandon de ces mandats auprès d’ING trouvent un début d’explication. Les démissions sont intervenues quelques jours avant son procès qui devait se tenir, après plusieurs remises, le 14 novembre 2019 devant le tribunal correctionnel. Paul Mousel a sans doute voulu anticiper des démissions qui auraient de toute façon été inéluctables dans un secteur aussi régulé que celui la banque.
L’avocat spécialisé en droit financier ne mentionne d’ailleurs plus dans son curriculum vitae son appartenance à des comités de travail au sein de l’Association des banques et banquiers Luxembourg (ABBL) et de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF), le régulateur des banques et des fonds d’investissement.
Dix mois plus tôt, Me Mousel avait connu ses premiers déboires judiciaires: un jugement intermédiaire du 17 janvier 2019 du tribunal correctionnel avait rejeté la prescription des poursuites pour malversation que le Parquet avait retenues contre lui. Paul Mousel avait été inculpé en 2016 par un juge d’instruction aux termes d’une enquête judiciaire qui fut ouverte en 2013, après une dénonciation d’un juge du Tribunal de commerce au sujet des agissements de l’avocat.
Nommé liquidateur en 1993 de sociétés de réassurance Ardenia, Mousel avait engagé des frais importants, notamment pour la domiciliation des sociétés auprès d’une firme dont il était lui-même actionnaire. Le liquidateur se voyait également reprocher «des fautes de gestion», contraires à l’intérêt de la faillite, en faisant notamment exécuter par une secrétaire des travaux lui incombant normalement et pour lesquels il touchait des honoraires.
Recours en cassation
Condamné le 5 décembre 2019 en première instance à 40.000 euros d’amende pour malversation ainsi que prise illégale d’intérêts, le fondateur d’Arendt avait fait appel de cette décision. Trois pointures du barreau de Luxembourg, dont l’ancien bâtonnier Rosario Grasso et le nouveau managing partner d’Arendt en personne, Philippe Dupont, avaient assuré sa défense. La Cour supérieure de Justice a confirmé le 21 juillet la condamnation pénale pour malversation, mais avait abandonné l’infraction de prise illégale d’intérêts. En raison de l’ancienneté de l’affaire et de l’absence de casier du prévenu, la juridiction avait suspendu le prononcé de sa peine.
Paul Mousel a contesté une nouvelle fois la décision devant la Cour de Cassation. L’affaire n’a pas encore été tranchée. En matière pénale, les recours en cassation sont suspensifs, ce qui permet encore à l’avocat de se prévaloir de la présomption d’innocence.
Le conseil de l’Ordre des avocats attend d’ailleurs l’évacuation définitive de cette affaire avant d’engager une procédure disciplinaire contre Paul Mousel pour violation des règles du barreau. Toutefois le principe de poursuites disciplinaires – qui vont du blâme à l’interdiction définitive d’exercer – a été acté. Le prévenu n’avait pas communiqué en effet à sa corporation, comme le règlement intérieur l’y obligeait, qu’il faisait l’objet de poursuites pénales.
Selon les informations de Reporter.lu, Paul Mousel s’était également bien gardé d’avertir ses associés, notamment François Kremer, bâtonnier de 2018 à 2020, des poursuites dont il faisait l’objet depuis 2016.
Mansuétude du Barreau
Si le Barreau de Luxembourg fait preuve d’une relative indulgence envers le fondateur de la plus grande étude d’avocats de la place, en revanche le régulateur du secteur financier n’a pas montré la même magnanimité à son égard. Selon les informations de Reporter.lu, Me Paul Mousel a fait l’objet à l’automne dernier, par la CSSF, d’une «mesure administrative» d’interdiction d’exercer des mandats soumis à son autorisation et d’intervenir dans le contexte d’entités régulées soumises à sa surveillance.
En clair, l’avocat ne remplit plus les exigences d’honorabilité professionnelle pour briguer des postes d’administrateur dans des banques ou des fonds d’investissement régulés, et ce pour une durée de deux ans. La décision de retrait s’expliquerait par le fait que l’avocat n’a pas communiqué à la CSSF son inculpation en 2016 dans le dossier Ardenia, alors qu’il siégeait notamment aux conseils des banques ING et ABLV. Une cachotterie lourde de conséquences en termes de réputation pour celui qui passait, il y a encore un an auprès des étudiants en droit (Paul Mousel enseigne à Uni.lu) et des jeunes juristes, pour une icône du Barreau.
Sur le plan pratique, le retrait d’honorabilité porte moins à conséquence puisque Mousel s’était défait de ses principaux mandats dans le secteur financier peu avant sa comparution devant le tribunal correctionnel.
Pas d’intérêt public
La CSSF s’est refusée à confirmer cette information. Selon nos informations, Paul Mousel n’a pas fait contester la «sanction» de la CSSF devant les juridictions administratives, comme la loi le lui permet. Le régulateur n’a pas communiqué au sujet de cette mesure administrative. Rien ne l’y oblige.
Le principe supposé dissuasif de la publication des noms des contrevenants («name and shame») est acquis pour les sanctions administratives et ne souffre que de rares exceptions. Ce n’est pas le cas des «mesures administratives». Ici, la loi ne prévoit pas de régime spécifique sur la publicité faite aux mesures administratives qui concernent le retrait d’honorabilité de personnes physiques. «Une publication n’intervient que si elle est manifestement d’intérêt public», a fait valoir le service presse de la CSSF.
Pourtant, le régulateur a fait deux exceptions récentes à la règle. En février et en mai 2020, il communiquait en effet sur les retraits respectifs de l’honorabilité de Marc Ambroisien, l’ex-patron de la banque Rothschild (10 ans d’interdiction) et du Britannique David Mapley, administrateur du fonds LFP1, qui avait menti sur son CV (4 ans d’interdiction).
Un siège au Foyer
«L’intérêt public résidait manifestement dans le fait que MM. Mapley et Ambroisien se sont eux-mêmes exprimés dans la presse quant à leur honorabilité avec des contre-vérités», explique le service presse de la CSSF. «Cette initiative de leur part nous a obligés de constater un intérêt public manifeste de devoir clarifier leur situation en rendant nominativement publique la mesure administrative à leur égard».
Paul Mousel ne s’est jamais risqué à s’exprimer sur l’affaire qui l’a conduit devant les tribunaux. Il n’a d’ailleurs pas assisté aux différentes audiences, se faisant chaque fois représenter par des avocats. Contacté par Reporter.lu, Me Paul Mousel n’a pas répondu dans les délais impartis à nos sollicitations.
Sur le site de la firme Arendt, il a ajusté son CV aux circonstances, supprimant toute référence à ses fonctions au sein de comités de travail de la CSSF, qui font intervenir des tiers issus du secteur privé.
L’avocat d’affaires siège encore au conseil d’administration de Foyer, la société faîtière de l’assureur éponyme qui tombe sous le contrôle du Commissariat aux assurances. Contacté par Reporter.lu, le régulateur du secteur n’a pas donné suite dans les délais aux sollicitations de la rédaction sur ses intentions de suivre ou non la décision de la CSSF sur un retrait d’honorabilité. Me Mousel préside la commission administrative du „Centre Hospitalier de Luxembourg“ (CHL), établissement public qui ne tombe pas sous la surveillance d’un régulateur.
A lire aussi


