David Mapley se présentait comme un bienfaiteur au service des victimes d’une fraude à l’investissement. Il est devenu leur bête noire. Le régulateur du secteur financier a mis un coup d’arrêt à son parcours. Considéré comme manipulateur et incontrôlable, il a perdu son honorabilité.

La Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a frappé fort lundi 25 mai en déclarant David Mapley persona non grata pendant quatre ans sur la place financière. Cette mesure administrative est exceptionnelle, tout comme l’est l’histoire de ce Britannique de 60 ans qui se fait volontiers passer pour un justicier de la place financière qui a volé au secours des investisseurs du fonds d’investissement spécialisé (FIS) LFP1, victime d’une importante fraude.

Columna Commodities, un des sous-compartiments du FIS, fut en effet au cœur d’une fraude portant sur 50 millions d’euros. Les fonds se seraient en partie évaporés dans la poche d’un kleptocrate africain, selon un proche du dossier qui a requis l’anonymat. La mission de Mapley devait consister dans le recouvrement des actifs.

Toutefois, le «Robin des bois» de la lutte contre la criminalité financière n’a pas été à la hauteur de sa tâche. D’après le régulateur, Mapley a menti sur son curriculum vitae pour obtenir en septembre 2018 un agrément d’administrateur à la tête de LFP1. Il devait ramener le fonds d’investissement sur de bons rails. Sa mission a mal tourné. «Monsieur Mapley a fourni des informations incomplètes et fausses à la CSSF dans le contexte d’une déclaration sur l’honneur soumise dans le cadre de la procédure d’agrément», signale le communiqué du 25 mai.

Société fictive en Suisse

David Mapley se prévaut d’un MBA à l’Université de Chicago où il a été inscrit entre 1984 et 1985. Il assure diriger Intel Swiss, une société d’investigation financière en Suisse qui n’existe pas. «Il s’agit d’un groupe informel d’investigateurs et d’analystes financiers qui enquête sur les crimes financiers et recouvre les actifs», se défend-il vis-à-vis de REPORTER.

On se demande comment la CSSF a pu admettre un tel individu sans vérifier ses antécédents qui sont assez impressionnants»Un avocat du Barreau de Genève

Son parcours professionnel mentionne une position de CEO de City Windmills, en liquidation depuis 2019. Selon les informations de REPORTER, les actionnaires de cette société qui commercialisait au Royaume Uni des éoliennes pour particuliers, ont porté plainte contre lui devant le procureur général de Genève pour fraude et malversation. Ses détracteurs l’accusent de traîner derrière lui une trentaine de faillites, qu’il s’est bien gardé de déclarer à la CSSF. «On se demande comment la CSSF a pu admettre un tel individu sans vérifier ses antécédents qui sont assez impressionnants», explique à REPORTER un avocat suisse qui a côtoyé Mapley dans le dossier City Windmills.

Quelques mois après sa nomination, ses méthodes musclées, ses fautes professionnelles et sa méconnaissance de la règlementation financière lui valent l’hostilité d’une majorité des actionnaires du FIS. Ils réclament sa démission. Mais l’homme s’accroche à son mandat. Les actionnaires se rebiffent et vont jusqu’à l’assigner en justice. La CSSF est alertée.

REPORTER a pris connaissance d’une assignation devant le tribunal de commerce dans laquelle les investisseurs réclament 41,5 millions d’euros, correspondant à leur préjudice financier du fait des manquements, fautes professionnelles et mensonges imputés à David Mapley et à un autre administrateur de LFP1. Ils sont suspectés de vouloir mettre la main sur les 23 millions d’argent cash qui reste dans un des compartiments du fonds. L’enregistrement d’une conversation téléphonique et des textos, présentés dans le cadre de l’assignation, documentent des pratiques choquantes, à la limite de l’orthodoxie du secteur financier.

Presse instrumentalisée

Mapley n’hésite pas à instrumentaliser la presse pour dénigrer ses contradicteurs. Dans un article très orienté paru fin février dans le Financial Times, le président de LFP1 indique avoir saisi l’autorité européenne des marchés financiers pour dénoncer la propension de la CSSF à se mettre davantage au service du marketing de la place financière que d’agir en faveur de la protection des investisseurs.

Le Britannique refuse obstinément de mettre en œuvre une résolution de l’assemblée générale des actionnaires pour le transfert d’un des compartiments «sains» de LFP1 dans un autre fonds d’investissement. Le 30 avril dernier, dans un courrier que REPORTER s’est procuré, un groupe d’actionnaires représentant 60% du capital réclame, endéans le mois, la tenue d’une assemblée générale extraordinaire pour obtenir la démission de Mapley et des deux autres administrateurs du fonds.

A REPORTER, Mapley assure avoir soumis une demande de convocation à la CSSF et être en attente d’une réponse.

Un FIS hors de contrôle

La décision du 25 mai de la CSSF devrait accélérer la fin du mandat de Mapley. Le fait que son nom ait été mentionné dans la décision administrative, pratique rarissime, témoigne à la fois de l’urgence de l’intervention du régulateur et de la gravité des reproches formulés à son encontre.

David Mapley n’est pas venu par hasard au Luxembourg»Un proche du dossier

Hors de contrôle, le fonds d’investissement n’a plus de banque dépositaire. En juillet 2019, la CSSF l’a retiré de sa liste officielle des fonds  des FIS et depuis cette date, intervient comme commissaire de surveillance, ce qui réduit en principe le champ d’action du fonds aux seuls actes conservatoires. Or, le conseil d’administration est soupçonné de vouloir s’affranchir de ces contraintes. La paralysie du FIS est totale. De nombreux actionnaires se sentent pris au piège.

De fait, le retrait de son honorabilité par la CSSF devrait obliger Mapley à se défaire de son mandat de président du conseil d’administration de ce fonds régulé. Toutefois, dans un communiqué de presse, le Britannique déplore le caractère «unilatéral» de la décision et annonce, droit dans ses bottes, qu’il fera appel devant le tribunal administratif. Il s’en prend au régulateur qu’il accuse de complaisance dans la protection des investisseurs et la lutte contre les crimes financiers.

Il faut donc s’attendre à une longue bataille judiciaire et, dans le même temps, à un grand déballage de linge sale. Il faudra probablement du temps avant que ne sorte des radars de la place financière un personnage aussi controversé.

Un dossier qui en cache un autre

«David Mapley n’est pas venu par hasard au Luxembourg», indique un proche du dossier qui a requis l’anonymat. «Alter Domus a présenté son dossier de demande d’autorisation comme administrateur du fonds à la CSSF», précise cette source. Le service communication d’Alter Domus juge cette assertion inexacte.

Le dossier Mapley ne serait que la pointe de l’iceberg d’une affaire bien plus vaste qui trouverait son origine dans la vente chaotique en 2018 de Luxembourg Fund Partners (LFP), société de gestion de fonds, qui avait offert ses premiers administrateurs à LFP1.

Les conditions de l’arrivée du dirigeant britannique aux commandes du fonds sont énigmatiques. Sa venue au printemps 2018 correspond à la vente au prestataire de services financiers Alter Domus de LFP. Mais les négociations entre LFP et Alter Domus ont mal tourné. L’acheteur a suspendu la dernière tranche du paiement au vendeur après que Mapley ait commencé à tirer ses premières salves contre ses prédécesseurs au conseil d’administration de LFP1, les accusant de complicité dans la fraude à 50 millions d’euros sur le compartiment Columna Commodities. Une fraude que les auditeurs du fonds n’avaient pas détectée et que les ex-administrateurs avaient eux-mêmes dénoncée aux autorités. Ces anciens administrateurs de LFP1 sont aussi les vendeurs de la société de gestion.

Mapley considère qu’il s’agit du crime financier luxembourgeois de la décennie et le compare aux affaires Madoff et Landsbanki.