Cinq mois après sa condamnation à 40.000 euros d’amende pour malversation financière par un tribunal correctionnel, l’avocat star Paul Mousel se retrouve devant la Cour d’appel. Ses trois avocats font valoir la prescription des faits et l’incohérence des préventions à son encontre.

Son procès en première instance en novembre dernier s’était tenu sans lui et dans la plus grande discrétion. Son audience devant la Cour d’appel vendredi 22 mai a fait se déplacer les journalistes judiciaires, mais le prévenu n’était pas présent.

Pour autant, Paul Mousel, cofondateur d’Arendt&Medernach, la plus grande étude d’avocats luxembourgeoise, a mis les grands moyens pour assurer sa défense dans une affaire hors norme qui jette une ombre sur une carrière jusqu’à présent sans faille. Pourtant, il n’a pas comparu en personne, estimant avoir déjà tout dit aux enquêteurs.

Un litige à 42.692 euros

En octobre 2012, alors que Paul Mousel est curateur de deux sociétés du nom d’Ardenia en faillite pour fraude depuis 1993, un juge-commissaire en charge de leur contrôle saisit le Procureur d’Etat car il soupçonnait l’avocat de faire trainer en longueur la faillite et de faire effectuer son travail par une employée subalterne. Le magistrat doutait que cette dernière travaille «dans l’intérêt de la faillite». Il s’interrogeait aussi «sur la pratique très inhabituelle de domiciliation d’une société faillie». D’autant que le juge n’avait pas donné son autorisation formelle.

L’enquête judiciaire a démarré en janvier 2013. Un premier interrogatoire eut lieu en juin 2013. Paul Mousel s’y rendit sans avocat. Trois ans plus tard, il fut inculpé par un juge d’instruction.

Paul Mousel avait signé un contrat de domiciliation des sociétés en faillite avec la société Mercuria Services dont il était co-actionnaire. Lorsqu’en 2008, Arendt&Medernach vend sa société de domiciliation à un tiers, le siège des deux sociétés est rapatrié à l’étude. Cette domiciliation litigieuse, qui a rapporté 42.692 euros à Mercuria, a renvoyé Paul Mousel devant un tribunal correctionnel et lui a valu le 5 décembre 2019 une condamnation à 40.000 euros d’amende.

Inquiétude des curateurs

Trois pointures du barreau, dont deux d’Arendt&Medernach, ont assuré sa défense dans un procès en appel qui se poursuivra le 12 juin. Ses avocats entendent en faire «une affaire de principe», car la condamnation pénale en première instance de Paul Mousel pose, à leurs yeux, de sérieux problèmes à l’ensemble des professionnels des faillites, qui assurent une mission de service public, et met en cause leurs pratiques, notamment en matière de siège social et d’emploi de personnel pour épauler les curateurs. La loi est muette sur ce point. «Les curateurs sont inquiets», a fait valoir Me Rosario Grasso, l’un des avocats du prévenu.

Comment Me Mousel, qui facture ses honoraires à 450 euros par heure, aurait-il eu l’intention de s’enrichir sur une opération qui lui a rapporté 111 euros?»Philippe Dupont, Arendt&Medernach

L’audience du 22 mai devant les juges d’appel a surtout témoigné de l’inquiétude des défenseurs de Paul Mousel qui cherche à échapper à une condamnation pénale. Aussi, la défense a plaidé la prescription des poursuites pour malversation et prise illégale d’intérêts en demandant à la Cour de livrer un arrêt séparé sur cette question avant d’aller plus loin dans l’instruction de l’affaire.

Marc Schiltz, le substitut du procureur général, s’y est opposé avec véhémence, rappelant qu’en première instance, la prescription des poursuites avait déjà été tranchée par un jugement séparé. N’ayant pas fait l’objet à l’époque d’un appel, cette décision a l’autorité de la chose jugée.

A noter qu’en première instance, Jean-Paul Frising, le procureur d’Etat (aujourd’hui en retraite), était d’avis que le dossier était prescrit.

«Une très mauvaise opération»

Après une interruption d’audience, les juges ont suivi le substitut et mis la question de la prescription au fond. Le procès Mousel a donc pu poursuivre son cours.

Le prévenu se défend d’avoir cherché à s’enrichir sur les faillites Ardenia. Me Philippe Dupont, l’un de ses avocats et actuel numéro 1 d’Arendt&Medernach, assure que Mercuria a fait «une très mauvaise opération» avec Ardenia et «perdu économiquement». La société de domiciliation dont Mousel était actionnaire facturait 1.200 euros bruts par mois, soit un montant de 111 euros revenant au prévenu. «Comment Me Mousel, qui facture ses honoraires à 450 euros par heure, aurait-il eu l’intention de s’enrichir sur une opération qui lui a rapporté 111 euros?» a fait valoir son avocat.

L’indication du tarif horaire de 450 euros serait toutefois très éloignée de la réalité, Me Mousel facturant un montant bien plus important, selon les informations de REPORTER.

Nous suivons le dossier de près et je peux assurer qu’il sera traité comme toute autre affaire et Me Mousel sera considéré comme tout autre avocat»Me François Prum, bâtonnier sortant

L’audience du 22 mai s’est faite en présence de Me François Prum, le bâtonnier sortant, Me François Kremer, le bâtonnier en fonction ne pouvant pas s’occuper du dossier Mousel compte tenu de son appartenance à l’étude Arendt&Medernach.

Suites disciplinaires?

Le Conseil de l’ordre des avocats s’intéresse à cette affaire à double titre. Il y a d’abord l’affaire Mousel elle-même qui, si le jugement du 5 décembre devait être confirmé, pourrait donner lieu à des suites disciplinaires. «Nous suivons le dossier de près et je peux assurer qu’il sera traité comme toute autre affaire et Me Mousel sera considéré comme tout autre avocat», explique Me Prum à REPORTER.

Le second volet de l’affaire concerne l’attitude avec laquelle Me Grasso, qui était à l’époque bâtonnier, a géré le mandat que lui avait confié son confrère Me Mousel. Lors de la convocation de ce dernier devant le juge d’instruction en juin 2016, Me Grasso a indiqué à REPORTER qu’il ne pouvait pas assister son client sous sa double casquette, alors que la présence du bâtonnier est requise lors d’inculpations des membres du barreau.

Aussi, a-t-il demandé à un de ses confrères du Conseil de l’Ordre de représenter le bâtonnier lors de l’interrogatoire. Un rapport a été rendu à la suite de la convocation au cabinet d’instruction, mais ce rapport n’aurait été relayé ni aux autres membres du Conseil de l’Ordre ni aux vice-bâtonnier de l’époque, alors que celui-ci est le représentant legal du bâtonnier quand ce dernier est empêché.

François Prum et François Kremer (actuel bâtonnier et propre associé de Me Mousel) assurent d’ailleurs avoir pris connaissance du cas Mousel par l’intermédiaire de REPORTER, un mois après la condamnation pénale du célèbre avocat.


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