Retour sur la septième semaine de confinement dans le quartier de Gasperich à Luxembourg: Le home schooling est soumis à l’épreuve de la durée, la météo joue avec les nerfs des confinés qui s’habituent à porter leur nouveau passeport pour la liberté.

Les hautes pressions, qui protégeaient le nord de l’Europe, ont fait relâche après six semaines de confinement. La chute du baromètre, le froid et les bourrasques de pluie ont raison du moral des plus stoïques dans l’épreuve collective. Le «Lockdown» n’a jamais si bien porté son nom. Alors que le chiffre symbolique de la «quarantaine» est dépassé, le ciel incertain est le miroir des doutes existentiels partagés sur son smartphone ou ruminés la nuit. Le travail, l’amour, les amitiés, les liens familiaux, le deuil, tout est hors cadre et sous tension. Difficile d’accepter que le déconfinement ne sera pas une libération. Plutôt un recadrage de nos modes de vie, sous surveillance réciproque.

«Les gens sont stressés», observe Jérôme, le gérant du Smatch, pendant sa pause cigarette. Pourtant, tout est sous contrôle chez lui. Ce qui n’était pas le cas au début du confinement. L’équipe de cette petite surface commerciale de proximité, située rue de Gasperich, avait dû faire face au Covid-19 dans l’urgence et avec les moyens du bord: des masques dépareillés donnés par des entreprises du coin et des lunettes offertes par l’opticienne d’en face, avant qu’elle ne ferme boutique.

Aujourd’hui, les clients trouvent à l’entrée du magasin des gants et du gel hydroalcoolique en libre-service. Caddys et paniers roulants sont désinfectés deux fois par jour par le personnel qui porte des masques FFP3. Une signalisation oriente les acheteurs dans un sens unique et les maintient à distance avant de passer à la caisse, laquelle est protégée par une paroi vitrée. Mais depuis le 20 avril, on ne rentre plus dans le supermarché sans un masque.

Un passeport pour la liberté

«95% des gens le portent. C’est les 5% qui posent problème. Il y a des clients qui nous reprochent de ne pas faire la police. Mais on n’est pas là pour ça! D’ailleurs, il y a un écriteau à l’entrée qui rappelle que le masque est obligatoire», dit le gérant en pointant l’affiche réglementaire. «Et j’aime pas qu’on me prenne pour un idiot», ajoute-t-il. «Un client m’a dit qu’il avait oublié son masque dans sa voiture. Sauf qu’il était venu en vélo. Le copain qui l’accompagnait me l’a dit!»

La menace du Covid-19 reste dans tous les esprits. Les statistiques annoncent fin avril une quinzaine de nouvelles personnes contaminées par jour. Le reflux de la pandémie se confirme. Mais 92 personnes sont déjà décédées dans le pays. Qui sait si le coronavirus ne traîne pas dans le quartier?

Un homme de forte corpulence stationne sur son fauteuil roulant devant une caisse. Il a eu le temps de s’habituer au masque. «Je le porte depuis le début du confinement. Avec mes problèmes de santé, j’ai pas le choix. Mais c’est pas pratique, surtout avec des lunettes. J’ai toujours de la buée dessus», dit-il en saisissant un pack de lait qui vient écraser ses genoux.

Un peu plus loin, à la pharmacie Bei der Auer, une octogénaire vêtue d’un manteau d’hiver fait l’apprentissage de ce nouveau passeport pour la liberté. «Je n’étais pas sortie depuis six semaines. J’ai un peu la tête qui tourne. C’est peut-être le masque. À moins que ce ne soit l’air frais», dit-elle à la pharmacienne qui vérifie si l’ordonnance du docteur, envoyée par mail, est prête.

Comme tous les habitants de Gasperich, elle a reçu le lundi 20 avril au matin, dans sa boîte aux lettres, un kit de cinq masques. Le paquet est arrivé dans les temps, avec un nombre de lots correspondant à celui des résidents au domicile. Dans le chaos de notre quotidien, cette efficacité, à défaut d’être un gage d’immunité, rassure.

Un apprentissage au quotidien

Jonas aussi a reçu des masques. Mais à quatre ans «et demi», ses parents doutent qu’il le porte lorsqu’il reprendra l’école. De toutes façons, ce n’est pas avant le 25 mai. Et il s’en réjouit. «Moi j’aime bien être à la maison», dit mon petit voisin de la rue Marie de Zorn. Coup de chance pour Jonas, la maison était en travaux avant le début du confinement. Tout s’est figé pendant la phase de démolition. Le chantier de la salle à manger s’est transformé en salle de classe. Sur les murs, une horloge géante côtoie un calendrier des quatre saisons et des listes de vocabulaire soigneusement copiées par sa grande sœur, Nina, six ans «et demi».

Elle commence à trouver le temps long. «J’ai envie de revoir mes amis et ma Joffer», confie-t-elle en s’appliquant sur un dessin à colorier. Depuis la fin des vacances de Pâques, la maîtresse a remplacé les fiches imprimées par des rendez-vous quotidiens d’«école en ligne» par petits groupes d’élèves, avec des vidéos d’activités ou exercices à faire. «Cela permet à Nina de voir ses camarades et d’entendre du luxembourgeois. C’est important car on ne le parle pas à la maison», dit Catherine, sa maman originaire de Lorraine. Elle témoigne que le «home schooling» n’est pas évident pour tous dans le quartier: «Certains parents ne parlent ni luxembourgeois – la langue des exercices – ni le français – la langue des explications». Pour garder le contact, les familles s’échangent des photos et vidéos à travers un groupe whatsapp créé en début d’année.

Durant les cinq premières semaines de confinement, Romain et Catherine se sont relayés par demi-journée auprès des enfants, en alternant télétravail et présence au bureau. Avec la reprise du secteur du bâtiment, c’est devenu plus compliqué. Romain supervise la maintenance de l’immeuble d’une institution européenne. «Il y a six semaines à rattraper, tout en continuant à s’occuper des enfants». Catherine, responsable des ressources humaines dans une association humanitaire internationale, jongle aussi entre bureau, téléconférences et suivi scolaire. Le retour des enfants à l’école sera le bienvenu et la perspective ne l’effraie pas. «On a vécu un an en Afrique avec les enfants qui étaient très petits. Alors question virus, on en a vu d’autres!»

Dans sa courette de la rue de Gasperich, madame Flor attend elle aussi la rentrée des classes. Depuis le 16 mars, un silence de plomb répond aux sonneries qui rythment toujours la journée à l’école. «Les enfants me disaient bonjour quand ils passaient devant chez moi. Ils sont gentils. Cela fait cinquante ans que j’habite là. Pensez si j’en ai vu!», me dit-elle lorsque je la croise vendredi. Sa main caresse un brin de muguet cueilli pour elle par une voisine du quartier. Quand ce qu’elle appelle «les Evénements» seront finis, elle sera au rendez-vous, «dans le coin de ma cour. Comme d’habitude».


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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich au Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste du monde, il vit désormais à l’heure du coronavirus.