Une rencontre dans un foyer où sont confinés des jeunes, la redécouverte de la fièvre du vendredi soir et l’apprentissage de la communication en mode masqué: cette chronique revient sur la cinquième semaine de confinement dans le quartier de Gasperich à Luxembourg. 

«J’aurais jamais imaginé dire un jour une chose comme ça. Mais j’en peux plus. Je veux retourner à l’école!» C’est un cri du cœur pour Xavier. Enfin, il ne s’appelle pas Xavier mais c’est le pseudonyme qu’il choisit lorsque je le rencontre. «Ben oui, comme Xavier Bettel…» propose cette tête blonde avec un brin de provocation et d’amusement au coin de l’œil. Mercredi, le Premier ministre a annoncé le déconfinement par étapes à partir du 20 avril. Cela lui a mis du baume au cœur.

Comme 16 autres camarades, des garçons et filles entre 15 et 20 ans, Xavier vit au foyer Vivo, au fond de l’impasse du Lemerwee dans la cité de la Sauerwiss. Ces jeunes malmenés par la vie ont été placés dans ce refuge soit sur décision judiciaire, soit de leur propre initiative parce que la cohabitation familiale était devenue impossible. Depuis cinq semaines, Xavier et ses camarades sont des confinés sans droit de visite ni de sortie. Ils vivent en vase clos. Hormis leurs éducateurs et leurs familles, avec lesquels certains réussissent à communiquer, qui s’en soucie? Le Covid-19 les a mis un peu plus hors circuit.

Huis-clos

Au foyer Vivo, j’ai rencontré Xavier donc, mais aussi Tim, Jean-Marie, Gabriel, Olima. Chacun s’est choisi un pseudo, peut-être celui de la personne qu’ils sont en train de reconstruire entre ces murs. L’association «Solidarité Jeunes» a investi en 2013 ce bâtiment moderne, fonctionnel et sans charme, initialement conçu pour des personnes souffrant d’Alzheimer. Des fenêtres à l’arrière de la rue de la Déportation et de la rue Rossini, on a vue sur les jeunes filles en maillot de bain qui bronzent au soleil sur la pelouse du terrain entouré d’une clôture.

La température extérieure, en ce vendredi de la cinquième semaine de confinement, approche celle de la Riviera au mois de juin. Un haut-parleur arrose le pâté de maisons de musique RnB. Pour les voisins, c’est toujours mieux qu’une descente de police pour une histoire de drogue ou de fugue.

«En ce moment, c’est calme», observe Marco, le responsable du foyer. «Ils réagissent extrêmement bien à la situation», confirme Marie-France, l’une des éducatrices. L’épreuve, contre toute attente, les a soudés. Jeunes et éducateurs. «Notre objectif, c’est zéro malade dans le foyer. Vivo doit l’emporter sur le Covid-19 et pour l’instant, on mène!», dit fièrement Gabriel, un ado volubile coiffé d’une casquette retournée sur l’arrière.

Les jeunes me confient la difficulté des débuts du confinement. Le week-end avant le 16 mars, la plupart étaient de sortie dans leurs familles: «On a dû passer une semaine seuls dans nos chambres pour être sûrs que personne n’était revenu avec le virus». Depuis, ils s’inquiètent pour leurs familles ou leurs amis. Le temps s’étire en longueur. La motivation des lycéens à faire leurs devoirs faiblit à mesure que le confinement se prolonge. Les stages ou apprentissages ont été suspendus. Il y a bien les sorties à vélo ou à pied. Mais uniquement avec les éducateurs.

Et puis, il y a eu les deux semaines de vacances. «On est fatigué à rien faire», résume Olima, bouille ronde et cheveux en pétard sur la tête. Tim, le charmeur survolté, vit la nuit et dort le jour. Il claque l’argent de son apprentissage à acheter des babioles sur Amazon. Me montre fièrement sa dernière acquisition: une chaise «méga confo» pour jeux vidéos. «Livrée en deux jours!» Jean-Marie, fine silhouette et yeux de velours, aime lire. Un éducateur lui a prêté «L’homme qui voulait être heureux», de Laurent Gounelle. Cela l’inspire. Xavier explose ses scores de «Need for Speed» sur Play Station.

La fièvre du vendredi soir

L’atmosphère estivale combinée au discours de Xavier Bettel a fait sauter un verrou en ce vendredi soir qui va me donner l’occasion de découvrir une facette insoupçonnée de mon quartier sous confinement. «Tu es invitée ce soir chez C. avant les applaudissements de 20h. Chacun apporte son verre et sa chaise». Faut-il s’y rendre? Malgré les remontrances de mon fils, je décide d’aller voir de plus près de quoi il retourne, armée de mon masque alternatif et de ma bonne conscience de chroniqueuse. C’est l’occasion de découvrir les nouvelles formes de sociabilité qui s’inventent sous Covid-19. Je ne vais pas être déçue.

Dans le lotissement construit par la ville de Luxembourg dans les années 2000 à l’ouest du quartier, entre la Sauerwiss et le jardin anglais, vit un melting-pot de fonctionnaires, employés et indépendants de toutes nationalités. Devant la maison de l’hôtesse, en cercle et à distance réglementaire, huit convives trinquent et font connaissance en luxembourgeois, français et anglais tandis qu’un haut-parleur rend un mélodramatique hommage à «Aline», orpheline de Christophe.

Les voisins chinois, indiens et portugais saluent à distance. La police aussi, dont la voiture passe à deux reprises devant la maison sans ralentir. Les masques sont remisés au fond des poches. Communiquer avec ça? On n’a pas encore le mode d’emploi.

Les jeunes boudent la réunion. Ils prennent le confinement au sérieux. À moins qu’ils n’attendent leur heure? La réponse se présente sur le chemin du retour, à la nuit tombée. De l’autre côté des rangées de maisons s’étend une vaste agora composée du patchwork des jardins privatifs. Insoupçonnable de la rue principale, on la découvre par la trouée d’une ruelle perpendiculaire. Une ambiance de folie y règne. C’est la fièvre du vendredi soir en mode nostalgie. Les riverains ont sorti spotlights et guirlandes. Ils s’agitent sur leurs balcons sur le tube de Khaled: «On va s’aimer. On va danser. Oui, c’est la vie. La la la la la!»


Retrouvez toute la chronique:

Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich à Luxembourg est au carrefour du monde globalisé dans lequel nous vivons, tout en ayant l’échelle et l’organisation d’un village. Comme le reste de la planète, il vit désormais à l’heure du coronavirus.