Cette chronique revient sur la quatrième semaine de confinement dans le quartier de Gasperich à Luxembourg. Il y est question de cavalcade nocturne, d’une fin de quarantaine et des confessions du curé Romain Kroeger.

Ils sont peu nombreux mais toujours déterminés. Le rituel ne varie pas. Chaque soir à 20 heures, un piano donne le ton rue Marie de Zorn en plaquant les accords de «L’hymne à la joie». Les notes traversent le Müllenweg pour dévaler la rue Marie-Louise Tidick-Ulveling où les rejoint un concert de tambourins, sifflets et tintements de couvercles de casserole. Ces cloches de fortune font bonne figure en attendant que résonnent celles de l’église du quartier, en quarantaine jusque Pâques. La cavalcade sonore se poursuit en bifurquant à gauche dans la rue René Weimerskirch. Les familles au balcon ou à la fenêtre battent la mesure avec leurs applaudissements, dans cet axe de la cité de la Sauerwiss qui prend soudain des allures de «piazza».

De part et d’autre de la rue, on s’échange les derniers potins. «Il y a un malade dans l’immeuble mais il va mieux!» ; «Mon fils a eu l’autorisation de la police de tourner le clip des chansons qu’il vient de composer. Depuis quatre semaines, il ne fait que ça. On va le poster sur Facebook dès qu’il sera prêt» ; «Moi, les courses, c’est une fois tous les quinze jours, j’arrive à tenir comme ça» ; «Le Smatch du quartier, c’est bien point de vue hygiène. Pas la peine d’aller plus loin. Les caissiers ont un masque et du gel hydroalcoolique».

Du côté de la rue Jean-Pierre Koltz à l’ouest du quartier, ou de la rue Aristide Briand au sud, on entend l’écho des trompettes et des mains elles-aussi frappées en cadence pour remercier les soignants en première ligne dans la lutte contre la pandémie. Ils tiennent bon. Alors pas question de relâcher la garde de notre côté. «Bleift doheem». Ou le plus possible.

Pas évident, quand le soleil nous baigne de la douce chaleur d’un mois de juin. Les enfants sont en vacances. Pour les parents, il va falloir tenir deux semaines sans pouvoir les occuper avec les devoirs. Les gamins ne sortent pas, ou peu. Avec le confinement, ils ont comme disparu de la circulation. C’en est presque effrayant.

Signes du ciel

Le curé de Gasperich-Hollerich-Cessange ne partage pas les instants de communion nocturne avec ses paroissiens. Il ne sera pas là non plus dimanche pour entendre les cloches tinter gaiement en haut de son clocher et disperser les œufs de Pâques dans les jardins du quartier. Le père Romain Kroeger est confiné à Belvaux, dans la maison familiale où il a déménagé il y a huit mois. Pas de gaieté de cœur.

«Cela faisait 22 ans que je vivais dans le presbytère de Gasperich, au milieu de mes paroissiens. Après la nouvelle convention de 2015 entre l’État et l’Église, la commune a voulu me faire payer un loyer. Je n’avais pas envie de diminuer mon salaire d’un tiers alors que mon travail reste le même! Alors je suis parti», dit le curé que je contacte par téléphone pour savoir comment il prépare les fêtes pascales. La tonalité de sa voix laisse entendre la crispation d’une réforme mal digérée.  D’ailleurs, il ne suivra pas la messe en « live-stream » du cardinal Hollerich sur le site cathol.lu. «Je célèbrerai Pâques seul, chez moi, en communion avec mes paroissiens que je porterai dans mes prières».

Avec sa silhouette arrondie de bon vivant et sa voix chaleureuse d’ancien gamin du sud du pays, Romain Kroeger a recueilli depuis le début de son sacerdoce non seulement les confessions de ses paroissiens, mais aussi de nombreuses histoires et anecdotes du quartier. Une mine d’or. Mais qui s’en soucie encore? Avant la pandémie, entre six et huit  personnes assistaient régulièrement à ses offices du samedi soir ou du dimanche matin. Dix fois moins qu’à ses débuts. La démographie du quartier a changé. Les Luxembourgeois y représentent désormais moins d’un tiers des habitants. «L’emploi du temps de beaucoup de gens ne leur laisse pas le temps d’aller à la messe. Les pratiquants célèbrent la messe dans leurs communautés linguistiques respectives, à Bonnevoie, à la gare ou ailleurs. Et beaucoup de personnes âgées sont dans les maisons de retraite», observe le curé, fataliste.

Combien parviendront à surmonter le Covid-19? Pour l’instant, ses vieux tiennent bon. Le curé n’a été contacté que pour un seul décès lié au coronavirus depuis le début du confinement. Un paroissien de Hollerich. Le rituel, réduit à la phase d’inhumation, est accompli en une quinzaine de minutes dans la plus stricte intimité familiale. Difficile de faire son deuil dans ces conditions. Le prêtre s’en désole.

Nouveau départ?

La Super lune qui rayonne dans le ciel immaculé du mardi 7 avril ouvre une période au cours de laquelle juifs et chrétiens célèbrent leurs Pâques, deux semaines avant que ne démarre le ramadan pour les musulmans. Sur les  réseaux sociaux et dans les médias, des voix s’interrogent sur le sens à donner au temps suspendu créé par la pandémie et débattent d’un monde meilleur.

Pendant ce temps, les files de clients se sont reformées devant la pharmacie «Bei der Auer». Mercredi, les masques sont enfin arrivés. Le stock de 1500 pièces est parti en trois jours. D’autres livraisons sont annoncées.


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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich à Luxembourg est un village au carrefour de notre monde globalisé. Comme le reste de la planète, il vit désormais à l’heure du coronavirus.