Durant la troisième semaine de confinement à Gasperich, la docteure Ludmila Marin raconte sa quarantaine, les jardiniers s’organisent pour la prochaine récolte tandis que les escapades des uns exaspèrent les autres.

Elle est toujours confinée mais, cette fois, elle prend le temps de répondre au téléphone. «Je suis encore très fatiguée. Avec de fortes douleurs articulaires, de la toux, une difficulté à respirer, des maux de tête. Mais je n’ai pas de fièvre. Il y a des hauts et des bas. J’ai été testée négative il y a dix jours. Je ne sais pas à quoi m’en tenir. Il y a aussi les pollens en ce moment», dit la docteure Ludmila Marin avec sa pointe d’accent non pas slave, comme je l’ai cru lors de notre premier contact, mais roumain. Elle fait partie de ces 20.883 personnes qui ont été testées négatives au Covid-19 depuis le début de la pandémie au Luxembourg, sur 23.687 tests pratiqués. L’examen n’est pas fiable à 100%. Or Ludmila Marin n’a pas le droit à l’erreur.

Sa mère de 90 ans, une femme «qui faisait encore le ménage chez elle», est venue lui rendre visite de Roumanie. Le 16 mars, premier jour du confinement, il a fallu appeler les urgences pour un problème cardiaque. Une expérience traumatisante. «Je l’ai laissée partir dans l’ambulance sans pouvoir l’accompagner, alors qu’elle ne comprenait rien à ce qu’on lui disait. Et quand finalement j’ai pu me rendre au Centre Hospitalier le soir, j’ai pris la mesure de la mobilisation contre le coronavirus. C’était hallucinant. Je me suis dit qu’elle allait attraper la maladie là-bas. Et si elle mourait, comment allais-je pouvoir rapatrier son corps en Roumanie?»

Quatre jours plus tard, sa mère rentre à la maison. Précisément au moment où Ludmila Marin commence à développer des symptômes suspects. Malgré le test négatif, la docteure s’interroge: ne risque-t-elle de contaminer sa mère, ou sa fille de 26 ans? Dans le doute, le confinement est organisé dans sa maison rue Rossini, à quelques pas de son cabinet, dans la cité de la Sauerwiss. Chacune dans une pièce. Un maximum de précaution pendant les soins. Dès qu’elle va mieux, Ludmila Marin répond aux appels de ses patients. Elle n’a traité qu’un seul cas de Covid-19 à ce jour. Un jeune père de famille qui n’est pas du quartier. «Je vis l’une des périodes les plus difficiles de ma vie», confie celle qui est arrivée il y a 30 ans au Luxembourg, après la chute de Ceaucescu.

Ludmila Marin veille sur sa mère mais ne la prend plus dans ses bras. «Si on aime quelqu’un, alors il faut se tenir à distance, même chez soi». Elle a débranché sa télé. S’informe du nécessaire. «Les médias cassent le moral des gens. Il faut mettre l’accent sur les choses positives. C’est important pour l’immunité». Au petit matin, elle boit le café sur sa terrasse. «J’écoute les oiseaux. Il n’y a presque plus d’avions. C’est un moment de grâce», confie-t-elle. La nuit, les étoiles brillent comme jamais dans un ciel lavé des particules toxiques du trafic routier.

Poussée de sève

La météo met du baume au cœur de ceux qui angoissent derrière leurs murs, entre questions existentielles, états d’âme sentimentaux, soucis financiers et courbe ascendante du nombre des contaminés. Les quelques nuages de début de semaine s’éclipsent vite devant le soleil qui revient, plus conquérant encore. La température s’essaie à frôler les 20 degrés.

La nature rattrape son retard après le froid sec des semaines précédentes. Les bourgeons éclatent sous la poussée des feuilles. Les jonquilles tiennent la tête haute à côté des jacinthes dans ce quartier où la plupart des habitants ont un petit bout de jardin ou un balcon où faire pousser quelques plantes.

«Il y a des semences et des plantes au nouveau Garden Center, anciennement Gamm Vert», annonce une main verte sur le nouveau groupe Facebook Gasperich SOLIDAIRE, qui a attiré en une semaine plus de 140 membres. Un voisin précise que l’horticulture et l’agriculture sont autorisées par le règlement grand-ducal de lutte contre la pandémie.

La vie reprend aussi dans les jardins familiaux qui ceinturent le sud-est du quartier, à la frontière du nouveau quartier de la Cloche d’Or. La ligue «Coin de Terre et du Foyer» (CTF) a dû laisser filer les terrains qui se trouvaient derrière l’Église, où les Porsche et Maserati gardent désormais des immeubles de standing. Mais dans le périmètre de la rue François Hogenberg, l’association tient bon.

68 parcelles y sont attribuées à des habitants des environs, parmi lesquels Luis Aires. Cet ancien ouvrier du bâtiment portugais exploite sa parcelle de deux ares depuis une vingtaine d’années. Vêtu d’un pantalon de travail et d’un sweat-shirt rouge à capuche, barbe blanche soignée et lunettes de soleil teintées, il est à pied d’œuvre tous les jours. Pendant ce temps, sa femme s’occupe de personnes âgées. Elle est infirmière pour l’association de soins à domicile «Hëllef Doheem». «On peut enfin rattraper le retard. J’ai planté des oignons et des pommes de terre. Le reste c’est pas la peine. Les nuits restent trop froides», me dit Luis à distance réglementaire. À l’extérieur du chalet en bois où se réunit l’association CTF est affiché «L’aide-mémoire du potager». Les recommandations pour les semis et repiquages des légumes y sont soigneusement notées à l’attention de la jeune génération qui s’essaie à la permaculture.

L’échappée belle

Ce week-end, la tiédeur de l’air a poussé bon nombre de voisins hors des murs. Comme si, le temps d’une parenthèse vite refermée, les digues lâchaient après trois semaines de confinement. On sent l’envie de revenir à sa vie d’avant. Une nostalgie d’odeur de sardines partagées entre amis, n’en déplaise aux voisins.

Certains s’en offusquent et envisagent de prévenir la police. Du coup, d’autres s’inquiètent du retour des «Giele Männercher» qui renseignaient la Gestapo. La police, elle, se montre plutôt discrète et conciliante. L’antenne locale est fermée depuis le 16 mars. Les rondes sont rares dans ce quartier multiculturel qui, contre toute attente, s’est vite mis au diapason de la discipline luxembourgeoise.

Comme les autres, madame Flor profite des beaux jours assise à la table de sa courette, en compagnie de ses cinq nains de jardin. Toute pimpante, elle a sorti sa robe de chambre assortie à ses yeux et au ciel.


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Avec ses 7.700 habitants de 111 nationalités, le quartier de Gasperich à Luxembourg est un village au carrefour de notre monde globalisé. Comme le reste de la planète, il vit désormais à l’heure du coronavirus.