Etienne Schneider a rejoint en janvier le conseil de surveillance de «Mikro Kapital Management». Implantée au Luxembourg depuis 2008, la société vient de faire l’objet d’un avertissement de la CSSF. Son fondateur Vincenzo Trani est présenté comme l’homme de Poutine en Italie.
«01», «02» et «03», les trois premiers fonds de titrisation luxembourgeois à s’être enregistrés entre les 11 et 14 mars derniers au Registre de commerce appartiennent à l’Italien Vincenzo Trani. Fondateur du groupe «Mikro Kapital», qui a son siège à Luxembourg, l’homme d’affaires est présenté dans la presse de son pays comme l’homme de Vladimir Poutine en Italie. Président de la chambre de commerce italo-russe, il était en tout cas incontournable pour faire des affaires avec Moscou. «Grâce à ses clés, il peut ouvrir les portes du Kremlin. Les grandes entreprises énergétiques, le gouvernement, Trani a – ou peut-être avait – la clé de tout», écrit «La Repubblica» le 9 mars en marge d’une interview que le quotidien lui consacre.
Vincenzo Trani et son groupe ont retenu l’attention des médias au début de l’invasion de l’Ukraine par la Russie en raison de la présence au conseil d’administration d’une des filiales russes de l’ancien Premier ministre Matteo Renzi. Sous pression de l’opinion publique, ce dernier a démissionné de son mandat de «Carsharing Russia LLC», société d’autopartage opérant sous le nom commercial «Delimobil.ru». Il y avait été nommé en octobre 2021, en perspective d’une introduction en bourse de la société cette année.
Entreprise «hautement éthique»
Etienne Schneider a rejoint lui «Mikro Kapital Management» le 10 janvier dernier comme membre du conseil de surveillance. Mis en place en parallèle du conseil d’administration présidé par Vincenzo Trani, son conseil de surveillance s’occupe entre autres des questions de gouvernance, de la stratégie du groupe ainsi que des transactions importantes.
Ils [Mikro Kapital] se disent champions des droits de l’homme (…), mais ils sont principalement investis dans des régimes corrompus.“Une source proche du dossier
Etienne Schneider, qui a quitté le gouvernement en février 2020, n’a pas l’intention de renoncer au mandat chez Mikro Kapital Management, qu’il dit assurer sans toucher de rémunération. Dans une prise de position adressée le 15 mars à Reporter.lu, l’ancien vice-Premier ministre socialiste affirme que la société est «une organisation hautement éthique qui gère des fonds de titrisation investissant dans la microfinance et d’autres activités permettant aux particuliers, aux entrepreneurs et aux petites entreprises d’accéder à des services financiers et à des biens essentiels dans plus de 14 juridictions».
L’ancien ministre socialiste, qui avait créé la controverse en allant pantoufler dans le secteur privé immédiatement après sa démission du gouvernement, a dû renoncer à son siège d’administrateur du conglomérat russe «Sistema», quelques jours après le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’introduction de sanctions à l’encontre des proches du Kremlin.
Injonctions de la CSSF
L’avertissement que la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a lancé mercredi 16 mars à l’encontre de Mikro Kapital Management pourrait l’inciter à revoir sa position et à renoncer, en l’espace de moins d’un mois, à son siège au conseil de surveillance. Car l’organisation «hautement éthique» enregistrée au Luxembourg se présente indûment sur son site web comme étant régulée par l’UE et surveillée par les autorités luxembourgeoises. «La CSSF informe le public que la société Mikro Kapital Management S.A. n’est pas surveillée par la CSSF et ne dispose pas d’agrément de la CSSF pour fournir des services d’investissement, des services de gestion de patrimoine ou d’autres services financiers au ou à partir de Luxembourg», écrit le régulateur dans sa communication.
Selon les informations de Reporter.lu, la société n’en serait pas à son premier avertissement de la part de la CSSF. Les injonctions du régulateur luxembourgeois à apporter un correctif sur le site Internet mikrokapital.com seraient restées lettre morte jusqu’à ce mercredi.

Mikro Kapital se présente sur son site Internet comme un groupe qui «croit en l’économie réelle». L’entreprise est spécialisée dans le financement des petites entreprises dans les zones émergentes du monde, principalement en Eurasie. Elle collecte des fonds auprès d’investisseurs professionnels européens à travers l’émission d’obligations au Luxembourg, «avec un rendement attractif et compétitif», selon sa présentation officielle.
Les activités de Mikro Kapital Management relèvent toutefois de la «shadow finance», les activités de financement réalisées hors du circuit bancaire traditionnel, qui échappent donc à la régulation et qui représentent à l’échelle planétaire 51.000 milliards de dollars, soit 15% de l’ensemble des actifs financiers mondiaux. Les opérations de titrisation, qui sont une part de cette finance de l’ombre, ont totalisé 652 milliards de dollars d’encours en 2020, selon des chiffres du Comité européen de stabilité financière. Le Luxembourg occupait la première place en Europe dans cette activité financière non régulée et qui ne fut, jusqu’à ce mois de mars, que partiellement répertoriée au registre de commerce.
Paradoxalement, Mikro Kapital Management fait figure de pionnier en ayant immatriculé cette semaine, comme la loi du 25 février 2022 le prévoit, ses fonds de titrisation investissant dans la dette privée des petites et moyennes entreprises sur certains marchés émergeants, principalement la Russie et la Biélorussie. Ainsi, 69% du portefeuille (725 millions d’euros au total) de «Mikro Fund», qui porte le numéro 02 au RCS, était investi en Russie, 6,2% en Biélorussie, 11 % en République Tchèque et 0,21% en Italie.
Shadow banking et microfinance
Le rapport annuel 2020 du groupe, qui se présente comme un spécialiste de la finance d’impact et la microfinance, fait état de 838 millions d’euros d’actifs sous gestion. Les activités de Mikro Kapital s’étendent toutefois à des secteurs plus conventionnels, étrangers au monde de la microfinance. Fondée en 2015, Delimobil est le pionnier du co-voiturage en Russie. Son capital est majoritairement détenu (directement et indirectement) par Mikro Kapital. La banque russe VTB, à travers sa branche d’investissement «JSC VTB Capital», a acquis 15% de la société qui s’apprêtait à faire son entrée à la Bourse de Londres. La guerre en Ukraine a compromis les plans. VTB et certains de ses dirigeants sont sous le coup de sanctions européennes depuis le 24 février.
Dans sa prise de position du 15 mars, veille de l’avertissement de la CSSF, Etienne Schneider souligne le «très important travail (de Mikro Kapital Management) pour soutenir l’économie réelle et les classes inférieures et moyennes du monde entier, sans aucun avantage ni lien avec les autorités ou les gouvernements».
La société applique une politique de respect des sanctions bien établie depuis plusieurs années et qui s’avère très efficace de nos jours.“Etienne Schneider sur «Mikro Kapital»
Le site de Mikro Kapital cite plusieurs exemples de soutien au petit entrepreneuriat russe, qui serait totalement déconnecté des lieux du pouvoir et de l’oligarchie proche du Kremlin: financements d’un salon de beauté d’une ancienne ouvrière du Kazakhstan ayant dû immigrer en Russie après la fermeture de son usine, d’un atelier-vente de robes de mariées, d’un épicier, père de famille nombreuse.
«En regardant la documentation sur leur site Internet, on voit des investissements qui n’ont pas grand chose à voir avec la microfinance. Ils se disent champions des droits de l’homme et du ESG (investissements socialement responsables, ndlr), mais ils sont principalement investis dans des régimes corrompus», commente une source proche du dossier.
Cette même source s’interroge d’ailleurs sur le contrôle anti-blanchiment des sociétés de gestion non régulées qui gèrent elles-mêmes des produits non régulés.
Promoteur du vaccin Spoutnik V
L’ancien vice-Premier ministre assure pour sa part que le groupe «applique des politiques strictes en ce qui concerne l’exclusion du financement d’activités telles que la production et le commerce d’armes, la production et le commerce de pétrole, de gaz et de charbon, la production de tabac, les jeux d’argent, la prostitution, etc.». «La société, ajoute-t-il, applique une politique de respect des sanctions bien établie depuis plusieurs années et qui s’avère très efficace de nos jours». L’ancien ministre LSAP de l’Economie et de la Santé insiste enfin sur le fait que Mikro Kapital Management soit détenu à 100 % par Vincenzo Trani, citoyen et résident italien.
Pour autant, le lien entre Trani et le régime de Vladimir Poutine est clair. En janvier dernier, lors de leur rencontre à distance, le maître du Kremlin aurait confié à l’Italien son irritation que le vaccin russe Spoutnik V n’ait pas été reconnu dans l’Union européenne. En mars 2021, au plus fort de la crise sanitaire, Vincenzo Trani saluait en sa qualité de président de la Chambre de commerce italo-russe, un accord de partenariat italo-russe «historique», auquel il avait lui-même contribué et qui prévoyait la première installation de production du vaccin russe Spoutnik V en Europe. «On peut qualifier (l’accord) d’événement historique, qui témoigne du bon état des relations entre nos pays et montre que les entreprises italiennes peuvent voir au-delà des différences politiques», écrivait le fondateur de Mikro Kapital Management. En dépit des démarches de l’homme d’affaires, le vaccin Spounik V n’a pas reçu l’approbation des autorités sanitaires, ni en Italie, ni en Europe.
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