La carrière de Christophe Chevallier a connu plusieurs revers. Le fondateur de Cenaro a été associé à un Français dans une affaire qui leur aurait rapporté des millions d’euros. Le partenaire a disparu et la fortune de Chevallier est plus virtuelle que réelle.
Le groupe immobilier bâti par le Français Christophe Chevallier, 49 ans, était un château de cartes qui a fait illusion jusqu’à la faillite en janvier. Le fondateur du groupe Cenaro a débarqué au Luxembourg en faisant croire qu’il disposait de plus de 12 millions d’euros de fonds propres avec lesquels il assure avoir financé ses premières opérations immobilières.
Cette capitalisation lui a ouvert des portes: celle des banques qui ont cru à la solidité du groupe en devenir, celle des investisseurs qui ont mis leur argent dans les projets et celle de la plus grande société de leasing de voitures, ALD, filiale de la Société Générale. Ainsi, avant même que le nom de Cenaro apparaisse au Registre de commerce et des sociétés (LBR) en septembre 2016, Saint Louis Capital, le holding de Christophe Chevallier contrôlant 65% du capital de Cenaro, créé six mois plus tôt, se constituait déjà un parc automobile ostentatoire.
La flotte n’a cessé de grandir par la suite au gré d’un dirigeant boulimique et flambeur qui attribuait discrétionnairement des véhicules à certains de ses employés, de ses proches et à lui-même. Selon les informations de Reporter.lu, ALD a notamment fourni sur le compte du holding des Porsche, Audi et VW, en plus des véhicules utilitaires servant aux chantiers de construction de résidences vendues sur plan (vente en état futur d’achèvement ou VEFA). Chevallier ne comptait pas et confondait le patrimoine de ses 80 sociétés luxembourgeoises, puisant dans les recettes de l’une pour payer les dépenses des autres.
Quelques jours avant son inculpation et son placement en détention préventive à Sanem dans l’enquête pour escroquerie, abus de confiance, blanchiment et faux et usage de faux ouverte par une juge d’instruction à Luxembourg, Christoph Chevallier avait baissé en gamme. Le dirigeant conduisait en effet une Peugeot 308 de location. Quelques mois plus tôt, il était au volant d’une Rolls Royce.
Un associé et une myriade de sociétés
A l’automne 2022, lorsque les difficultés financières de Cenaro ont été révélées et que les loyers des voitures étaient impayées depuis plusieurs mois, ALD a récupéré ses véhicules. Une voiture manquait toutefois à l’appel, un monospace Viano de Mercedes qu’un ancien associé de Christophe Chevallier dans d’autres affaires, Jean-Noël Medus, domicilié à Marbella en Espagne, refuserait de restituer. Les deux hommes seraient brouillés, après avoir fait ensemble des affaires qui ont mal tourné dans le secteur des campings.
Dans la seule interview qu’il a donnée au Luxembourg (le magazine «Premium», propriété du groupe Docler, spécialisé dans l’industrie pornographique), Chevallier, diplômé d’un DUT commercial (cycle universitaire court de deux ans) ne parle pas de cette période pourtant déterminante de sa carrière qui l’a amené en 2016 au Grand-Duché.
Le Registre de commerce et des sociétés mentionne sa présence aux côtés de Jean-Noël Medus dans une myriade de sociétés qui ont toutes soit fait faillite, soit été mises en liquidation judiciaire. Chevallier Financial Tools, Deepsea Global Advisors, Septem Finance, Sowood Participations, Sudem 7 Kapital et Wood Luxe Property sont quelques-unes de ces entités en lien plus ou moins direct avec la famille Medus. Ces sociétés ont servi à la mise sur orbite de la société française Un Toit Pour Toi (UTPT) et son introduction en bourse sur la base de valorisations de ses actions sans rapport avec la réalité de son patrimoine.
Une autre enquête judiciaire
Selon les informations de Reporter.lu, les faillites des sociétés de l’attelage Medus/Chevallier soulèvent des doutes chez l’avocate en charge de la liquidation, Me Selena Corzo. En octobre 2020, l’avocate saisit le procureur d’une plainte pour banqueroute frauduleuse, abus de biens sociaux et infractions à la loi sur les sociétés. La procédure débouche sur une instruction judiciaire visant notamment Christophe Chevallier et Jean-Noël Medus. L’enquête est toujours en cours.
En France aussi, les affaires tournent mal pour les deux hommes associés dans Un Toit Pour Toi, société spécialisée dans l’hôtellerie de plein air. Un Toit Pour Toi voulait révolutionner le monde des campings en les faisant monter en gamme. Les cottages devaient remplacer les tentes.
Le système mis en place par la société française est identique à celui utilisé par le groupe Cenaro pour financer ses résidences au Grand-Duché: lancement d’obligations auprès des investisseurs sur le marché non régulé des capitaux (shadow banking) pour l’acquisition des terrains avec autorisations de construire, puis vente des résidences sur plan à des acquéreurs qui financent le remboursement des emprunts à haut rendement.
Dans un entretien au magazine «Entreprendre», Jean-Noël Medus en détaille le mécanisme: création d’une société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) – ces véhicules peuvent se constituer en quelques minutes et en quelques clics avec un capital de 69 euros – pour acheter le foncier de chaque camping, l’acquisition étant financée chaque fois par une émission obligataire privée.
Les opérations passent par la société luxembourgeoise Hostellerie Invest. Deux emprunts obligataires d’un montant total de 3 millions d’euros sont lancés en 2016, offrant un taux de 12% la première année et de 9% la deuxième année.
Gonflette en bourse
En parallèle, Un Toit Pour Toi fait coter ses actions en bourse au Marché libre d’Euronext Paris (marché non régulé). Le 22 juillet 2016, premier jour de cotation, le cours de l’action est fixé à 9,34 euros, ce qui valorise la société à plus de 40 millions d’euros. C’est 500 fois plus que le montant qui avait été payé huit mois plus tôt dans une transaction réalisée par des sociétés de Medus et de Chevallier.
Christophe Chevallier détient une participation dans le capital de Un Toit Pour Toi à travers la micro-entreprise parisienne Kartel. Jean-Noël Medus est l’actionnaire majoritaire.
Deux mois après la cotation à Euronext Paris, Saint Louis Capital devient soudainement riche, en procédant à une augmentation de son capital social qui passe de 12.750 euros à 12.473.910 euros, via un apport en nature. Les titres de Kartel SAS, actionnaire de Un Toit Pour Toi, sont mis dans le panier de Saint Louis. Chez le notaire, Chevallier présente un rapport établi par un certain Sarkis Canli, expert-comptable pour le cabinet ACA à Paris. Canli atteste la valeur des actions, mais il oublie de dire qu’il est actionnaire, certes minoritaire, de Un Toit Pour Toi.
Medus et Chevallier procèdent aussi en octobre 2018 à une opération similaire avec Sowood Participations, leur société commune qui devait gérer la construction de cottages sur les campings du portefeuille de Un Toit Pour Toi. Sowood se retrouve ainsi à la tête d’un capital de 38 millions d’euros. Là encore, Canli réalise le rapport de valorisation. A cette époque, la société cotée sur Euronext se porte mal et ne vaut sans doute plus 40 millions d’euros. Les difficultés se répercutent sur les entités luxembourgeoises qui sont liquidées tour à tour et valent des poursuites judiciaires aux deux associés.
Un mirage comptable
Le 22 juin 2021, Un Toit Pour Toi est officiellement déclarée en faillite, mais le début de la période de cessation de paiement remonte au 20 août 2018, soit avant des opérations de gonflette sur les sociétés luxembourgeoises.
La famille Medus disparaît alors des radars luxembourgeois. Jean-Noël, le patriarche, émigre en Espagne avec son van Mercedes. Christophe Chevallier reste à Luxembourg. Il embauche l’ancienne assistante de Jean-Noël Medus et en fait la directrice juridique de Cenaro. Son nom apparaît, au titre de témoin, dans l’ordonnance de perquisition du 3 janvier dernier émise par le cabinet d’instruction.
Saint Louis Capital connaît à son tour des revers de fortune, conséquence des valorisations controversées de Un Toit Pour Toi. Documenté dans son bilan 2018, le holding de Chevallier accuse une perte de 11,822 millions d’euros. «La société n’aurait pas été détentrice juridique directe des actions apportées dans les sociétés Un Toit Pour Toi (…)», indique le rapport annuel. Le mirage d’une capitalisation à plus de 12 millions d’euros s’écroule. Bien que ce niveau de capital soit toujours inscrit dans son dernier bilan disponible (2020, les comptes 2021 se font toujours attendre), mais non audité par un cabinet de révision, les capitaux propres du holding sont dans le rouge à -4,256 millions d’euros. Or, c’est précisément cet affichage trompeur de fonds propres qui a fait illusion sur la solidité et la surface financière du groupe Cenaro et qui a trompé la confiance des investisseurs et des acquéreurs de logements.
Un audit de la BCL
L’enquête judiciaire lancée dans les premiers jours de janvier 2023, après les premières plaintes de décembre 2022, devrait alors faire la lumière sur une série de dysfonctionnements dans la chaîne de surveillance d’un groupe qui en moins de trois ans est devenu leader de la vente de logements en état futur d’achèvement.
Les sociétés de titrisation qui récoltent des fonds sur le marché des capitaux en spéculant sur les prix de l’immobilier résidentiel au Luxembourg sont les électrons libres de la place financière. L’affaire Cenaro le démontre et ouvre la question de la surveillance de leurs activités et de leur substance en termes de fonds propres.
Selon les informations de Reporter.lu, Cenaro Capital avait fait, entre 2019 et 2020, l’objet d’un contrôle sur place de la part de la Banque Centrale du Luxembourg. L’audit, qui n’a pas fait l’objet d’une publication, devait déterminer si la société de titrisation, qui échappe au contrôle du régulateur du secteur financier, ne transgressait pas la règlementation. La BCL a ainsi vérifié que la société ne réalisait pas d’émissions obligataires en continu et que ses souscripteurs étaient bien des investisseurs avertis et professionnels. Or, dans les documents financiers consultés par la rédaction, Cenaro a émis une vingtaine d’obligations pour un montant conséquent de quelque 200 millions d’euros. Ces obligations ont été souscrites par des fonds d’investissement qui eux-mêmes ont été placés dans des portefeuilles d’assurance vie destinés au grand public.
Contacté par Reporter.lu, le service presse de la BCL n’a pas répondu dans les délais impartis pour savoir si des recommandations ou des griefs ont été adressés à la société de titrisation de Christophe Chevallier.
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