Un déploiement de policiers peu ordinaire est intervenu ce mercredi dans le cadre de l’enquête judiciaire visant le groupe immobilier «Cenaro». Plusieurs perquisitions se sont déroulées au siège du groupe à la Cloche d’Or ainsi qu’aux domiciles de ses dirigeants.

Un mois après les premières plaintes contre le groupe «Cenaro» et l’ouverture d’une instruction judiciaire, la justice sort les grands moyens pour déterminer si les soupçons de fraude avancés par des investisseurs et des acquéreurs de résidences sont avérés et documentés. Selon les informations de Reporter.lu, des perquisitions ont eu lieu ce mercredi à plusieurs endroits et au même moment dans le pays, notamment au siège de «Cenaro Capital» et «Cenaro Group» ainsi qu’au domicile de leur fondateur et dirigeant Christophe Chevallier.

Confirmée par l’administration judiciaire, qui rappelle la présomption d’innocence, cette action «coup de poing» a nécessité un important dispositif policier. «Dans le cadre de l’instruction judiciaire concernant Cenaro, une multitude de perquisitions ont eu lieu au Grand-Duché. D’importantes quantités de documents ont été saisis», a fait savoir le service presse de l’administration judiciaire.

Il s’agit d’une nouvelle étape d’une affaire révélée début décembre par Reporter.lu sur les dérives de la financiarisation à outrance du secteur immobilier résidentiel au Luxembourg.

Déclarée en faillite le 25 janvier dernier, Cenaro Group laisse derrière lui, outre des impayés de quelque 5 millions d’euros, une centaine de familles ayant acquis des logements sur plan (Vente en état futur d’achèvement ou VEFA) dans l’incertitude de pouvoir un jour y habiter. Les chantiers sont à l’abandon, les fournisseurs et les ouvriers de Cenaro n’ont pas été payés.

De moratoires en moratoires

Le système mis en place par Cenaro pour promouvoir son activité immobilière s’est appuyé sur deux piliers: les acquéreurs finaux de logements en VEFA, qui les payaient en fonction de l’avancement des travaux de construction, d’un côté, et les investisseurs d’autre part, dont l’argent, bien rémunéré (10% d’intérêts par an), servait aux achats de terrains clefs en main, avec les autorisations de construire.

Les fonds étaient récoltés sur les marchés des capitaux à travers des émissions privées d’obligation, lancées par Cenaro Capital, une entité liée au groupe Cenaro. Les investisseurs qui ont souscrit ces obligations craignent eux aussi de ne jamais revoir leur argent.

Un montant de plus de 200 millions aurait ainsi été récolté sur les marchés financiers, selon la documentation financière du groupe, mais en juin dernier, Cenaro Capital a demandé ses premiers moratoires sur le remboursement de sa dette qui venait à échéance. D’autres moratoires ont suivi en novembre, suscitant de sérieux doutes des investisseurs sur la solvabilité du groupe immobilier ainsi que sur la solidité des garanties sur les placements, qu’ils croyaient assez sûrs.

Certains investisseurs suspectent les dirigeants d’avoir utilisé leurs fonds au remboursement de dettes qui n’avaient rien à voir avec le financement de projets immobiliers dans lesquels ils avaient investi. Des plaignants craignent une fraude de type Ponzi qui aurait permis à de nombreux intermédiaires de s’enrichir en prélevant au passage d’importantes commissions sur les rentrées d’argent.

«Cenaro Capital est en défaut de payer, mais les projets promis n’ont pas été construits et les emprunts obligataires n’ont pas été intégralement remboursés malgré la revente des lots en VEFA», déplore un investisseur dans une plainte pénale que Reporter.lu a consultée.

Interrogatoires à la PJ

Selon les informations de Reporter.lu, certains projets immobiliers auraient été financés par du refinancement de la dette (impayée) de Cenaro. Par ailleurs, des garanties fournies aux investisseurs auraient été entièrement diluées dans des opérations financières potentiellement frauduleuses au bénéfice d’intermédiaires proches de dirigeants du groupe immobilier. Des transferts suspects de propriétés auraient aussi permis un traitement de faveur à un petit cercle d’investisseurs privilégiés, au mépris des autres créanciers.

Il appartient désormais à la justice de vérifier les accusations qualifiables par les avocats des plaignants d’abus de biens sociaux, d’abus de confiance, de blanchiment et peut-être aussi d’association de malfaiteurs.

Christophe Chevallier, fondateur de Cenaro, la directrice juridique du groupe et un avocat du Barreau de Luxembourg, ex-membre du conseil de surveillance, ont été longuement interrogés mercredi dans les bureaux de la Police judiciaire.

L’ordonnance de perquisition et de saisie, que Reporter.lu a pu consulter, vise entre autres neuf personnes physiques dont Arnaud Emmenecker, actionnaire à 40% de Cenaro Group, et les deux associés de la société suisse WK Capital, représentant les obligataires, Xavier Ktorza et Cyril Weingarten.

En première ligne, Christophe Chevallier n’a pas l’intention, selon les informations de Reporter.lu, de porter à lui seul la responsabilité du naufrage du groupe qui se présentait encore récemment comme un des cinq principaux acteurs de VEFA au Grand-Duché. Pour autant, le dirigeant et fondateur a été le seul à avoir été présenté au juge d’instruction et inculpé à l’issue de son interrogatoire à la PJ. Il a été placé en détention préventive, selon un communiqué de l’administration judiciaire, qui n’a pas mentionné son identité.


Note de la rédaction: Cet article a été corrigé et actualisé. Nous mentionnions par erreur que Nicolas Kadri avait été interrogé dans les bureaux de la Police judiciaire à l’issue de la perquisition du 1er février. Nous nous en excusons pour cette erreur.


A lire aussi