La Commission de surveillance du secteur financier a infligé une amende de 4,6 millions d’euros à la BIL pour les défaillances dans la lutte anti-blanchiment. La banque ne conteste pas la sanction. Plusieurs aspects rendent la décision fort remarquable.
L’amende de 4,6 millions d’euros qui frappe la BIL est salée, mais ce n’est pas la plus lourde sanction que le régulateur du secteur financier a infligée à une banque pour les faiblesses de ses contrôles anti-blanchiment. Toutefois, le fait que l’Etat luxembourgeois détienne une participation de 9,993% dans l’établissement, aux côtés du Chinois Legend Holding, rend la sanction assez spectaculaire.
D’autant que le pays veut passer pour un élève modèle dans la lutte contre l’argent sale et qu’un contrôle de son dispositif anti-blanchiment sera effectué en 2021 par les experts du GAFI, le groupe d’action contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Le fait que la BIL soit présidée par l’ancien ministre CSV des Finances Luc Frieden ajoute un peu de piment à l’affaire.
Dans un communiqué rendu public ce lundi 10 août, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) annonce avoir prononcé le 16 mars dernier une amende contre la doyenne des banques luxembourgeoises sur la base de la loi modifiée du 12 novembre 2008 relative à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Baku en ligne de mire
La CSSF a attendu plus de quatre mois avant de communiquer sur sa décision, s’assurant ainsi que les délais de recours pour en contester la légalité devant les juridictions administratives étaient écoulés. Ce qu’il faut interpréter comme une acceptation de la sanction par la banque.
La sanction fait suite à deux contrôles sur place que le régulateur a effectués. Un premier est intervenu entre octobre et novembre 2017, quelques semaines après que les actionnaires qataris de Precision Capital aient cédé leurs parts aux Chinois de Legend Holding. Le second contrôle s’est déroulé presque un an plus tard entre juillet et septembre 2018.
Les agents de la CSSF ont réalisé des contrôles «partiels», sur un «périmètre restreint de sa clientèle» à haut risque. Selon les informations de REPORTER, les investigations se sont focalisées sur les clients des pays de l’Est respectivement de l’Asie centrale, en particulier d’Azerbaïdjan et du Kazakhstan. «Les résultats n’étaient vraiment pas bons», indique à REPORTER une source proche du dossier.
Pas de contestation
Dans un communiqué de presse, la BIL indique qu’elle «soutient pleinement la CSSF dans sa mission de supervision». L’établissement ne veut pas faire l’étalage sur la place publique des défaillances que son dispositif contre l’argent sale a pu connaître à l’époque et qu’elle a corrigées depuis lors.
Le régulateur explique dans son communiqué que la «banque a promptement réagi pour remédier aux faiblesses constatées», ce qui lui a probablement valu une réduction de l’amende calculée sur son chiffre d’affaires. «Nous avons pris les mesures correctives appropriées par rapport aux faiblesses identifiées par la CSSF» explique pour sa part Marcel Leyers, le CEO de la banque.
Cette sanction n’est pas comparable à celle qui a par exemple frappé la banque Edmond de Rothschild en juin 2017 (8,98 millions d’euros) qui avait alors payé sa participation à la fraude 1MDB impliquant, entre autres, des personnalités politiques de Malaisie. «Aucune activité de blanchiment de capitaux ou de financement du terrorisme n’a été identifiée», précise la BIL dans sa communication.
La question de la responsabilité
Le communiqué de la BIL laisse également planer la responsabilité des «faiblesses» sur l’ancien directeur général, Hugues Delcourt, voire sur l’actionnaire sortant qatari, qui ne seront sans doute pas ravis de ces assertions.
Hugues Delcourt avait été brutalement débarqué en mars 2019, mais il avait eu droit aux honneurs de la maison. Luc Frieden disait en effet du CEO sortant qu’il «restera un ami proche de la banque et de Legend Holding».
Un an plus tard, Marcel Leyers, celui qui a remplacé Delcourt rappelle avoir pris les «mesures appropriées pour corriger les faiblesses identifiées». «La banque a défini un nouveau et rigoureux cadre de tolérance au risque en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et a adapté sa politique de compliance de son activité wealth management».
Président du conseil d’administration de la banque depuis 2016, Luc Frieden pour sa part n’a fait aucune déclaration officielle, une fois n’est pas coutume, laissant le directeur général communiquer en solo.
Mouvement de normalisation
«Lorsque j’ai été nommé à la tête de la BIL, insiste l’actuel CEO, ma priorité absolue était de veiller à ce que la gouvernance et les procédures de compliance de la BIL soient encore renforcées afin de garantir l’application des standards les plus élevés à tout moment». Marcel Leyers ne dit pas qu’il a longtemps siégé au comité de direction de la BIL avant d’en prendre la bride de la banque et qu’il porte de ce fait, avec le reste des dirigeants, une certaine responsabilité dans les défaillances de l’établissement.
«Le comité de direction de la BIL n’a pas tellement changé et Leyers en faisait partie lorsque les contrôles ont été réalisés, il est donc facile de faire des reproches à Hugues Delcourt, contre lequel il n’y a aucun grief particulier», signale notre source. « Ce n’est pas non plus une question d’actionnaire, mais une question de clients», poursuit cette source.
L’ancien patron de la BIL n’est pas Marc Ambroisien, son pendant à la Rothschild qui en mars dernier a été interdit par la CSSF d’exercice d’un mandat dans le secteur financier pour perte d’honorabilité professionnelle à la suite de son implication dans le scandale 1MDB.
La sanction contre la BIL témoigne en tout cas d’un mouvement de normalisation de la régulation bancaire à Luxembourg qui n’a plus peur de s’attaquer à des mastodontes de la place financière ni à les désigner lorsqu’ils sont en défaut, comme la réglementation européenne le prévoit d’ailleurs.
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