Le numéro 1 et pionnier des ventes de produits dérivés du cannabis a saisi pour la deuxième fois la justice pour faire suspendre les lourdes taxes qui frappent le CBD. Le gérant de CBD24 estime que la faillite ou la fermeture sont inéluctables face à un marché noir en forte progression.
Sasha Theis est un commerçant du genre opiniâtre. Le dirigeant et fondateur de l’enseigne CBD24.lu a vu ses plans de développement presque anéantis par l’introduction à l’automne 2019 de droits d’accise sur les produits CBD, c’est-à-dire dérivés du cannabis.
Lorsqu’il a lancé son affaire, les taxes les grevant en faisaient des produits très compétitifs, ce qui explique sans doute l’installation d’une grande partie de ses points de vente aux frontières. Toutefois, la TVA à 3% fut de courte durée. Elle fut refixée à 17%. S’y sont ajoutés des droits d’accise à 18,25 euros par kilogramme, à l’instar des cigarettes. Passée à plus de 33%, la taxation du CBD est devenue rédhibitoire. Elle favoriserait, selon Theis, les achats sur le marché parallèle, qui échappe à tout contrôle.
Circulaire controversée
Face à des ventes en chute libre (-30% depuis l’introduction des droits d’accise) et des bénéfices en berne, Sasha Theis a demandé un arbitrage de la justice administrative. Il met en cause la légitimité d’une circulaire de l’Administration des Douanes et Accises (ADA) publiée le 1er décembre 2020, qui a précisé le quantum des taxes. Le 21 décembre dernier, il a introduit un recours en annulation contre la circulaire litigieuse. Il a complété cette action d’un recours en référé engagé le 9 juillet dernier pour obtenir une suspension provisoire du texte. En vain. Le juge du tribunal administratif a rejeté la requête dans une ordonnance du 23 juillet, mettant en doute tant l’argumentation juridique du demandeur que la recevabilité du recours.
Le dirigeant de CDB24.lu n’en est pas à sa première charge devant la justice administrative. Ainsi en juillet 2020, après une première circulaire de l’ADA qui transpose les droits d’accise des cigarettes aux produits du chanvre à fumer ou à vapoter, Theis entame une procédure en annulation, couplée là encore à un recours en suspension. Toutefois, la procédure est retirée après le refus du tribunal de prendre des mesures provisoires.
Le fondateur de CBD24 justifie alors sa reculade «pour des raisons d’opportunité». Il dit craindre en effet que sa procédure ait un impact politique et retarde la libéralisation du cannabis inscrite dans le programme gouvernemental de la législature 2018 à 2023. Il table logiquement sur une réduction des taux applicables aux produits CBD si le projet se concrétise.
Toutefois, «l’élan Etienne Schneider», l’un des promoteurs au gouvernement du cannabis en vente libre, ne se produit pas. «Tout porte à croire, écrit son avocat Me Marc Theisen, que ce projet n’a plus la priorité de ce gouvernement».
Le 1er décembre, les autorités peaufinent les textes sur la fiscalité des produits dérivés du chanvre. L’ADA émet une nouvelle circulaire, qui pousse Sacha Theis à solliciter à nouveau l’arbitrage des juridictions administratives et demander un sursis à exécution. Il met en cause la base juridique de la circulaire et y voit un acte administratif autonome.
Manque de précision
Son avocat avance le manque de précision et de définition suffisantes du texte «qui ne peut objectivement justifier que les plantes présentent les mêmes caractéristiques que les cigares, cigarettes ou le tabac à rouler». «Si la circulaire cite certains textes, il reste que ceux-ci sont trop généraux et imprécis pour servir de base à une imposition particulière des produits CBD», plaide-t-il dans le recours en sursis à exécution que Reporter.lu a consulté.
Aux yeux de Marc Theisen, l’administration a fait un raisonnement bancal en considérant le CBD comme un produit aussi dangereux pour la santé de ses utilisateurs que le tabac ou même l’alcool. «Dans la lutte anti-tabac ou celle contre l’alcoolisme, l’idée qui sous-tend la perception d’accises consiste dans leur caractère nocif, voire addictif des produits concernés ; selon cette idée cela vaut aussi pour les produits fabriqués de CBD destinés à être fumés ou vapotés», fait-il valoir. «Or, en réalité, le caractère nocif des produits CBD en général (…) est aujourd’hui controversé et on lui connait au contraire des vertus thérapeutiques certaines sans être addictives», ajoute l’avocat.
Le juge de référé est resté sourd à ces arguments pour ordonner provisoirement un gel des droits d’accise, en attendant que l’affaire principale soit toisée. Une décision du tribunal administratif n’est pas attendue avant le printemps 2022.
Le représentant du gouvernement, qui défendait la pertinence de la circulaire, a relativisé l’impact des droits d’accise sur la prospérité des affaires de CBD24, qui fut un des premiers opérateurs du secteur à s’installer au Grand-Duché. A ses yeux, il s’agirait plutôt de mettre la baisse considérable de la marge bénéficiaire de l’opérateur au crédit «d’un changement d’intérêt des consommateurs à l’égard des produits CBD ou d’une évolution de la situation concurrentielle sur le marché (…) au Luxembourg».
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