La crise des vocations pour devenir prêtre n’épargne pas l’Église catholique du Luxembourg, sur fond de baisse de la pratique religieuse et de scandale des abus sexuels. Pourtant, le pays compte depuis 2017 deux institutions de formation de futurs prêtres, dont l’une prête à controverses. Notre reportage au séminaire Redemptoris Mater.

«Venez déjeuner avec nous!» Lorsque nous contactons le père David Rodriguez, recteur du Séminaire Redemptoris Mater à Luxembourg, pour comprendre ce qui peut motiver des jeunes hommes à devenir prêtre aujourd’hui, il nous ouvre immédiatement ses portes. Rendez-vous est pris au Centre Jean XXIII, au Kirchberg, pour en savoir plus sur ce séminaire issu du «Chemin néo-catéchuménal».

Le Luxembourg compte désormais deux institutions de formation des futurs prêtres. Le Grand Séminaire de Luxembourg a pignon sur rue et forme à l’étranger – faute d’assez de combattants  – les Luxembourgeois. Deux d’entre eux ont été ordonnés le 18 mai dernier lors de l’Octave, l’un comme prêtre, l’autre comme diacre. Un troisième est étudiant en Allemagne. Le Séminaire Redemptoris Mater, plus discret et controversé dans les milieux catholiques luxembourgeois, est issu de l’un des mouvements internationaux de la nouvelle évangélisation. Composé pour une bonne part de familles très nombreuses qui sont contre la régulation artificielle des naissances, l’avortement ou le mariage homosexuel, ce mouvement est l’un de ceux qui connaissent la plus forte croissance dans le monde.

Cinquante ans après sa création en Espagne par deux laïcs, le Chemin néo-catéchumènal  compte 125 séminaires. Il a ouvert au Luxembourg en 2017, à l’invitation de l’archevêque Jean-Claude Hollerich. Cinq jeunes de 20 à 36 ans originaires d’Autriche, Italie, Portugal, Brésil et Pologne y sont formés. Leur langue véhiculaire est le français mais ils apprennent aussi le luxembourgeois puisque c’est dans ce diocèse qu’ils doivent en principe exercer plus tard. Leur vice-recteur, Piotr Sass, un prêtre de 39 ans d’origine polonaise, officie depuis 2014 à l’Église de Limpertsberg.

Tout cela a des allures d’Auberge espagnole en version «missionnaire catho». Une formule qui fait des émules dans la lignée des Journées Mondiales de la Jeunesse initiées en son temps par Jean-Paul II. Ils sont jeunes, sympathiques et branchés sur les réseaux sociaux tout en oeuvrant à la diffusion d’une doctrine morale très conservatrice. Leur mission est de venir en renfort dans les pays en manque de prêtres. Fini l’exotisme. Désormais les besoins se font surtout sentir dans les pays développés.

Une vie communautaire

Parmi les séminaristes, nous faisons la connaissance de Jakob, un jeune Autrichien de 24 ans. Il est l’aîné d’une famille de neuf enfants dont le dernier a deux ans. «Je suis hyper heureux d’avoir grandi dans une famille nombreuse», dit celui qui avait «envie de se marier et d’avoir une famille avant de faire l’expérience de l’appel de Dieu». Après les cours du matin suivis de la prière du midi dans une salle qui fait office de chapelle, il retrouve ses camarades, ses responsables et deux couples de laïcs dans le réfectoire de l’aile nord du Centre Jean XXIII, autrefois occupée par le Grand Séminaire.

Je veux porter aux autres cette joie que j’ai expérimentée de Dieu qui nous aime.“Jakob, futur prêtre

Le déjeuner a été préparé par une retraitée d’origine portugaise venue comme missionnaire au Luxembourg pour aider la communauté. C’est l’une des spécificités de ce mouvement: les missions fonctionnent en s’appuyant sur des prêtres mais aussi sur des couples mariés. L’ambiance se veut familiale et bienveillante. À la solitude parfois mortifère du prêtre dans son presbytère, ils répondent par une vie en petites communautés de 20 à 50 personnes.

Au menu : pâtes aux champignons, côtelettes d’agneau, salade et glace. Le tout offert par des fidèles puisque, d’après David Rodriguez, la communauté vit des dons – lui-même ainsi que le vice-recteur Piotr Sass bénéficient toutefois des généreux salaires des ministres des Cultes d’avant la réforme. Deux séminaristes font le service, à l’assiette, et s’occuperont ensuite de la vaisselle. «Cela fait partie de notre formation. Il faut savoir se mettre au service des autres», commente le recteur.

Après une brève prière dite debout, le repas commence. Nous n’aurons pas de discussion en privé avec les séminaristes, comme nous l’avions demandé. Peut-être est-ce un choix de ne pas trop les exposer ou un refus de leur part. Toujours est-il que deux séminaristes sont avec leurs deux responsables à notre table.

Donner un sens à sa vie

Jakob, longue silhouette austère vêtue d’une chemise clergyman noire avec col romain, s’anime lorsqu’il évoque ce qui le pousse à devenir prêtre: «Je veux porter aux autres cette joie que j’ai expérimentée de Dieu qui nous aime». La venue au Luxembourg de cet Autrichien tient littéralement du hasard – ou peut-être de la providence? «Il y avait des places dans différents séminaires. Le choix s’est fait par tirage au sort», explique-t-il.

Le père Rodriguez, Jakob et Leonardo. (Photo: Martine Pinnel)
Le père Rodriguez, Jakob et Leonardo du séminaire Redemptoris Mater. (Photo: Martine Pinnel)

Sa foi n’a-t-elle pas été ébranlée par les scandales d’abus sexuels au sein de l’Église? «La question des abus me fait beaucoup souffrir. Les gens ont des préjugés voire de la haine contre l’Église. Bien sûr je le comprends mais c’est malheureux que pour des actes commis par certains individus, on s’attaque à toute l’Église», répond-il. Il confie que son engagement sacerdotal n’a pas été bien accepté par sa mère, ébranlée par ces scandales. «Elle sait de quoi certains prêtres sont capables». Pour sa part, sa foi est solide et il ne craint pas la perspective du célibat. «Ce n’est pas simplement parce que c’est utile pour l’Église. Il faut dire que l’amour du Christ remplit le vide, la solitude du prêtre».

Jésus-Christ nous donne la grâce de vivre dans le célibat, dans la chasteté. J’ai renoncé à une famille, à mes amis, à une carrière que je voulais faire.“Leonardo, futur prêtre

Cette position calme et argumentée diffère quelque peu de celle de son camarade Leonardo, un Italien de 36 ans au regard ardent. Leonardo a fait un doctorat en archéologie avant d’entrer au séminaire Redemptoris Mater de Luxembourg. Lui n’a pas encore endossé la tenue de clergyman. Il n’en est qu’au début de son parcours vers le sacerdoce: «Tout cela passe à travers un combat. Ce n’est pas facile. Mais on constate que Jésus-Christ nous donne la grâce de vivre dans le célibat, dans la chasteté. J’ai renoncé à une famille, à mes amis, à une carrière que je voulais faire. J’ai réalisé que cela ne m’avait pas apporté la félicité ou la plénitude. Je les ai trouvées dans le Seigneur. Pourquoi? C’est un mystère qui ne vient pas de moi et qui me pousse à donner ma vie pour les autres», dit-il.

Comme tous les séminaristes du diocèse de Luxembourg depuis 2010, ces postulants passent des tests psychologiques avant d’être ordonnés prêtre. L’avis de leur Communauté est également sollicité. Pour Jakob, c’est un soutien important. Il y voit une protection contre l’isolement qui peut conduire à nier certains problèmes comme l’alcoolisme ou le burn out, qui n’épargnent pas plus les prêtres que les autres citoyens: «moi je parle de tout avec le recteur, y compris de la sexualité. Il n’y a pas de tabou», affirme-t-il.

(Photo: Martine Pinnel)
(Photo: Martine Pinnel)

À la fin de l’année, Jakob aura achevé sa formation après une année de discernement et cinq ans de séminaire. Il lui restera une ou deux années de «stage missionnaire», au Luxembourg ou ailleurs, avant son ordination. D’ici là, on lui a déjà confié la responsabilité de l’encadrement des enfants de chœur du diocèse de Luxembourg. Et cela semble bien se passer. «Mes origines germaniques ont facilité mon apprentissage du luxembourgeois», se réjouit-il.


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