Le Tribunal administratif a annulé pour illégalité un règlement grand-ducal sur les prix des consultations aux urgences pédiatriques. Les pédiatres de l’Hôpital Robert Schuman sont à l’origine du litige. Ils contestaient la mise en place de tarifs préférentiels appliqués par la clinique pédiatrique du CHL.
Le Tribunal administratif n’a pas pris la peine d’examiner les arguments de fond que les pédiatres libéraux, qui assurent les urgences à l’Hôpital Robert Schuman du Kirchberg, ont fait valoir dans le litige qui les oppose au gouvernement sur le prix des actes médicaux.
La juridiction a annulé le 9 novembre dernier le règlement grand-ducal du 27 octobre 2018 ayant arrêté la nomenclature des actes et services pris en charge par la Caisse de maladie pour des raisons de pure forme. Le texte avait été signé par le Grand-Duc selon une procédure expéditive de l’urgence, à la demande des ministres de la Santé et de la Sécurité sociale, en se passant donc de l’avis du Conseil d’Etat.
Raccourci législatif
Les pédiatres libéraux ont vu dans cette manœuvre intervenue quelques jours après les élections législatives (14 octobre 2018) une «urgence auto-cuisinée». Dans le recours introduit en février 2019, ils ont demandé aux juges d’apprécier «avec sévérité» le raccourci dans le dispositif législatif que le gouvernement sortant s’était ainsi offert.
Le règlement du 27 octobre 2018 a mis en place des taux spécifiques selon le lieu où les consultations d’urgence pour les enfants sont effectuées. La clinique pédiatrique du Centre Hospitalier de Luxembourg (CHL) dans la capitale est considérée comme un «service national». Elle s’est vue ainsi octroyer de facto un monopole sur certains actes médicaux, comme les soins intensifs pédiatriques, de néonatalogie et de chirurgie infantile. L’hôpital public applique, de ce fait, des tarifs plus élevés que les autres structures assurant également des gardes la nuit et des services d’urgence, comme l’Hôpital Robert Schuman ou l’Hôpital du Nord à Ettelbruck.
Selon la nomenclature des actes et services pris en charge par l’assurance maladie, une consultation pour un enfant au service d’urgence d’un hôpital de garde entre 22 heures et 7 heures du matin est fixée à 37,90 euros alors que la même consultation au service national d’urgence pédiatrique est tarifée à 58,89 euros au CHL.
Dans quelle mesure l’instauration d’une tarification préférentielle en faveur des pédiatres travaillant au sein du CHL garantirait une meilleure prise en charge des enfants?“Pédiatres du HRS
Cette différence tarifaire avait provoqué l’indignation des pédiatres exerçant à titre libéral. Les spécialistes de l’Hôpital Robert Schuman (HRS) ont été les premiers à monter au front. Ils ont saisi la juridiction administrative en février 2019, peu après l’entrée en vigueur de la règlementation pour en contester la légitimité.
La procédure fut longue et les échanges de conclusions entre les parties, groupe de dix médecins du HRS et leur hôpital d’un côté, Etat de l’autre, furent pléthoriques.
Toutefois, il n’a pas fallu déployer trop de génie intellectuel à la défense des pédiatres pour obtenir gain de cause devant les juges. Car le choix que le gouvernement fit à l’automne 2018 pour faire passer «à la hussarde» l’adaptation de tarifs des prestations, allant de pair avec la réforme hospitalière (loi du 8 mars 2018), comportait le risque de voir les textes remis en cause pour leur non-conformité.
«Le règlement grand-ducal déféré (du 27 octobre 2018, ndlr) ne contiendrait pas en lui-même d’indications qui seraient de nature à asseoir l’urgence», notent les juges de la 2e chambre du Tribunal administratif.
Au nom du bon fonctionnement des urgences
Dans la procédure administrative, l’avocat de l’Etat justifia l’adoption du règlement en mode urgent afin de le faire coïncider avec l’octroi au CHL du statut de service national de pédiatrie spécialisée et d’urgence. Cette synchronisation aurait permis d’assurer «au plus vite» le bon fonctionnement des services de santé publique, fit valoir le représentant.
Or, l’attribution des services nationaux n’est intervenue que fin février 2019, soit plus de deux mois après l’entrée en vigueur du règlement grand-ducal litigieux instaurant des tarifs différents entre les différents services d’urgence du pays (1er décembre 2018).
Le gouvernement avait présenté une note justificative au Grand-Duc documentant le caractère urgent de sa signature «par le fait que les dispositions (garantissaient) une meilleure prise en charge des patients dans les urgences des hôpitaux». «Dans quelle mesure l’instauration d’une tarification préférentielle en faveur des pédiatres travaillant au sein du CHL garantirait une meilleure prise en charge des enfants?», s’interrogeaient les médecins du HRS.
La loi du 16 juin 2017 ayant réformé le Conseil d’Etat encadre strictement les pouvoirs du Grand-Duc lorsqu’il est sollicité pour signer des règlements sans l’avis préalable des Sages: «Sauf le cas d’urgence à apprécier par le Grand-Duc si la loi n’en dispose pas autrement, aucun règlement pour l’exécution des lois et des traités ne peut être pris par le Grand-Duc qu’après que le Conseil d’Etat a été entendu en son avis».
Les lenteurs de la Commission de nomenclature
La vraie raison du choix de la procédure d’urgence serait à chercher dans les propres turpitudes du pouvoir exécutif et la lenteur avec laquelle la Commission de nomenclature, organisme regroupant des représentants de la Sécurité sociale, de la santé, de la CNS et de l’association des médecins, aurait rédigé ses recommandations sur le projet de RGD.
L’avis de la commission a été rendu le 28 septembre 2018. Votée six mois plus tôt, la loi hospitalière exigeait logiquement une adaptation des tarifs des actes et services des médecins, via une série de règlements grand-ducaux afin de mettre la réforme en musique.
Les textes ont été réceptionnés au Palais grand-ducal au cours du mois d’octobre. «Même à admettre une certaine nécessité de voir entrer rapidement en vigueur le règlement grand-ducal litigieux, il subsistait un délai de deux mois avant le 1er décembre 2018, de sorte que le pouvoir exécutif aurait du moins pu tenter de saisir le Conseil d’Etat tout en lui expliquant l’urgence de la situation et en demandant la célérité de son intervention», soulignent les juges administratifs. Les magistrats expliquent qu’un recours à la procédure d’urgence aurait pu être envisagé dans l’hypothèse d’un retard du Conseil d’Etat. Le gouvernement a cru pouvoir s’en passer. Il a 40 jours pour faire appel du jugement du 9 novembre.
Une quantité importante d’autres règlements grand-ducaux ont été adoptés à l’automne 2018 dans le sillage de la très controversée loi hospitalière sortie des ateliers des ministres LSAP de la Santé (Lydia Mutsch) et de la Sécurité sociale (Romain Schneider) selon la même procédure d’urgence. Toutefois, faute d’avoir été contestés dans un délai de trois mois après leur adoption, ils resteront en vigueur.
Les pédiatres de l’hôpital du Kirchberg ont d’autres contentieux à caractère financier avec les ministères de la santé et de la Sécurité sociale, notamment au sujet des tarifs horaires gardes sur place qu’ils doivent effectuer avec les anesthésistes et les gynécologues.
A lire aussi


