La nouvelle directrice du Centre National de Littérature est une personnalité atypique parmi les responsables d’institutions culturelles du pays. Celle qui a fait la plus grande partie de sa carrière à l’étranger, et notamment à Londres, va ouvrir Mersch à de nouveaux horizons.

«J’ai sauté dans un train en marche et depuis j’essaie de ne pas le freiner». Le 1er octobre, Nathalie Jacoby a pris les commandes du Centre National de Littérature (CNL). L’institution, jusqu’alors dirigée par Germaine Goetzinger puis Claude Conter, est sur les rails. «Le pilotage arrivera naturellement», dit la responsable qui veut prendre le temps d’en comprendre les tenants et aboutissants. Pour elle, c’est un nouveau métier. Un de plus dans une carrière qui n’a rien eu d’une routine.

Nous retrouvons la nouvelle directrice dans son bureau au bout du couloir du premier étage du CNL, rue Emmanuel Servais à Mersch. En ces temps de pandémie, la maison a des airs de belle endormie. La remarquable exposition sur «Le Luxembourg et la deuxième guerre mondiale», qui documente la vie et les écrits des auteurs luxembourgeois sous l’occupation, n’attire que peu de visiteurs. Elle a été prolongée jusque fin juillet 2021. La remise du prix Servais le 28 octobre à Francis Kirps pour «Die Mutationen. 7 Geschichten und ein Gedicht», s’est tenue en cercle restreint; l’institution a dû se mettre à l’heure du «livestream».

La nouvelle directrice ne compte pas programmer de nouvelles manifestations «si on n’est pas certain que cela peut avoir lieu». Cette femme pragmatique préfère «mettre les énergies dans les choses qu’on peut faire». Les tâches ne manquent pas. Qui plus est, le budget de l’institution est amputé de 11,5% en 2021.

Les parquets de bois craquent sous les pas du visiteur dans cette bâtisse classée monument national, où travaillent en silence 25 personnes. On y collecte et analyse tout ce qui concerne le patrimoine littéraire du pays. Les chercheurs peuvent consulter les 400 fonds d’archives et collections spéciales qui permettent d’éclairer l’œuvre d’un auteur ou l’histoire littéraire. Ces travaux donnent régulièrement lieu à publications ou manifestations.

Opportunité à saisir

Était-ce un signe du destin? Nathalie Jacoby était présente à l’inauguration du CNL en 1995, aux côtés de son père, l’écrivain Lex Jacoby (1930-2015). Mais elle était loin d’imaginer qu’elle en prendrait un jour les commandes.

«Lorsque la question de la succession de Claude Conter s’est posée, je ne me suis pas sentie concernée. Je n’étais au CNL que depuis cinq ans, à mi-temps. Quelqu’un m’a suggéré de postuler. Dans un premier temps, cela m’a choqué. Et puis j’ai réfléchi. C’était aussi une chance énorme qui m’arrivait sur un plateau». Elle confie avoir eu «très peur de la lourdeur de la tâche» à une période de sa vie déjà surchargée par sa triple casquette de collaboratrice scientifique du CNL, professeure d’allemand au lycée Ermesinde de Mersch, mais aussi lectrice bénévole des éditions anglophones Black Fountain Press. Elle a finalement décidé de se mettre sur les rangs «par passion pour la littérature luxembourgeoise».

Photo: Christian Peckels

Sa nomination, proposée par la ministre de la Culture Sam Tanson au Conseil de gouvernement à l’issue d’un appel à candidatures interne, «a été motivée par le souci d’allier l’excellence scientifique à la plus grande compétence de direction et d’encadrement», précise le ministère de tutelle. Ce choix a été bien reçu sur la scène littéraire, qui se désolait du départ inopiné de Claude Conter.

La directrice honoraire du CNL et figure tutélaire de l’institution, Germaine Goetzinger, voit en Nathalie Jacoby «une personne qui «connaît le CNL et le monde de l’édition», qui plus est «très engagée pour la littérature». L’éditrice et fondatrice de Black Fountain Press, Anne-Marie Reuter, s’en félicite également.  «C’est une personne passionnée, à l’énergie débordante, une grande travailleuse à l’esprit très créatif et en même temps dotée d’une forte capacité de synthèse et d’analyse. Elle sait mettre les doigts sur les problèmes et trouver des solutions», témoigne-t-elle en espérant que sa nomination soit aussi «un signal du ministère de la Culture envers le monde anglophone».

Une raconteuse d’histoires

La nouvelle directrice apporte avec elle un vent nouveau venu du large. Nathalie Jacoby avait 19 ans lorsqu’elle a quitté le Luxembourg en 1989. «À l’époque, je n’aurais jamais cru que c’était pour 20 ans», dit-elle.

Pendant ses études à Fribourg-en-Brisgau, elle va trouver les âmes sœurs qui lui manquaient au Luxembourg, même si l’enfant unique garde un bon souvenir de ses années passées à l’internat Sainte-Marie du Limpertsberg, entre l’âge de 12 et 16 ans. La mère supérieure va lui insuffler le goût du théâtre en mettant en scène des pièces écrites, entre autres, par Lex Jacoby.  «On s’éclatait avec mes copines. On riait tout le temps!», confie Nathalie Jacoby. Son virus du théâtre se développe au conservatoire de Luxembourg dans les cours de Marie-Paule von Roesgen et Marc Olinger, puis sur les scènes du théâtre d’improvisation qu’elle a longtemps pratiqué.

En Angleterre, on ne m’a jamais vue comme une étrangère.»

Faute de croire suffisamment en ses talents de comédienne, elle s’engage dans des études de littérature allemande, une langue qu’elle lit depuis toujours et qu’elle n’a jamais considéré comme «étrangère»,  à la différence du français. À l’université peut s’exprimer pleinement son insatiable curiosité et sa soif d’apprendre. Elle pousse ses études jusqu’à un doctorat en lettres allemandes, entrecoupé par une année comme enseignante de littérature allemande à l’université du KwaZulu-Natal en Afrique du Sud.. Son sujet de thèse porte sur la «narratologie », c’est-à-dire l’étude des structures des récits. Une manière de se plonger au cœur de la matière pour celle qui «adore raconter des histoires». Cette passion est l’une des clés de son parcours.

À l’heure de Buckingham Palace

Son doctorat en poche en 1999, il n’est pas question pour la thésarde de retourner au Luxembourg. Elle part à Londres et y trouve un job chez Antenna Audio, une société de production d’audioguides.
La jeune femme y gravit les échelons. L’assistante chargée des corrections de traductions d’audioguide deviendra directrice de la création et auteure en chef pour les régions Europe, Afrique et Moyen-Orient. Son métier de productrice d’audioguides lui fait explorer par le détail la Tour de Londres, Buckingham Palace ou encore l’Imperial War Museum.

Une expérience marquante qui forge son style de management. Elle y fait l’apprentissage du travail en équipe, autour d’un projet plus qu’en fonction d’une hiérarchie. Et puis, «en Angleterre, on vous respecte en tant que professionnelle. On ne m’a jamais vue comme une étrangère. On ne m’a jamais dit: ‘c’est votre quatrième langue, vous êtes sûre d’y arriver?’».

Photo: Christian Peckels

La langue de Shakespeare est sa langue de cœur, celle «qui fait le mieux résonner les émotions», dit-elle. Le destin lui fera croiser un acteur et metteur en scène américain basé à Paris, Timothy Lone, qui deviendra son mari.

Nathalie Jacoby est non seulement anglophone mais aussi anglophile. Elle garde de ses années londoniennes un souvenir ému. «Je suis amoureuse de cette ville et de l’Angleterre. Je m’y sens chez moi», confie-t-elle avec les yeux qui pétillent sous sa frange de cheveux noirs. Ce qu’elle apprécie chez les Anglais? «Leur façon de penser, de travailler, une certaine forme d’humour, leur créativité». Autant de traits de personnalité qui font écho avec ceux de la Luxembourgeoise, qui y ajoute aussi une bonhomie bien de chez nous.

Retour aux sources

Cette «belle période» londonienne prend fin en 2009. Antenna Audio passe sous la coupe d’un groupe américain et devient trop «corporate» à ses yeux. Et puis, après vingt années hors du pays, cette fille unique réalise que ses parents vieillissent: «Ils étaient encore en bonne santé et ne m’ont pas demandé de rentrer. Mais il m’a semblé important d’être là. On a pu faire encore de belles choses ensemble».

Il faut donner ses lettres de noblesse à la littérature luxembourgeoise.»

Le retour au Luxembourg ne va pas de soi. «On comprenait que mon mari américain pose  des questions. Mais moi-même je n’avais pas tous les codes. Je n’avais jamais vécu comme adulte au Luxembourg. Aujourd’hui encore, j’observe qu’il y a des blancs dans ma connaissance de la vie littéraire par exemple».

Tout d’abord professeur d’allemand stagiaire au Lycée d’Echternach, elle est ensuite affectée au Lycée Ermesinde à Mersch, où elle laisse un souvenir marquant. «Je n’aimais pas vraiment l’allemand mais elle était tellement passionnée qu’elle parvenait à intéresser toute la classe. C’est une personne qui se souciait vraiment de ses élèves, qui voulait qu’ils se sentent bien. Et puis, elle s’impliquait dans les projets collectifs du lycée, en dehors des cours d’allemand», témoigne l’une de ses anciennes étudiantes.

Toucher un large public

C’est l’absence de matériel didactique luxembourgeois qui incite Nathalie Jacoby à se tourner vers le CNL en lui proposant de créer des «dossiers pédagogiques» autour d’écrivains du pays. Elle entend poursuivre sur cette lancée en passant le relais à un nouveau professeur détaché, Tim Reuter. «Il faut donner ses lettres de noblesse à la littérature luxembourgeoise» est son mantra. Outre la constitution d’outils pédagogiques, son expérience londonienne lui a aussi appris à utiliser les technologies et canaux de diffusion actuels pour toucher un plus large public.

Après «Neubrasilien» de Guy Helminger en 2010, elle a conçu douze autres dossiers pédagogiques, dont un sur «Bonzai», une nouvelle de Lex Jacoby extraite de «Wasserzeichen», couronnée par le prix Servais en 1996. Un hommage discret à celui grâce auquel elle est «tombée dans la littérature» dès la naissance et dont, à sa manière, elle a pris le relais.


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