Les juges de Nancy valident la demande d’extradition de Frank Schneider aux Etats-Unis pour qu’il soit jugé dans l’affaire «OneCoin». Selon l’arrêt de la Cour d’appel, la procédure est conforme aux droits de la défense. L’ex-agent du SRE va se pourvoir en cassation.
La célébrité de Frank Schneider, ex-chef des opérations du Service de renseignement (SRE), dépasse les frontières du Grand-Duché et suscite désormais la curiosité des élèves français de l’école primaire. Une émission destinée aux juniors de la radio publique «France Info» s’est penchée ce mardi, veille d’un jugement sur une demande d’extradition le visant, sur son ancien métier «d’espion» au service du Grand-Duché. Un journaliste et essayiste spécialiste de l’espionnage répondait aux questions des enfants d’une classe de CM1 du Nord-Pas-de-Calais. Le petit Simon demandait si un espion pouvait aller en prison, même si c’est le FBI qui le chargeait d’une mission, tandis que son camarade Axel, 9 ans, s’interrogeait de savoir si la France protégeait ses espions et si oui comment.
Transposée à Luxembourg, la réponse au petit garçon serait clairement non. Interpellé le 29 avril 2021 près de sa résidence secondaire à Joudreville en Meurthe-et-Moselle à la demande des autorités américaines, mis en détention à la prison de Nancy pendant 7 mois et placé sous bracelet électronique depuis lors, l’ex-chef des opérations du SRE laisse les autorités de son pays totalement indifférentes à son sort.
Luxembourg placide
L’absence d’intervention du Grand-Duché – les autorités n’ont même pas demandé aux Français à voir le dossier répressif – dans les différentes phases de la procédure d’extradition est au cœur de la décision tombée mercredi à Nancy.
Le ministre des Affaires étrangères et européennes, Jean Asselborn (LSAP), d’ordinaire si pointilleux sur le respect des droits de la défense, ne veut pas s’impliquer personnellement dans le dossier d’un de ses ressortissants qui risque de passer ses vingt prochaines années en prison à New York, loin de sa famille. Ne voulant rien savoir de la procédure et du mandat d’arrêt, le Grand-Duché a laissé la France gérer seule la demande d’extradition des Etats-Unis, délivrée par une juge de New York qui enquête sur la fraude présumée aux cryptomonnaies «OneCoin».
L’incarcération de M. Frank Schneider aux Etats-Unis n’est pas acquise.“Arrêt de la Cour d’appel
Dans un échange de courriels entre les deux capitales, Luxembourg avait signifié à Paris qu’il ne souhaitait pas émettre un mandat d’arrêt à l’encontre de Frank Schneider, comme le droit le lui permettait pourtant. Cette option aurait permis au fondateur de la société d’intelligence économique «Sandstone» de rentrer au Grand-Duché, dont il est ressortissant. La procédure d’extradition serait alors devenue plus complexe du fait qu’un pays n’extrade que rarement ses propres nationaux.
Bien qu’il se défende de ses accusations, Frank Schneider est présenté dans cette affaire comme l’un des maîtres à penser, avec la fondatrice de OneCoin Ruja Ignatova, de cette escroquerie ayant porté sur plus de 3 milliards de dollars. Ruja Ignatova est une des fondatrices de OneCoin. Elle reste introuvable depuis 2017. La justice américaine reproche à Frank Schneider qu’il aurait informé Ruja Ignatova qu’elle faisait l’objet d’un mandat d’arrêt international. «Il ne l’a ni conçu, ni dirigé. Il s’est occupé de la sécurité de Ruja Ignatova», avait assuré à Reporter.lu, son avocate luxembourgeoise Me Lydie Lorang.
Questions de principe
La justice américaine, qui veut le juger sur son territoire, a délivré le 4 février 2021 un mandat d’arrêt international à l’encontre de Frank Schneider, reconverti depuis 2008 dans le renseignement privé. Les policiers français l’ont interpellé en France alors qu’il sortait de sa maison pour se rendre sur son lieu de travail à Luxembourg. Les documents judiciaires américains transmis aux juges nancéens détaillent les accusations de la juge de New York: «L’intéressé est accusé (…) d’avoir fourni des services d’espionnage industriel et de blanchiment d’argent (…) et d’avoir poursuivi les activités de OneCoin au moyen d’une société enregistrée à son nom aux Emirats Arabes Unis».
Frank Schneider s’oppose à son extradition aux Etats-Unis. Il n’aurait rien contre être jugé depuis la France dans cette affaire. Il existe des précédents.
Les avocats de l’ancien chef des opérations du SRE considèrent que les garanties d’un procès équitable et d’un système d’exécution de la peine états-uniens, si leur client devait être condamné, ancrées dans la Convention européenne des droits de l’homme, sont loin d’être assurées outre-atlantique.
En septembre dernier, l’avocat parisien, Me Emmanuel Marsigny, avait longuement plaidé sur l’absence de garanties procédurales équitables outre-atlantique, la disproportionnalité des peines encourues entre les Etats-Unis et la France (et même le Luxembourg où ces préventions vaudraient au plus entre 5 et 7 ans de prison) et sur le risque de traitement dégradant que Frank Schneider pourrait subir du fait de son incarcération probable dès sa sortie d’avion à l’aéroport JFK.
La défense de Frank Schneider avait aussi demandé aux juges de Nancy de saisir la Cour de justice de l’Union européenne afin de clarifier les droits fondamentaux des ressortissants européens extradables dans des pays tiers. Il s’agissait aussi de déterminer les obligations incombant aux autorités luxembourgeoises envers ses propres nationaux visés par une demande d’extradition dans un autre Etat de l’Union européenne, en l’occurrence la France dans le cas de Frank Schneider.
«Manque de sérieux»
La Cour d’appel de Nancy a jugé inutile la saisine de la juridiction européenne, considérant que les demandes de questions préjudicielles «manquaient de sérieux». «Une obligation de transmission du dossier répressif n’a aucun fondement légal dans le droit de l’Union et serait inconciliable avec les objectifs de l’échange d’informations entre l’Etat membre requis (la France, ndlr) et l’Etat de nationalité (Luxembourg, ndlr), à savoir préserver le droit de libre circulation et lutter contre l’impunité pénale en évitant de complexifier et d’allonger substantiellement la procédure d’extradition», expliquent les juges dans l’arrêt de mercredi que Reporter.lu a pu consulter.
Ces rapports ne donnent pas un tableau précis et certain des éventuelles conditions de détention de M. Frank Schneider (…).“Arrêt de la Cour d’appel
La juridiction a rejeté par ailleurs les griefs mettant en cause le respect par les Etats-Unis des garanties fondamentales de procédure et de protection des droits de la défense inscrites dans la Convention européenne des droits de l’homme. Rien ne dit que Frank Schneider ira en prison dès sa remise aux autorités américaines, font valoir les juges: «Si l’extradition implique une remise sous contrainte de la personne concernée, elle n’implique pas qu’une détention suive nécessairement et automatiquement. Le droit américain prévoit ainsi, dès la première comparution de l’intéressé aux Etats-Unis, qu’il puisse demander une audience aux fins de contester la suffisance des preuves dont disposent les procureurs pour justifier la détention avant jugement. L’incarcération de M. Frank Schneider aux Etats-Unis n’est pas acquise».
Quant aux conditions de vie dans les prisons américaines, régulièrement dénoncées par des rapports d’ONG de protection des droits de l’homme, la Chambre d’instruction de la Cour d’appel les balaie d’un revers de main: «Ces rapports, souligne l’arrêt, ne donnent pas un tableau précis et certain des éventuelles conditions de détention de M. Frank Schneider, avec des éléments objectifs et actualisés, détention qui par ailleurs en l’état actuel de la procédure, est hypothétique dans son principe et incertaine dans ses modalités».
Contacté par Reporter.lu, Me Emmanuel Marsigny a annoncé que son client fera un pourvoi en cassation contre la décision de la Cour en faveur de la demande d’extradition. Également sollicité, Frank Schneider indique que «l’arrêt ne constitue pas une surprise». «Nous continuons la bataille», assure-t-il. Elle devrait être longue. En matière d’extradition, les pourvois sont suspensifs.
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