Incarcéré depuis près de 7 mois à Nancy, Frank Schneider sera libéré sous contrôle judiciaire strict, ce lundi 22 novembre. La question de l’extradition aux Etats-Unis de l’ex chef des opérations du SREL dans l’affaire OneCoin devrait être tranchée en janvier.

La décision est tombée vendredi à 11 heures au lendemain d’une audience en deux temps devant la Chambre d’instruction de la Cour d’Appel de Nancy. Sans surprise, la juridiction a fait droit à la demande de Frank Schneider de sortir de prison, après des mois d’attente et trois comparutions publiques devant les juges. Il sera assigné à résidence. «Je suis extrêmement satisfait de sa remise en liberté», a indiqué à Reporter.lu son avocat Me Emmanuel Marsigny.

En septembre dernier, les magistrates qui traitaient son dossier – la juridiction a changé de constitution depuis lors – avaient déjà laissé entrevoir l’espoir d’une libération en demandant une enquête de faisabilité sur son placement sous bracelet électronique à son domicile à Joudreville en Meurthe-et-Moselle. Les services pénitentiaires se sont montrés favorables à cette option alternative à de la détention qu’il disait supporter de plus en plus mal. Compte tenu de son profil particulier, Schneider avait été placé dans une cellule à l’isolement.

Pas de caution, pas de sorties possibles

La Chambre d’instruction a décidé de libérer Frank Schneider de prison et de le placer sous contrôle judiciaire strict à partir de ce lundi 22 novembre. Les sorties ne sont pas autorisées. La juridiction n’a pas demandé de caution, alors que son avocat se disait prêt à verser 200.000 euros contre un régime de semi-liberté pour son client.

La veille, l’avocat général s’était dit opposé à ce que l’ancien chef des opérations du SREL reconverti dans le renseignement privé sorte de la prison de Nancy où il a été placé depuis le 28 avril 2021 aux termes d’une interpellation mouvementée.

L’audience de jeudi a duré deux heures et demie, jeudi matin. Les débats se sont déroulés en deux temps: une première partie fut consacrée au traitement de la demande d’extradition de Schneider aux Etats-Unis.

Le dirigeant de la firme d’intelligence économique Sandstone est accusé par un procureur de New York de collusion avec Ruja Ignatova, fondatrice de la plateforme de crypto-monnaie OneCoin au coeur d’une fraude financière internationale à plusieurs milliards de dollars. Recherchée par le FBI, la police fédérale américaine, la femme d’affaires d’origine bulgare s’est volatilisée en 2017 et reste introuvable depuis lors. Frank Schneider est soupçonné entre autres de l’avoir avertie de son statut de «most wanted woman» grâce à ses relations avec des agents d’Interpol avec lesquels il était proche du fait de ses anciennes responsabilités dans le renseignement luxembourgeois.

Le système carcéral américain est vampirisant, martyrisant et horrible.“Emmanuel Marsigny, avocat de Frank Schneider

Selon la radio publique 100.7, qui cite elle-même la BBC, le scandale OneCoin a également fait des victimes au Luxembourg. Rien qu’au premier semestre 2016, 65 personnes y résidant avaient investi un montant de 165.000 euros.

Frank Schneider s’oppose catégoriquement à son extradition, considérant que les conditions pour un procès juste et équitable aux Etats-Unis – où il risque 40 ans de prison – ne sont pas réunies. «Le système carcéral américain est vampirisant, martyrisant et horrible», a plaidé jeudi son avocat Emmanuel Marsigny, qui est une grosse pointure du barreau de Paris.

Justice à distance pour tous

Ce dernier a d’ailleurs demandé à la juridiction nancéenne de saisir la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) pour trancher de la conformité de la demande d’extradition américaine au regard de la Charte européenne des droits fondamentaux. Ils seraient loin d’être garantis, selon l’avocat qui a donné une description peu flatteuse du système judiciaire et carcéral outre Atlantique.

«Pourquoi Monsieur Schneider n’aurait pas droit lui aussi d’être protégé d’un système que l’on sait vampirisant pour ne pas dire tyrannisant et horrible», a lancé Me Marsigny. Il demande que son client soit jugé à distance aux Etats-Unis depuis la France, selon des normes européennes du droit de la défense, sans avoir à plaider coupable.

La jurisprudence a permis à une Française, employée de la Société Générale, à comparaître à distance dans un procès retentissant impliquant la banque. Ce droit devrait également valoir pour tous les citoyens ressortissants de l’Union européenne, a fait valoir l’avocat.

«Je ne veux pas prendre votre juridiction en otage sur le plan sentimental (…), mais si je vous croise dans quelques années dans la rue et que Frank Schneider, s’il était extradé, devait être victime d’un homicide ou de faits attentatoires à sa dignité, personne, ici, ne pourra dire qu’il n’était pas conscient des risques», a-t-il encore souligné.

Silence radio à Luxembourg

L’avocat général, Philippe Renzi s’oppose à la saisine de la juridiction européenne, estimant que la procédure ayant permis aux autorités françaises d’exécuter le mandat d’arrêt délivré par les Américains et d’interpeller Frank Schneider s’était faite selon les normes en vigueur, conformément à la règlementation européenne et au traité d’extradition entre la France et les Etats-Unis.

On n’a pas à s’opposer à l’extradition de Monsieur Schneider, car les Luxembourgeois n’en veulent pas. Ils ne veulent pas engager des poursuites contre Monsieur Schneider.“Philippe Renzi, avocat général

«On n’a pas à s’opposer à l’extradition de Monsieur Schneider, car les Luxembourgeois n’en veulent pas. Ils ne veulent pas engager des poursuites contre Monsieur Schneider», a expliqué le représentant du ministère public.

La défense de Schneider considère au contraire que le droit européen, celui notamment qui offre aux citoyens européens des garanties procédurales, n’a pas été respecté et qu’il convient à la CJUE de clarifier leurs droits à un procès équitable dans le cadre de la liberté de circulation au sein de l’UE et du respect des droits fondamentaux.

Me Marsigny entend faire du «cas Schneider» un précédent qui pourrait selon son expression «révolutionner» le droit à la citoyenneté européenne pour atténuer les différences tirées de la nationalité qui survivent encore au sein de l’UE. Si la banquière française a pu bénéficier d’un procès aux Etats-Unis depuis la France, pourquoi cette faculté serait refusée à Frank Schneider, a-t-il fait valoir, justifiant ainsi la pertinence d’un arbitrage de la juridiction européenne.

Les limites du signal électronique

Le pénaliste français interpelle aussi indirectement les autorités luxembourgeoises qui se sont montrées étonnamment muettes dans le dossier Schneider, pourtant un de leurs ressortissants. L’échange entre le ministère français de la Justice et le parquet de Luxembourg s’est limité à un courriel. L’avocat français estime qu’un recours dans son pays aurait dû être prévu pour mettre en question la légitimité de la procédure d’extradition. «Il faudrait une judiciarisation de cet échange de mail. Peut-être que Luxembourg aurait envie de protéger son citoyen?», a-t-il lancé.

La Chambre d’instruction se prononcera le 19 janvier prochain. Frank Schneider devrait alors comparaitre « libre» devant les juges.

Sa demande de remise en liberté sous caution, avec placement sous bracelet électronique avait occupé la seconde partie de l’audience du jeudi 18 novembre.

Les services pénitentiaires ont rendu le 26 octobre dernier un rapport technique favorable pour que Frank Schneider puisse être assigné à résidence à Joudreville. A l’audience, une des juges a égrainé le contenu du rapport. Tout concordait techniquement pour que le Luxembourgeois puisse travailler depuis son domicile lorrain – avant son interpellation Schneider gagnait 20.000 euros par mois -, recevoir des clients et même faire du sport dans la salle aménagée de la maison.

Présence américaine discrète

Seule contrainte soulignée par le rapport, il ne pourra pas se rendre jusqu’aux écuries, les fréquences du bracelet électronique n’offrant pas une couverture suffisante pour qu’il s’occupe des trois chevaux de la propriété familiale. Certaines pièces de la maison de 300 à 400 mètres carrés lui seront également interdites pour les mêmes raisons de mauvaise couverture du signal. Le rapport avait recommandé les sorties du domicile, une heure les jours de la semaine et deux heures les week-ends, mais les juges nancéens n’y ont pas fait droit.

L’avocat général n’était pas favorable à une libération de Frank Schneider, faute de garanties suffisantes sur sa représentation en justice aux Etats-Unis, dans l’hypothèse où la chambre d’instruction validerait ultérieurement l’extradition. Philippe Renzi entrevoit un risque que l’ancien numéro 3 du SREL échappe à la justice américaine et soit tenté de fuir en Grande-Bretagne où il dispose d’une maison dans le Kent ou à Dubai où il est propriétaire d’un appartement.

«Frank Schneider s’oppose à son extradition, ça ne veut pas dire pour autant qu’il veut fuir la justice américaine» lui a rétorqué Me Marsigny, reprochant au magistrat du parquet de faire un procès d’intention à son client.

Le dernier mot fut laissé à Schneider: «Je n’étais jamais en fuite. Je cherche la justice et à résoudre la situation. Et la justice est la solution de cette situation», a-t-il fait valoir.

L’audience de jeudi matin était discrètement suivie par un représentant de l’ambassade américaine à Paris.


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