Le gouvernement a mis en place un nouvel instrument pour soutenir le secteur du livre. La création de l’agence «Reading Luxembourg» vise à augmenter le rayonnement de la production nationale et des écrivains hors des frontières. Un parcours du combattant s’annonce pour «Let’s make it happen».
Ce jour-là, une petite délégation gravit en rangs serrés les escaliers de la majestueuse Bibliothèque Nationale du Luxembourg, inaugurée le 30 septembre 2019 au Kirchberg. La foulée dynamique de la directrice, Monique Kieffer, est suivie sans peine par un groupe tout sourire, dont une partie connaît bien la maison. Sont présents plusieurs écrivains mais aussi la responsable de la mission culturelle à l’ambassade du Luxembourg à Paris, Valérie Quilez. Celle-ci accompagne des représentants du Marché français de la Poésie, où le Luxembourg sera en 2021 l’invité d’honneur. Les rayonnages des Luxemburgensia sont au troisième étage. L’un des meilleurs points de vue sur l’intérieur du bâtiment. Avec la nouvelle Bibliothèque Nationale, la scène du livre dispose enfin d’une vitrine de prestige à la hauteur de ses ambitions pour rayonner sur la scène internationale.
Passer de la BNL aux rayonnages des bibliothèques ou librairies à l’étranger ne va toutefois pas de soi. Comme le souligne l’écrivain Jean Portante, prix Batty Weber en 2011 pour l’ensemble de son œuvre: «On ne se jette pas sur la littérature luxembourgeoise à l’étranger. Il y en a tellement!»
Un Petit Poucet de l’édition européenne
De fait, le dernier rapport de la Fédération des éditeurs européens indique que 585.000 nouvelles publications – tous genres confondus – ont été publiées en 2018. Le catalogue disponible en Europe compte 11 millions de titres, avec comme principaux marchés la Grande-Bretagne, l’Allemagne, l’Italie, la France et l’Espagne. Les éditeurs européens réalisent en moyenne 78% de leur chiffre d’affaires sur leur marché domestique (un total de 22 milliards d’euros, dont la moitié environ provient du secteur de l’éducation ou des publications académiques). L’export leur rapporte 22% des revenus.
Le site Lord.lu recense pour sa part 129 nouvelles publications d’éditeurs luxembourgeois en 2018 (0,02% du volume affiché par la Fédération européenne) et actuellement un total de 1386 œuvres en catalogue (0,01%). Le Statec ne dispose pas de données sur le chiffre d’affaires annuel d’un secteur qui n’est pas membre de la Confédération du commerce. Toujours est-il qu’en terme de rapport de forces, c’est le Petit Poucet face à l’ogre des contes de Perrault. Pas évident de sortir son épingle du jeu.
Jean Portante est l’un des auteurs qui s’exporte le mieux sur la scène internationale. L’auteur de «Mrs Haroy ou la Mémoire de la baleine» a publié une partie de son œuvre aux éditions du Castor Astral. Cet éditeur indépendant français lui a permis de développer un précieux réseau. Les poètes se tiennent les coudes sur la scène internationale, où ils s’invitent mutuellement à toutes sortes de rencontres ou festivals. Jean Portante a lui-même traduit Guy Rewenig et fait traduire Pierre Joris au Castor Astral. Pour Roger Manderscheid, auteur culte de la littérature luxembourgeoise, cela n’a pas abouti.
Les connexions de Jean Portante et le prestige du Prix Mallarmé (2013) lui ont ouvert l’édition dans de nombreuses langues (de l’italien à l’espagnol en passant par l’anglais, l’allemand, le portugais, le hongrois, l’arménien et le bosniaque). Mais les tirages sont le plus souvent confidentiels. Un maximum de 500 exemplaires pour un ouvrage de poésie, jusqu’à 2.000 exemplaires pour la littérature. La diffusion cumulée de ses livres – en version originale ou traduction – atteindrait, d’après ses estimations, quelque 10.000 exemplaires.
Cap à l’Est
Il n’est pas le seul auteur à avoir franchi la frontière du Luxembourg. La littérature luxembourgeoise parvient surtout à se frayer un chemin dans le segment assez confidentiel, mais dynamique, de la poésie. Au firmament règne Anise Koltz, publiée dans la prestigieuse collection Gallimard Poésie mais on trouve aussi Lambert Schlechter, Pierre Joris ou encore Jean Krier (lauréat en 2011 du prestigieux Adelbert-von-Chamisso-Preis obtenu avant son décès en 2013).
Il y a eu un effet de curiosité» Jean Back, écrivain
Du côté des romanciers, ils sont plus rares à avoir réussi à se profiler. Guy Helminger est le seul à avoir atteint le graal d’une (seule) publication chez Suhrkamp en Allemagne en 2005 avec «Etwas fehlt immer. Erzählungen». Sa pièce de théâtre «Venezuela» a été traduite en anglais et jouée sur plusieurs scènes anglo-saxones. Autres exemples: «Kasch» de Roger Manderscheid a été traduit en espagnol, «Amok» de Tullio Forgiarini en Italien, «Porto fir d’Affekoten » de Josy Braun en portugais. La jeune écrivaine anglophone Anna Leader commence à publier en Grande-Bretagne.
Autre phénomène en vogue: la traduction en langues de l’Europe de l’Est. La nouvelle de Jean Back, «Amateur», couronnée en 2009 par le Prix européen de Littérature, a été traduite de l’allemand en six langues (tchèque, hongrois, bulgare, macédonien, albanais et serbe). «J’étais le premier luxembourgeois à être distingué au niveau européen. Il y a eu un effet de curiosité», dit-il. Il faut dire que sa nouvelle, qui ne compte que 50 pages, limitait les frais de traduction qui ont pu être couverts par l’enveloppe offerte par l’Union européenne. Gast Groeber (avec «All Dag verstoppt en aneren» et Nora Wagener («Larven»), viennent d’être traduits en serbe. Les tirages restent modestes, généralement entre 400 et 500 exemplaires.
La majorité des auteurs sont uniquement diffusés au Grand-Duché. «Les contraintes de diffusion sont telles que les livres, une fois publiés, ne sortent pas des frontières», regrette l’écrivaine et éditrice Suzanne Jaspers (Capybarabooks), qui publie essentiellement de la littérature et des livres de voyage en allemand (notamment ceux de son mari Georges Hausemer décédé en 2018, ou encore Guy Helminger). Aussi estime-t-elle que pour gagner en visibilité, il n’y a d’autre alternative que de vendre les droits de réédition ou de traduction des publications sur les grands marchés étrangers.
Offensive encadrée
Pour la ministre de la Culture et grande lectrice, Sam Tanson (Déi Gréng), «la vaste panoplie d’excellentes œuvres produites au Luxembourg mérite d’être reconnue et diffusée à l’étranger», peut-on lire dans le premier rapport annuel de l’agence Reading Luxembourg qu’elle a créée il y a un an. Celle-ci a été mise sur orbite dans le même esprit que MusicLX pour doper la production musicale à l’étranger.
C’est Marc Rettel, un fringant trentenaire spécialiste de Ionesco, yeux azurs et cheveux bouclés domestiqués en catogan, qui en assume la responsabilité avec un enthousiasme communicatif. Fort de la feuille de route confiée par la ministre de la Culture et d’un premier budget de 290.000 euros (porté à 345.000 euros en 2020), il n’a pas chômé en 2019: présence à la Foire de Francfort, prospection pour d’autres foires du livre, création de catalogues promotionnels, lancement d’un site internet, actions de sensibilisation et de communication. Coup dur cette année pour cause de Coronavirus: l’annulation de Livres Paris et de la Foire du livre de Leipzig. En revanche, celle de Bruxelles a été maintenue.
Les activités de Reading Luxembourg doivent être évaluées à moyen et long terme. Cela étant, on peut noter que les résultats concrets de la première année sont limités. Seul un éditeur a pu y vendre les droits de traduction d’un livre, sur les 216 ouvrages représentés au stand luxembourgeois à la Frankfurter Buchmesse. Un sondage réalisé lors d’un atelier de bilan a révélé que pour une large majorité des éditeurs luxembourgeois, «la coopération internationale et la vente de droits ne constitue pas le cœur de la démarche de leur structure».
Les particularismes locaux peuvent être un obstacle» Stefanie Drews, agent littéraire
Dans sa stratégie de promotion du secteur du Livre, Marc Rettel peut compter sur l’expertise de Stefanie Drews. Cette Allemande basée à Paris a travaillé pendant huit ans au département de vente des droits de publication des éditions Stock, avant de lancer son agence indépendante. Sa connaissance des marchés internationaux doit aider les éditeurs luxembourgeois à déterminer les livres qui ont le plus de chance d’être achetés pour une traduction ou une réédition. «D’une manière générale, la fiction intéresse plus les éditeurs étrangers que la non-fiction. Il faut des oeuvres originales par leur histoire ou leur style, mais auxquelles un lecteur étranger puisse s’identifier», dit-elle en précisant que «les particularismes locaux peuvent être un obstacle si le lecteur n’est pas en mesure de les décrypter».
La question de la langue originale d’écriture n’est pas neutre en termes d’attractivité. «On voit rarement un livre allemand parmi les bestsellers en France. En revanche la littérature francophone fonctionne plutôt bien en Allemagne», observe la spécialiste.
Situés dans un entre-deux, les livres en langue luxembourgeoise doivent en plus surmonter l’obstacle de trouver un traducteur vers une langue étrangère. Jean Back témoigne ainsi qu’il a renoncé à une traduction en allemand de son livre en luxembourgeois «Iesel». «Cela a fonctionné pendant quelques chapitres et puis j’ai préféré dire à mon traducteur d’arrêter», confie-t-il. Idéalement, le traducteur doit comprendre le luxembourgeois mais être de langue maternelle étrangère, estime l’écrivaine et éditrice d’origine allemande Suzanne Jaspers. «Rares sont les Luxembourgeois capables de traduire parfaitement vers l’allemand», dit-elle.
Dans des marchés déjà saturés, chacun s’accorde à reconnaître que trouver des débouchés pour la production luxembourgeoise n’ira pas de soi. «Si on ne propose rien, les éditeurs étrangers ne viendront pas le chercher», dit toutefois Stefanie Drews. Forte de son carnet d’adresses, cette agent littéraire espère bien trouver la perle littéraire qui mettra le Luxembourg sous le feu des projecteurs de la scène littéraire internationale. Jean Portante, lui, salue l’initiative Reading Luxembourg mais conseille aux jeunes auteurs de ne pas uniquement se reposer dessus: «Il faut se retrousser les manches pour trouver un éditeur à l’étranger!»