Un changement de génération s’est produit sur la scène culturelle au cours de cette année. C’est le cas aux Musées de la ville de Luxembourg. Avec Guy Thewes, la révolution n’aura pas lieu. Mais cet historien, spécialiste de l’empereur Joseph II, a retenu les leçons du despote éclairé dont le règne n’est pas sans similitude avec les défis d’aujourd’hui.
Nous rencontrons le directeur au City Museum, l’un des deux musées qu’il dirige avec la Villa Vauban. L’ancienne directrice, Danièle Wagener, était à l’image du style raffiné et de l’ouverture internationale de la Villa dédiée aux Beaux-Arts, nichée dans l’écrin du parc municipal. Guy Thewes, silhouette affûtée d’ancien marathonien et lunettes en écaille, est plutôt le reflet de l’exposition «Schwaarz Konscht», à voir actuellement au Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg. Un sujet pas vraiment sexy de prime abord sur les taques de cheminée en fonte, mais qui vaut le détour.
«C’est vrai que je suis assez fier de cette expo», confie le directeur en parcourant les salles du City Museum, «c’était un vrai défi de faire quelque chose de cette collection d’Édouard Metz qu’on avait dans nos dépôts depuis plus de 20 ans». Ces objets restaurés nous entraînent dans l’histoire de la production de la fonte ou encore celle des modes de chauffage privés, dans une scénographie qui sublime les objets.
En phase avec son siècle
Séance de shooting photo sur la terrasse ensoleillée qui surplombe la vallée de l’Alzette, à l’arrière du bâtiment. L’homme s’y prête de bonne grâce: «Je ne me cache pas, sinon je n’aurais pas accepté cette fonction», lâche-t-il. En décembre 2018, il a joué le jeu du «#EngKosettche mam… » pour la page facebook du musée.
On y apprend, entre autres, qu’il est fan du groupe Dire Straits et qu’il déteste la soupe de poireaux.

À l’heure où le musée mise sur le digital – avec le lancement d’une application mobile ou encore la possibilité d’interagir dans les expositions – Guy Thewes joue le jeu. Ce spécialiste de l’Empereur du Saint-Empire Joseph II (grand réformateur en ce XVIIIème siècle qui allait accoucher de la Révolution française) estime qu’ «il faut être en phase avec l’esprit du temps». Et d’ajouter: «si cela permet d’intéresser un public plus large à ce que nous faisons dans le musée, faire ces vidéos sur facebook ne me dérange pas. Et même cela m’amuse».
Les nouveaux outils sont «une opportunité de faire quelque chose de nouveau», dans la perspective de la stratégie «Musée pour tous» mise en place depuis trois ans. Une stratégie payante. En 2018, les deux musées ont affiché un chiffre record de 90.875 personnes grâce à un partenariat avec l’Office de tourisme de la ville de Luxembourg. Fin juin 2019, on comptait plus de 40.000 visiteurs (dont les deux-tiers pour le City Museum).
La révolution technologique ne fait pas peur au directeur. Il est persuadé que le public continuera à avoir besoin d’une expérience physique avec les objets. Et de fait, on peut observer que tous les sens sont mobilisés dans les expositions, que ce soit à travers des installations tactiles, sonores ou odorantes. L’odeur de Barbapapa dans l’expo «Ons Schueberfouer», il fallait y penser!
Il est très intelligent, intéressé par la recherche historique mais il sait aussi être chef de projet, travailler avec les gens, les motiver, gérer des timings». Danièle Wagener, ex-directrice des deux musées
Sur les sites internet des deux musées, on scrolle pratiquement jusqu’en bas de la page de présentation de l’équipe de 45 personnes pour découvrir, à la lettre T, les coordonnées de Guy Thewes, directeur. «Je n’ai pas insisté pour être le premier», commente-t-il. Cet adepte du management coopératif se dit convaincu de l’intérêt de travailler dans «l’écoute et le consensus». Ce qui n’empêche pas «d’avoir des opinions et de savoir ce qu’on veut».
Ces qualités sont soulignées par l’ancienne directrice, Danièle Wagener, que nous avons contactée en marge de ce reportage. Elle ne tarit pas d’éloges sur celui qui a été durant 25 ans son collaborateur. Elle a recruté Guy Thewes en 1993, trois ans avant l’ouverture du Musée d’Histoire de la Ville de Luxembourg (rebaptisé City Museum Lëtzebuerg en 2017). C’était un successeur tout désigné: «Il est très bien pour ce poste sinon je ne l’aurais pas proposé pour prendre la direction. Il est très intelligent, intéressé par la recherche historique mais il sait aussi être chef de projet, travailler avec les gens, les motiver, gérer des timings». Tous deux continuent à se voir régulièrement, «en tant qu’anciens collègues», précise Danièle Wagener, «pas pour lui donner mes conseils».
La mise en scène de l’histoire
Avant de passer du City Museum à son bureau situé dans l’immeuble de l’autre côté de la rue du Saint-Esprit, Guy Thewes s’arrête au deuxième étage du musée. La sculpture du «Renert», hommage au monument de la littérature luxembourgeoise qu’est le roman éponyme de Michel Rodange, est l’un de ses objets préférés. Pourquoi? Sans raison particulière. Mais ce choix n’est pas vraiment surprenant. On peut y voir le symbole de sa volonté de faire des musées des lieux qui racontent des histoires. La troisième exposition permanente qu’il a inaugurée au City Museum en 2017 titre ainsi sur la «Luxembourg Story». Un nom plus attractif que «History».
Il y a dans l’Histoire un côté aventurier, si c’est bien raconté. À travers cela, on peut comprendre le monde, la politique, la civilisation, la société.“Guy Thewes
Le côté romanesque de l’Histoire a contribué à éveiller la vocation de celui qui a grandi dans dans la vieille ville, à quelques encablures du musée. «Il y a dans l’Histoire un côté aventurier, si c’est bien raconté. À travers cela, on peut comprendre le monde, la politique, la civilisation, la société. Déjà à l’école primaire, je m’intéressais aux Romains. Je me rappelle des céramiques que l’on ramassait au Titelberg lors des ballades familiales», confie le directeur.
Son père est pâtissier au Puits Rouge dans la Grand-Rue à Luxembourg et n’a aucune envie de voir l’un de ses deux fils suivre sa voie. Le métier est trop dur. Le jeune Guy Thewes, «fan d’Astérix et Obélix», joue au foot sur le parvis de la Cathédrale après les cours à l’école de la Congrégation. C’est à l’Athénée que se développe sa passion pour l’histoire, transmise par son professeur Emile Haag puis par les figures tutélaires de Gilbert Trausch et Paul Margue au Cours universitaire de Luxembourg.
À Louvain-La-Neuve, il se spécialise sur la période allant du XVIème au XVIIIème siècle et se passionne pour la personnalité austère et réformatrice de l’empereur Joseph II (1741-1790), archiduc d’Autriche qui règne aussi sur le Duché de Luxembourg. Sa thèse intitulée «Stände, Staat und Militär. Versorgung und Finanzierung der Armee in den Österreichischen Niederlanden (1715-1795)» est soutenue en 2011 à l’Université de Luxembourg.
Entre Lumières et City branding
«Les musées sont eux aussi nés des Lumières. Nous avons un rôle à jouer pour éclairer le public», souligne le directeur. Il concède néanmoins que l’exposition permanente du City Museum «a un côté un peu plat, un peu Service Information et Presse». Il faut dire que les Musées de la ville dépendent du service culturel de la Commune. «On s’est mis d’accord sur une vision consensuelle en interne, avec le soutien d’experts externes». C’est ainsi que des représentants de la place financière ont été associés par exemple à la conception de la salle sur le secteur financier. Parmi les motifs du formidable boom enregistré depuis les années 1990, on ne trouve aucune mention du secret bancaire. Seul un discret petit palmier dans la scénographie y fait allusion.

Les expositions temporaires – dont les thématiques doivent être validées par le Collège échevinal qui accorde le budget – sont en principe là pour stimuler les débats. Les thématiques actuelles autour de «Ons Schueberfouer» et de «Schwaarz Konscht» ne prêtent pas vraiment à polémique. Mais Guy Thewes annonce pour 2020 une exposition sur les théories du complot où l’on reparlera du Bommeleeër et de la place financière: «Je pense qu’on peut faire une histoire critique sans chercher le coupable et tomber dans la dénonciation. Sur base de différentes sources, on peut présenter différentes visions, différentes perspectives», estime-t-il.
Stad vs. Staat
Dans le cadre spartiate de son bureau flanqué d’un espace bibliothèque, Guy Thewes garde aussi à distance un œil sur la Villa Vauban. À partir de 2021, on pourra y redécouvrir une exposition permanente des collections de la Ville de Luxembourg. Parallèlement seront organisées deux expositions temporaires chaque année, l’une d’envergure internationale, l’autre focalisée sur les artistes luxembourgeois. Les propositions, nous assure-t-il, se font en concertation avec les autres musées dans le pays, voire en partenariat. C’est actuellement le cas pour le Mois européen de la photographie.
Derrière ces vitrines que sont les musées, l’arrière-boutique n’est pas de tout repos. Se posent pour le nouveau directeur les défis du stockage et de la conservation d’une collection qui compte désormais 30.000 objets issus d’acquisitions, mais aussi de dons un peu disparates. «Les développer et les conserver demande beaucoup de travail», dit-il. Son budget annuel d’acquisition est de 150.000 euros, complété par des dons des Amis des musées ou des personnes privées. Trier, inventorier, conserver. Les tâches ne manquent pas.
Se pose aussi la problématique de la digitalisation des collections. Les Musées de la Ville ne sont pas intégrés à la grande stratégie digitale culturelle du gouvernement, qui ne concerne que les institutions de l’État. Un point que Guy Thewes regrette: «Il faudrait pour les collections muséales une initiative comme bibnet.lu pour les livres, qui nous permettrait de tout mettre en réseau».
Pour l’heure, il ne semble pas que ce soit la priorité du ministère de la Culture. Le Plan de développement culturel prévoit de construire un dépôt national pour les «instituts culturels» mais il n’est pas spécifié si cela englobera les instituts culturels municipaux. De même, leur implication n’est pas mentionnée dans la recommandation 55 sur la «stratégie numérique du patrimoine culturel national». Une histoire qui reste à écrire.
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