C’est l’escroquerie fiscale la plus juteuse d’Europe: chaque année, des fraudeurs empochent 50 milliards d’euros de TVA. Au Luxembourg, le manque de surveillance, des sociétés-écrans et des banques crédules ont facilité la fraude.
Lundi, 8 mai 2009: la bourse parisienne Bluenext ferme de manière inattendue. Peu à peu, la raison devient apparente. Il s’avère que les quotas carbone vendus à cette bourse sont à la base d’une escroquerie à la TVA. Compte tenu de l’envergure de cette fraude au CO2, le gouvernement français décide d’exonérer les quotas de TVA. C’est un vrai coup de théâtre.
Lorsque Bluenext reprend ses activités le 10 juin, le marché des quotas carbone ne tourne plus – l’intérêt s’est évaporé. C’était bien l’effet escompté, car pour la majorité des concernés, le seul intérêt de cette bourse était la fraude dite «carrousel». Sans TVA, la fraude devient impossible. C’est pourquoi les fraudeurs sont allés voir ailleurs. Leur but : établir de nouveaux réseaux en dehors de la France, entre autres au Luxembourg. Et déplacer l’activité.
Comment fonctionnait cette escroquerie? Une bande organisée crée des entreprises qui négocient entre elles dans plusieurs pays. Elles vendent en boucle un même produit jusqu’à ce que celui-ci revienne entre les mains du vendeur initial. A chaque tour de «carrousel», la TVA est empochée. Le modus operandi est simple: les sociétés «boîte aux lettres» facturent bien la TVA à leurs clients, mais ne la reversent pas aux autorités. Avant que les autorités ne s’en rendent compte, l’entreprise se volatilise.
Dans ce cas-ci, les fraudeurs demandent le remboursement d’une TVA qu’ils n’ont jamais payée. Cette somme constitue le butin des escrocs. Grâce à cette magouille, qui peut être appliquée à tous types de marchandises, les fraudeurs réussissent à alléger les caisses des Etats de l’Union européenne d’au moins 50 milliards d’euros par an. Pour ce qui est de la fraude au CO2, Europol estime qu’au total la fraude s’élève à cinq milliards d’euros. Des experts, quant à eux, tablent sur un montant entre huit et dix milliards.
La fraude au CO2 se chiffre à près de dix milliards d’euros
Grand Theft Europe est une recherche européenne coordonnée par le centre de recherches allemand CORRECTIV. 63 journalistes ont décortiqué 315.000 pages de documents confidentiels qui mettent en évidence le rôle du Luxembourg dans des réseaux qui s’étendent sur toute l’Europe.
La fraude aux quotas carbone illustre bien le fonctionnement de l’escroquerie fiscale la plus juteuse d’Europe. Au moment où la fraude battait son plein, environ 80% des transactions des quotas carbone étaient de nature frauduleuse, selon les estimations des experts.
Les nouvelles têtes de l’Hydre
Mais la fraude carrousel est comme l’Hydre: Dès qu’on détruit une tête, deux nouvelles renaissent. Les fraudeurs sont rapides et créatifs: ils font évoluer leurs produits et changent de marché avant même que les autorités ne s’en rendent compte. L’administration fiscale venait à peine de mettre un terme aux carrousels aux quotas de carbone que les escrocs avaient déjà migré et copié le même type de fraude sur le marché de l’électricité. Selon les informations de Correctiv et de ZDF, Europol a désormais à l’œil les échanges de certificats d’électricité verte.
Les criminels ont dès 2009 trouvé un terrain de jeu idéal au Luxembourg. Car les autorités avaient bel et bien averti les pays européens en juin 2009 que les droits à polluer faisaient l’objet de fraudes carrousel. Les Pays-Bas et la Grande-Bretagne se sont vite mis à l’abri en modifiant l’imposition des certificats carbone dès l’été 2009. Il a pourtant fallu attendre mars 2010 pour la mise en place d’une solution commune des ministres des finances européens. L’Allemagne et le Luxembourg ont même attendu juillet 2010 avant que des lois nationales empêchant ce type de fraude. Des bandes organisées ont bien su tirer profit de ce retard.
«Un seul cas» d’après Gramegna
Au Luxembourg, ces agissements criminels n’ont guère été thématisés. Le projet de loi qui s’y rapporte cite dans une phrase bien cachée «un cas de fraude» comme motif de l’adaptation de l’imposition. Le parlement a voté la loi sans mener de débat.
Ce n’est qu’en mars 2014 que le ministre des Finances Pierre Gramegna prend position par rapport aux événements datant de l’époque de son prédécesseur Luc Frieden. C’est un rapport critique de la Cour des Comptes qui a poussé l’opposition à demander des explications. Il n’y aurait eu qu’un seul cas, selon Gramegna. Grâce à l’intervention rapide du Service Anti-Fraude de l’Administration de l’Enregistrement, il n’y aurait pas eu de dégâts pour l’État luxembourgeois.
Le Luxembourg s’est donc défait du problème à sa manière habituelle: circulez, il n’y a rien à voir. Ce qui manque dans le compte rendu de Gramegna, ce sont les nombreuses négligences de la part de services gouvernementaux, des prestataires de services financiers et même d’une banque particulièrement crédule. Au Luxembourg, les fraudeurs avaient beau jeu.
Les fraudeurs établissent une chaîne d’entreprises
À l’été 2009, deux commerçants de quotas carbone apparaissent sur la scène luxembourgeoise. Un trader local dit avoir très vite constaté que les nouveaux acteurs n’avaient pas pour autant une présence physique au Luxembourg. «Aux adresses indiquées, il n’y avait que des boîtes aux lettres et personne ne répondait au téléphone», affirme-t-il. La trader indique avoir cherché à trouver de nouveaux partenaires.
Sur le papier en tout cas, on pouvait constater un niveau d’activité élevé. Prenons pour exemple le cas de «Pro Consul SA». Fin août 2009, c’est le Pakistanais Sikander Imran qui en devient le gérant. Il ouvre un compte au registre des émissions danois. Deux autres comptes y apparaissent en son nom pour deux sociétés nommées «Wind Waves», l’une Allemande, l’autre Néerlandaise.
Selon les statuts de «Pro Consul», l’activité de la société se concentre sur le commerce d’antiquités. Mais en octobre 2009, «Pro Consul» est impliqué à grande échelle dans l’échange de quotas carbone. Le fournisseur est la société hongroise «Clean Power Solutions», géré par un ex-boxeur (en boxe, on le prénommait «Psycho»). Celle-ci achète des droits d’émissions auprès de la société française «Planet Business SAS» et de la société suisse «Jetivia». Selon les enquêtes de la justice allemande, toutes les trois faisaient partie du réseau des fraudes carrousel.
En une semaine, «Pro Consul» achete et vend près de 190.000 quotas d’émissions. A la bourse, ces quotas d’émissions changent de propriétaire de minute à minute.
La BIL, acheteur crédule
La chaîne de commerçants frauduleux a trouvé un client final pour le moins étonnant: la «Banque internationale à Luxembourg», connue à l’époque sous le nom Dexia-Bil. La banque a acheté les quotas d’émission à une société boîte aux lettres nommée Ento Sàrl. «Clean Power Solutions» et «Pro Consul» étaient les seuls fournisseurs de Ento Sàrl.
La Bil était l’unique client de la société qui, jusque-là, n’avait aucune expérience avec des échanges de ce type. En une semaine, la banque a acheté près de 240.000 quotas carbone à Ento, comme le montrent les données officielles du registre de l’UE. A titre comparatif, cette quantité de quotas correspond à l’équivalent des émissions rejetées lors de la production de plus de 100.000 tonnes d’acier. En 2009, l’acquisition de la BIL avait une valeur de marché de 2,4 à 3,6 millions d’euros. La banque a revendu les droits d’émissions à la partie belge du groupe Dexia, désormais connu sous le nom Belfius.
La BIL a donc fait une affaire de plusieurs millions d’euros avec une société dont le gérant et le propriétaire britanniques n’avaient aucune expérience dans le domaine de l’échange de quotas d’émission. Malgré le risque élevé de fraude sur le marché, dénoncé depuis juin 2009, la banque a acheté les quotas en octobre 2009. Elle a même ignoré des signaux d’alertes très explicites. Ainsi, l’échange de quotas d’émission ne figurait pas dans l’objet social de Ento Sàrl. Ce n’est qu’en mars 2010, soit quatre mois après les transactions menées avec la BIL, qu’il était fait mention de cette activité au registre de commerce.
Interrogée, la BIL indique qu’elle n’est pas en mesure de dévoiler des informations concernant des personnes ou des entreprises, qu’il s’agisse de clients ou pas. Dans une réponse écrite, un porte-parole fait référence à de strictes règles de confidentialité. Réponse négative également à une autre question posée par REPORTER: la provision de près de trois millions d’euros pour des litiges fiscaux, indiqués dans le rapport annuel de 2009, n’auraient rien à voir avec le cas en question.
Reste à savoir pourquoi la BIL s’est intéressée à l’échange de quotas carbone et pourquoi elle y a brusquement mis fin en avril 2010. Le porte-parole indique tout simplement qu’il ne s’agissait pas d’une activité stratégique.
Acteurs principaux : les banques
La BIL est en bonne compagnie: la Deutsche Bank continue de faire l’objet d’enquêtes du Parquet de Francfort, selon le magazine «Der Spiegel». La banque a dû payer plus de 300 millions d’euros pour avoir fait des affaires avec des sociétés douteuses. La banque belge BNP Paribas Fortis a perdu plus de 70 millions d’euros suite à l’achat de quotas carbone à une chaîne d’entreprises frauduleuses, selon le journal «De Tijd».
Selon les enquêteurs, les traders de la Deutsche Bank étaient attirés par les marges élevées. Les fraudeurs vendaient les droits d’émissions légèrement en dessous du prix du marché. Le butin en soi venait des deniers publics. La banque pouvait ainsi revendre les quotas avec une marge de bénéfice élevée. Plusieurs gérants de la Deutsche Bank ont dû comparaître devant la Justice.
«Connaître son client» – ou pas
Malgré l’obligation de connaître son client, devenue la norme dans le secteur de la finance, et surtout dans le commerce avec des produits financiers, les banques n’ont pas été très diligentes. La Deutsche Bank a rendu possible la fraude carrousel en Allemagne en devenant cliente des fraudeurs.
Mais elle n’est pas la seule coupable. Les organismes nationaux chargés des échanges de quotas d’émission de carbone ont, eux aussi, permis à des sociétés douteuses de frauder. Car pour être en mesure d’acheter des quotas carbone, il faut par défaut figurer sur un registre national. De manière générale, l’accès aux registres nationaux était étonnamment facile. Le cas extrême: il suffisait d’une adresse e-mail pour pouvoir figurer au registre danois. C’était un paradis pour les fraudeurs. Lorsque le gouvernement danois a fait le ménage en décembre 2009, seuls 240 comptes sur un total de 1.200 ont été maintenus.

Au Luxembourg, la situation n’est guère meilleure. En 2010, il y aurait eu une vague de demandes suspectes pour des inscriptions au registre national d’échange de quotas d’émission de carbone, comme l’indiquait à l’époque l’administration de l’Environnement dans son rapport annuel. Peu après, en mai 2010, l’inscription de nouveaux membres au registre a brusquement été suspendue. Mais entre-temps certains escrocs sont passés à travers les mailles du filet.
L’instigateur de Dubaï
Après la fin de la fête en France, le rythme s’est accéléré au Luxembourg – surtout pour les réseaux déjà établis sur le terrain national. Les frères Yilmaz, d’origine turque et habitant au Luxembourg pendant un certain temps, en sont un exemple.
Déjà en 2004, ils avaient fondé une holding du nom de «ABL», dont le capital venait des Îles vierges britanniques. Grâce à «ABL», les trois frères ont créé la société «Innovative Energy France» (IEF). La société dont le siège social se trouvait à Metz a connu un début impressionnant. Entre mars et juin 2009, elle a échangé des quotas carbone d’une valeur de douze millions d’euros et a réalisé des marges invraisemblables.
Mais plus intéressant encore qu’ABL est le deuxième associé d’IEF: le «Innovative Energy Group». Celui-ci est géré par un homme d’affaires au nom de Muhammed Rafique qui réside à Dubaï. A l’époque, il fréquentait les salons professionnels en s’y faisant passer pour un connaisseur des échanges de quotas d’émission. Et dans un certain sens, cela n’était pas faux. Selon les dossiers de l’enquête menée par la Justice allemande, Rafique était l’instigateur des fraudes carrousel en Allemagne et contrôlait Jetivia et Planet, qui faisaient partie de la chaîne d’entreprises autour de «Pro Consul».
Le même jeu sur un terrain différent
Au Luxembourg, les enquêteurs du Service Anti-Fraude se sont concentrés sur les commerçants figurant au registre national dès 2009. «Les fonctionnaires sont venus me voir très tôt en 2009», indique un ancien trader dans un entretien accordé à REPORTER. Grâce à l’intervention rapide de l’Enregistrement, qui se charge de l’encaissement de la TVA, on a pu éviter de pires conséquences au Luxembourg.
Peu à peu, les autorités à travers toute l’Europe ont réussi à stopper l’escroquerie aux quotas carbone. Mais les cerveaux des organisations criminelles ont vite trouvé un nouveau terrain de jeu: le marché de l’électricité et du gaz. Dès décembre 2010, Europol mettait en garde contre des organisations criminelles qui essayaient d’infiltrer le secteur.
Pourtant, le constat est que bien peu de leçons ont été tirées de la grande fraude aux quotas carbone, entre autres en ce qui concerne l’accès au marché. Des entreprises douteuses obtiennent l’«Energy Identification Code» (EIC), qui leur permet d’accéder au marché, sans beaucoup d’efforts. Cet identifiant est valable pour tout le marché européen de l’énergie, indépendamment du pays qui l’établit. Des organisations criminelles en tirent un avantage en demandant leur identifiant là où ils ont le plus de facilités à l’obtenir – entre autres au Luxembourg.
Des sociétés impliquées dans la fraude des quotas carbone sont recyclées
Les escrocs n’ont même pas besoin de fonder de nouvelles sociétés. Sur la liste des codes EIC en date de novembre 2011, figurent plusieurs noms qui réapparaissent par la suite dans les dossiers des enquêteurs italiens.
Située à Rome, «La Fontanella» avait un compte au registre des échanges de quotas d’émissions au Liechtenstein. Ce compte a permis à la société de devenir un acteur de la fraude carrousel en Italie.
Deux autres sociétés sont en relation avec le Français Claude Bauduin. Fin 2011, ce dernier a été condamné à une peine de prison de trois ans à Francfort pour son implication dans une fraude fiscale avec des droits d’émissions. Elle avait coûté à l’État allemand dix millions d’euros. En Italie également, une enquête a été ouverte contre lui car il est suspecté d’avoir monté un carrousel. L’argent ainsi obtenu a été transféré par le biais de comptes en banque appartenant aux sociétés «FDM Corporation» à Chypre et «Greville UK» en Grande-Bretagne. Toutes les deux ont obtenu leur identifiant EIC pour le marché de l’électricité au Luxembourg, malgré le fait qu’il s’agissait très clairement de sociétés boîtes aux lettres.
Sous l’influence de Yannick Dacheville
Les sociétés en question ont des connexions avec le trafic de drogue, l’autre pilier de la criminalité organisée. Claude Bauduin était l’homme de paille d’un certain Yannick Dacheville en Allemagne ainsi qu’en Italie. Il aurait également été un des acteurs de la fraude carrousel des quotas carbone en Belgique et en Espagne, comme l’écrit la journaliste Aline Robert dans son livre «Carbone Connexion». A l’époque, l’instigateur avait déjà été condamné pour trafic de drogue.
Mais qui est donc Yannick Dacheville? Dans la liste alphabétique des EIC au Luxembourg, FDM et Greville figurent entre «Eurocorp Trading», Getrol Belgique et Getrol Roumanie. Mais ils ont tous une chose en commun: tous étaient sous l’influence du Français Yannick Dacheville, cerveau de la criminalité organisée.
L’avocat de Dacheville a admis vis-à-vis du «Journal du Dimanche» que son client était impliqué dans des affaires de fraude en Allemagne. En France, la Justice poursuit Dacheville en relation avec la saisie de 111 kilos de cocaïne dans l’appartement parisien d’une princesse saoudienne. En 2016, un tribunal le condamne en absence à 12 ans de prison. De plus, il aurait corrompu le commissaire de police Michel Neyret par le biais d’intermédiaires. Dans une interview avec «Le Nouvel Observateur» en décembre il nie ces deux faits.
Mais selon Aline Robert, il existe bien une connexion entre les différents volets: c’est grâce au bénéfice qu’il a réalisé avec le trafic de drogue que Dacheville aurait pu financer l’escroquerie aux quotas carbone. Sans les millions de la fraude fiscale, il ne se serait en revanche pas lancé dans l’importation de plus de 100 kilos de drogues, affirme la journaliste.
«Always on the run»
Mais l’affaire ne s’arrête pas là: Dacheville a orchestré une fraude carrousel dans le secteur de l’électricité sous le nom de Guillaume Pernot en 2010, comme le montrent les recherches de «Grand Theft Europe». Il a utilisé la société parisienne Eurocorp Trading et les deux sociétés Getrol, contrôlées par le Belge Guy H.
Il est peu surprenant que Dacheville soit passé par le Luxembourg pour se procurer un accès au marché de l’électricité si on connaît son entourage. Parmi ses partenaires, on trouve également l’homme d’affaires allemand Rainer Matthias F. Celui-ci a dirigé l’homme de paille Claude Bauduin et s’est assuré du bon fonctionnement du carrousel en Allemagne. Rainer Matthias F. apparaît aussi à côté de Dacheville comme gérant de «Fundacion EGL» au Panama, une des nombreuses sociétés «offshore» du Français.
Rainer Matthias F. était résident au Luxembourg et il gérait ses propriétés immobilières avec l’aide d’une société luxembourgeoise. Mais la Justice allemande n’a jamais pu le localiser. Non sans ironie, il indique sur Twitter comme lieu: «always on the run». Dacheville, quant à lui, réside à Dubaï, hors de portée de la Justice française.
Les failles réglementaires
Mais comment est-il possible qu’un groupe organisé de fraudeurs puisse être impliqué dans les échanges d’électricité et utiliser des codes EIC luxembourgeois? Pourquoi Creos, la société en charge d’accorder les codes EIC, a-t-elle délivré des codes à des sociétés boîtes aux lettres qui n’avaient aucune expérience sur le marché de l’électricité?
La réponse de Richard Johanns, Head of Grid Data Management chez Creos est assez simpliste: «Au début, on n’a pas pensé pas à tout», dit-il. L’Institut National de Régulation (ILR) est pour sa part bien informé sur les codes EIC existants mais n’est pas responsable pour leur contrôle, indique le régulateur.

Ce n’est qu’il y a cinq ans, après des affaires de fraudes, qu’on a réorganisé dans toute l’Europe le processus qui permet aux sociétés d’accéder au marché de l’électricité. Dorénavant, les contrôles sont bien plus stricts. Mais le système n’est pas pour autant dépourvu de failles. Creos organise les fournitures d’électricité en tant qu’opérateur de réseau au Luxembourg. Mais il s’agit d’une entreprise privée. On aurait en effet «fait le ménage» dans la liste des codes EIC après la découverte de la fraude, affirme Johanns. Mais il ajoute qu’il n’est pas autorisé à radier une société de la liste.
Le problème est bien là. Car dans la liste officielle actuelle figure la société suisse «Energy Trading & Commodities», enregistrée au Luxembourg. Le clou: depuis 2014, le gérant de cette société s’appelle Yann B. C’est le même homme qui a géré les affaires quotidiennes de Europcorp Trading pour Dacheville dans le contexte de la fraude carrousel dans le domaine de l’électricité. Avant la crise financière, il gagnait des millions avec son fond spéculatif qu’il gérait par le biais d’une holding luxembourgeoise. Après l’éclatement de la bulle immobilière, Yann B. a perdu sa fortune et a participé dans la fraude carrousel.
Des sociétés boîte aux lettres sur le marché de l’électricité
Autre fait curieux: «Energy Trading & Commodities» a été radiée du registre de commerce suisse en octobre 2017. Pour sa filiale suisse, «Global Energy Trading» détient un code EIC délivré au Luxembourg alors même que la société luxembourgeoise a été dissoute en 2011.
Pour ce qui est des codes EIC, le Luxembourg n’est pas un cas unique. Les recherches de «Grand Theft Europe» montrent qu’à travers toute l’Europe, des milliers de sociétés ont accès au marché de l’électricité et du gaz, malgré le fait qu’elles n’ont plus de numéro de TVA valable. Par conséquent, des sociétés honnêtes ont du mal à reconnaître si leurs partenaires sont vraiment honnêtes.
Objet de convoitise: les certificats d’électricité «verte»
Entretemps, les vrais professionnels de la fraude carrousel ont changé de manège. Ils ont trouvé un nouveau marché: celui de l’électricité renouvelable. Le commerce s’y fait avec les garanties d’origine («guarantees of origin», encore appelés GOO). Tout comme les quotas carbone, ils se prêtent bien à la fraude à la TVA. Les autorités suspectent de nouvelles fraudes carrousel dans ce domaine. C’est pourquoi plusieurs pays collaborent activement avec Europol, d’après les informations de Correctiv et ZDF.
Depuis le début de l’année, les compagnies actives dans l’échange de certificats d’énergie verte disent être contactées par des sociétés qui viennent tout juste de se lancer sur ce marché – la fréquence des demandes et le type de société leur paraissant bizarre, indique Adam White, le directeur de l’association de l’électricité verte, RECS International.
En effet, selon un enquêteur luxembourgeois, à l’heure actuelle, les tentatives de fraude avec les GOO battent leur plein. Tout comme dans le cas des fraudes aux quotas carbone ou dans le domaine de l’électricité, une inscription au registre est requise pour l’échange des garanties d’origine. En Norvège, le journal «Aftenposten» mentionne 30 demandes d’inscription au registre national effectuées en seulement quelques mois par des sociétés suspectes.
L’Hydre toujours en vie
A l’heure actuelle, le registre luxembourgeois fait bonne figure. Il se compose de compagnies comme Enovos, mais pas de sociétés boîtes aux lettres. Désormais, de stricts contrôles précèdent chaque inscription au registre. Au Luxembourg, c’est l’ILR qui est chargé d’en assurer la surveillance. Selon Adam White, les procédures en place sont bonnes. Et la stratégie semble porter ses fruits: les fraudeurs restent dehors, du moins pour l’instant.
Les autorités concernées s’accordent à dire qu’aucune société suspecte ne s’est manifestée jusqu’à présent. Mais il y a de plus en plus d’indices que certains ont réussi la fraude ailleurs. En Belgique, il y a bien eu un cas de fraude, mais l’enjeu n’est que de 20.000 euros, selon les autorités fiscales belges. «Dans toute l’UE, on estime que le préjudice des six premiers mois s’élève à des dizaines de millions, ce qui est moins grave qu’on ne le craignait», affirme un porte-parole. Il s’agit effectivement d’un montant modeste comparé au préjudice annuel de la fraude à la TVA qui, à l’échelle européenne, s’élève à 50 milliards d’euros.
Même si les criminels ont de quoi être déçus, l’énergie criminelle reste bel et bien vivante. Les têtes de l’Hydre continueront à croître.
Cet article est basé sur une traduction.