La faillite d’Excell Life International en 2012 a jeté une ombre sur la solidité de l’assurance vie au Luxembourg. Ses anciens dirigeants ont comparu devant les juges sous l’accusation d’escroquerie et de faux. L’enquête policière n’a pas levé tous les mystères autour de l’affaire.  

L’affaire Excell Life International avait pourri la fin du mandat de Victor Rod à la tête du Commissariat aux Assurances (CAA) jusqu’à la fin 2014. Née en 2000, en plein boum de l’assurance-vie, liquidée judiciairement en 2012, la petite compagnie a fait des centaines de victimes qui avaient cru aux promesses de rendements mirobolants de ses contrats.

Huit ans après la faillite, les déboires judiciaires s’accumulent et dépassent largement les frontières du Grand-Duché, où Excell Life avait son siège, mais peu de clients résidents, l’essentiel de ses contrats ayant été souscrit par des investisseurs belges.

En Espagne, l’actionnaire principal, Eduardo Pascuale, a été au cœur d’un scandale aux assurances. Au Luxembourg, le Commissariat aux Assurances fait l’objet d’une plainte au civil des centaines d’épargnants qui lui reprochent un contrôle défaillant de l’entreprise. L’auditeur d’EY est également soupçonné de complaisance. Les deux affaires ont été perdues en première instance, mais appel a été interjeté par les victimes. L’affaire devrait être replaidée début 2021. En Belgique, des responsables et gestionnaires des fonds dans lesquels les contrats ont été investis ont été condamnés en première instance au pénal en 2019. Un appel est encore pendant.

Promptitude en Belgique, apathie au Luxembourg

A Luxembourg, après avoir longtemps tergiversé, la justice pénale s’est saisie du dossier, qui a débouché sur trois inculpations. Le 23 septembre, devant le tribunal correctionnel (12e chambre), s’est ouvert le procès des anciens administrateurs d’Excell Life International pour abus de confiance, escroquerie et blanchiment. Deux audiences ont été nécessaires pour examiner une affaire dont les faits remontent à 12 ans.

Aux termes d’une enquête judiciaire plutôt bâclée ouverte en 2010, qui a traîné dix ans, trois hommes, dont le Français Paul Michonneau, 77 ans, l’ancien dirigeant d’Excell Life et principal accusé, ont dû s’expliquer devant un tribunal correctionnel. Il leur est reproché le transfert de titres émis par Lehman Brothers, peu après la faillite de la 4e banque américaine, du compte interne de l’assureur vers le portefeuille des clients. L’opération aurait permis à la compagnie de conserver un niveau de solvabilité requis par la loi sur l’assurance et d’éviter ainsi de fermer ses portes.

Réalisée en septembre 2008, la manœuvre litigieuse aurait pu passer inaperçue si des courtiers, scandalisés par l’opération, n’avaient pas envoyé près de deux ans après les faits litigieux une lettre anonyme au Commissariat aux assurances. Le régulateur avait alors agité le chiffon rouge et saisi le procureur d’Etat.

Nous n’avions pas pour habitude de réagir aux plaintes anonymes, mais là, ces documents nous ont laissés perplexes.“Victor Rod, ex-directeur du Commissariat aux assurances

Les enquêteurs luxembourgeois n’ont pas déployé de zèle particulier pour boucler l’affaire. La lenteur de l’instruction – reconnue par le ministère public qui a évoqué une inaction de 5 ans entre 2011 et 2016 – trouve une explication dans l’absence de victimes sur le marché domestique. Le réveil tardif des policiers luxembourgeois est à chercher auprès du juge d’instruction à Turnhout qui a conduit avec nettement plus de promptitude le volet belge d’une enquête qui s’est étendue sur plusieurs pays européens.

Selon une source proche des enquêteurs belges, ces derniers ont renoncé, pour des raisons pratiques, à poursuivre Paul Michonneau à Turnhout en raison de sa nationalité et de sa résidence en France. Ils ont eu l’assurance de leurs collègues luxembourgeois que l’ex-dirigeant d’Excell Life n’échapperait pas à la justice.

Sanction administrative de 2.500 euros

A la retraite depuis 5 ans, l’ancien commissaire aux assurances Victor Rod a conservé un souvenir frais et précis de l’évènement de janvier 2010 qui a précipité la chute d’Excell Life. Deux ans plus tard, le CAA demandera à Excell de fermer ses portes pour violation de la règlementation sur les assurances et absence de fonds propres suffisants.

Rod a été le principal témoin du procès. En janvier 2010, a-t-il raconté, le CAA reçoit une dénonciation anonyme qui interpelle le régulateur. Les documents font état d’un ordre de transfert à la banque dépositaire UBS pour un total de 1,8 million d’euros de titres garantis par la banque américaine Lehman Borthers, au lendemain de la faillite de cette dernière. Les fonds passent d’un compte interne d’Excell Life sur un fonds des clients, Optimal Profit Margin Strategy Security (OPMSS).

«Nous n’avions pas pour habitude de réagir aux plaintes anonymes, mais là, ces documents nous ont laissés perplexes», a indiqué Rod, qui dit avoir convoqué deux responsables d’Excell le 1er mars 2010. Les deux hommes sont en aveu des transactions litigieuses. Michonneau n’est pas présent à cette réunion, mais le commissariat le tiendra pour responsable de l’opération présumée frauduleuse. Le dirigeant a alors écopé d’une amende administrative de 2.500 euros, le maximum possible à l’époque. Il a aussi été invité à se démettre de ses fonctions, ce qu’il a fait «pas très volontairement», selon Rod.

L’avocat de Michonneau considère d’ailleurs que son client a déjà payé sa dette et que cette sanction administrative le met à l’abri des sanctions pénales au nom du principe de Non bis in idem.

Ils se sont débarrassés des titres toxiques sur les comptes de leurs clients, tout en récupérant des liquidités.“Victor Rod

Parallèlement à la procédure administrative, le CAA porte l’affaire devant le procureur d’Etat. L’enquête démarre au printemps 2011 par des perquisitions et les auditions des principaux protagonistes avant de s’enliser pendant 5 ans, jusqu’en 2016.

La compagnie d’assurance avait acheté ce produit en mai 2008, prétendument à la demande de ses courtiers. Ces derniers s’étaient engagés pour un montant de 10 millions. Excell Life International n’en achètera finalement que pour 3 millions d’euros seulement, montant minimal prévu par l’émetteur américain. Or, les clients boudent le produit jugé trop risqué par rapport à sa rémunération. A l’issue de la période de souscription en juillet 2008, un montant de 1,2 million seulement est souscrit par les investisseurs. Le solde de 1,8 million de titres est réparti sur les portefeuilles internes de l’assureur, qui prend donc le risque à sa charge. Du moins pour quelques mois.

Actionnaires infernaux

Le 15 septembre 2008, jour de l’annonce de la cessation de paiement de la 4e banque américaine, la panique se saisit des dirigeants d’Excell, car les titres Lehman ne valent plus rien. La compagnie est déjà aux taquets en termes de capitalisation et de fonds propres nécessaires à la poursuite de l’activité d’assurance-vie. Son actionnaire Pascuale est réticent à apporter de l’argent frais. «Ils se sont débarrassés des titres toxiques sur les comptes de leurs clients, tout en récupérant des liquidités», a résumé Victor Rod.

A la question du juge président du pourquoi de la manœuvre, l’ex-commissaire a affirmé que la compagnie était alors «extrêmement juste», voire «pratiquement en défaut d’apport de moyens propres pour des opérations d’assurance».

Victor Rod a raconté qu’à l’époque des faits, l’actionnaire espagnol était déjà en proie avec des déboires judiciaires dans son pays d’origine. Des avoirs d’Excell Life avaient ainsi été saisis par la justice espagnole (et le sont toujours). Pascual s’était toutefois engagé à recapitaliser la filiale luxembourgeoise de 4,9 millions d’euros. Mais l’apport en nature s’est avéré être un leurre: l’immeuble de bureau à Bucarest valorisé à plusieurs millions d’euros était en réalité un terrain vague de moindre valeur.

Paul Michonneau a expliqué à l’audience qu’il avait des «actionnaires infernaux» qui opéraient un «contrôle draconien de (ses) activités». Le dirigeant a assuré avoir parlé à ses actionnaires de l’opération Lehman Brothers, mais les enquêteurs n’ont pas trouvé les traces d’un échange de mail documentant ses affirmations.

PV antidaté

L’enquête a montré que Michonneau et ses complices avaient antidaté un procès-verbal de réunion d’un comité de gestion, actant au mois de juillet la décision de transfert des actifs toxiques Lehman Brothers dans le fonds OPMSS. Le document litigieux sera signé rétroactivement entre le 15 septembre et le 16 octobre 2008, l’enquête n’ayant pas pu déterminer avec plus de précision la date de confection du faux PV.

Michonneau m’a dévoilé qu’ils avaient présenté à la Police judiciaire et au Commissariat aux assurances la situation de la façon que la décision d’investir les titres Lehman Brothers dans le fonds OPMSS aurait été prise avant la déclaration de faillite de Lehman Brothers.“Un des témoins du procès

Quatre hommes ont signé le document, dont un courtier qui n’était pas un employé d’Excell Life International. Dans son audition devant la police judiciaire en mai 2011, celui-ci a avoué avoir signé après coup le PV de réunion sans y avoir assisté. A la barre des témoins, il a réitéré cette version, tout en ayant quelques trous de mémoire, notamment sur celui qui lui a donné l’ordre de signer le faux. «Si j’ai signé, c’est que je n’avais pas le choix. J’étais dans une position où il m’était difficile de dire non», a-t-il relevé.

Le courtier a également raconté avoir rencontré à l’hôtel Royal Michonneau, à la demande de ce dernier, quelques semaines avant sa probable convocation devant la police judiciaire. «Michonneau, a-t-il indiqué aux policiers, m’a dévoilé qu’ils avaient présenté à la Police judiciaire et au Commissariat aux assurances la situation de la façon que la décision d’investir les titres Lehman Brothers dans le fonds OPMSS aurait été prise avant la déclaration de faillite de Lehman Brothers et il m’a encouragé à aller dans le même sens».

«Il m’a dit que si nous allions tous dans le même sens, il n’y aurait pas de conséquences et comme les clients avaient de toute façon été remboursés, il n’y avait pas de préjudice», a poursuivi le courtier dans sa déposition.

Or, s’il n’y a pas de partie civile dans ce procès, pouvant réclamer des indemnisations, personne, à part le principal prévenu, n’a pu affirmer que les fonds ont bien été restitués en totalité aux clients et que l’opération a été annulée après sa dénonciation au CAA. Interrogé par le juge président, Victor Rod a fait part de ses doutes: «Je ne peux pas confirmer définitivement si les transactions litigieuses ont été compensées par un jeu d’écriture. Je n’ai pas trouvé de pièces convaincantes», a-t-il déclaré.

Préjudice inférieur à 1.000 euros par client

Dans son réquisitoire, le substitut du Procureur d’Etat a estimé le préjudice financier à moins de 1.000 euros par client. Il indique qu’il aurait été fastidieux pour les enquêteurs de mettre une petite annonce dans le journal afin d’identifier les victimes d’une fraude qui n’a rien de comparable aux pertes que les clients d’Excell ont subi du fait d’autres investissements encore plus périlleux que ceux de Lehman Brothers.

Le ministère public a requis 24 mois de prison avec sursis contre Michonneau et l’ex-directeur financier d’Excell Life International et 12 mois de prison contre le troisième homme de l’affaire.

Le jugement est attendu le 22 octobre.