Les tabous commencent à se fissurer au sein d’une l’Église catholique longtemps murée dans une morale homophobe et pro-vie, battue en brèche par les révélations sur les abus sexuels. Désormais, on ne cache plus l’homosexualité de certains prêtres et la question du célibat est posée.
«L’homosexualité n’est pas un motif d’exclusion automatique du séminaire. En revanche la pratique, qu’elle soit homosexuelle ou hétérosexuelle, pose problème d’après la doctrine de l’Église». C’est le recteur du Grand Séminaire de Luxembourg, Patrick Muller, qui nous l’explique lors d’une interview dans son bureau du Centre Jean XXIII au Kirchberg. Il a allumé une bougie sur la table qui nous sépare et nous lance, comme surpris de sa propre audace: «cela vous surprend peut-être? »
Pour certains catholiques, force est de constater que l’homosexualité pose encore problème. L’article du Pape émérite Benoît XVI, paru en avril dernier dans la revue bavaroise Klerusblatt, a relancé le débat. Il déplore notamment que «dans des séminaires, des cliques homosexuelles se sont installées, opérant de manière plus ou moins ouverte, et ont significativement changé le climat des séminaires».
Cette offensive du prélat désormais âgé de 92 ans intervient après la publication simultanément dans 20 pays d’un livre intitulé «Sodoma – Enquête au cœur du Vatican». Le journaliste français Frédéric Martel – qui se déclare ouvertement homosexuel et athée – démontre pour sa part que ce n’est pas l’homosexualité qui pose problème dans l’Église, mais l’homophobie. Au terme de quatre ans d’enquête, il estime que «c’est au Vatican que l’on trouve l’une des plus grandes communautés homosexuelles au monde». Il a vécu plusieurs mois en immersion dans la cité vaticane et note que «la schizophrénie de l’Église est insondable: plus un prélat est homophobe en public, plus il est probable qu’il soit homosexuel en privé». Le journaliste y voit un lien direct avec une citation du pape François qui a fait couler beaucoup d’encre: «Derrière la rigidité il y a toujours quelque chose de caché, dans de nombreux cas une double vie».
Le paradoxe de l’homophobie
En quoi l’homophobie a-t-elle un rapport avec les abus sexuels? Le père jésuite allemand Klaus Mertes, ce lanceur d’alerte qui a mis au jour en 2010 le scandale des abus sexuels dans le collège jésuite Canisius en Allemagne, point de départ de la grande enquête MHG, s’est penché sur la question dans la revue jésuite «Stimmen der Zeit»(12/2018). D’après lui, «l’étude MHG constate que dans de nombreux cas d’abus de la part du clergé catholique, il s’agit d’actes homosexuels de compensation». Il souligne que «l’arrière-fond systémique ici n’est pas l’homosexualité en tant que telle, comme on l’a souvent prétendu de manière discriminatoire vis-à-vis des cercles homosexuels, mais bien l’homophobie qui ne permet pas la confrontation avec sa sexualité propre».
Curieux paradoxe: du fait de sa morale homophobe, l’Église attire en son sein des jeunes catholiques qui y trouvent une manière de socialiser une orientation sexuelle réprouvée dans leur milieu et/ou qu’ils n’assument pas sereinement. Murés dans leur secret, ils ne peuvent trouver un soutien pour faire face à d’éventuelles faiblesses.
Entre rumeurs et libération de la parole
Au Luxembourg, les prêtres que nous avons rencontrés observent que la question de la sexualité n’est pas discutée chez leurs pairs plus âgés. Ce qui n’empêche pas les rumeurs de courir sur les fréquentations des uns et des autres, où il apparaît que homosexualité et pouvoir auraient fait bon ménage, pas uniquement au Vatican, mais également dans l’Église à Luxembourg.
Chez les plus jeunes se ressent une volonté de libérer – prudemment – la parole. Le père jésuite Vincent Klein estime comme Klaus Mertes qu’«il faut détabouiser l’homosexualité», faute de quoi «certains jeunes séminaristes continueront à taire leur orientation sexuelle par peur de ne pas être ordonné prêtre». La déclaration du recteur Patrick Muller va dans ce sens. Mais comme le souligne Klaus Mertes, «le problème qui se pose à l’Église est dès lors celui-ci: un changement de l’enseignement de l’Église sur l’homosexualité entraînera un changement dans toute la doctrine en matière de morale sexuelle. Celle-ci se base en effet sur le fait que la nature même de l’acte sexuel implique la fécondité». Les querelles de théologiens ne sont pas prêtes d’être réglées.
Le célibat en question
À entendre le recteur Patrick Muller, ce n’est pas tant la question de l’homosexualité que la capacité à vivre le célibat qui est centrale pour les séminaristes. Or ce point pose également question, à lire les recommandations du rapport «Hotline Cathol» présenté à Luxembourg en 2010 par l’archevêché, et «toujours d’actualité» d’après celui-ci.
Il y est écrit aux pages 96 et 97: «Auch wenn diesbezügliche Entscheidungen nicht in der Kompetenz der Luxemburger Kirche liegen, kommt sie im Zusammenhang mit der aktuellen Debatte über Gewalt im Umfeld der Kirche an den Fragen nach der Entkoppelung des Priesteramte vom Zelibat, nach der Zulassung von Frauen zum Priesteramt und nach einer zeitlich begrenzten Tätigkeit im Priesteramt nicht vorbei. Es täte der Kirche in Luxemburg gut, in diesem Bereich offene Worte zu finden und eine klare Sprache zu wagen”.
Le député Paul Galles (CSV) a été prêtre dans une première vie. C’était entre 1999 et 2010. «Dès le départ, je savais que le célibat serait très difficile mais je pensais qu’avec ma motivation, j’y arriverais. J’ai compris avec le temps que renoncer à l’amour, au flirt, n’était pas un choix réaliste. Si je m’étais obstiné, j’aurais fini par me détruire moi-même. Comment aurais-je alors pu servir les autres? Aujourd’hui, je suis un laïc qui porte les valeurs du Christ à travers mon engagement politique», dit celui qui a longtemps travaillé pour le bénévolat solidaire chez Young Caritas.
Paul Galles «plaide très clairement pour la libération du célibat dans l’Église». Pour lui, «cela ne devrait pas être une réaction de panique de l’Église pour endiguer la baisse des vocations ou réagir à la crise des abus sexuels, mais un libre choix de chaque prêtre selon qu’il veut ou non rester célibataire». Lui-même n’est pas marié mais il vit désormais en couple et souhaite fonder une famille. Et il ajoute: «J’ai vraiment aimé être prêtre. Si j’avais pu me marier, je le serais encore».
Il doute néanmoins que cette évolution ait des chances d’aboutir: «Si l’on faisait un sondage auprès des prêtres catholiques, une majorité serait pour le célibat. Cela leur donne un statut à part face aux laïcs, mais aussi un signe distinctif par rapport aux autres religions». Il observe avec dépit que cette vision cléricale de l’Église a le vent en poupe chez de nombreux jeunes séminaristes issus de milieux conservateurs.