Retard de livraison, dépassement de budget et erreurs de planification: le chantier du nouveau stade national ne sera finalement achevé qu’à la rentrée 2021, soit au mieux, 24 mois après la date initialement prévue. Chronique d’un projet prestigieux qui ne cesse de décevoir.
Qu’elle est loin, l’époque où l’on s’interrogeait sur le nom de la grande nation de football qui viendrait honorer de sa présence le match d’inauguration du nouveau stade national. Qu’elle est loin, cette époque où l’on se prenait à ce jeu délicieux d’imaginer la «Mannschaft», l’Équipe de France ou le Portugal fouler la pelouse hybride d’un nouvel écrin aux tribunes archi-combles. Ils étaient nombreux, aussi, à la FLF (Fédération Luxembourgeoise de Football) à imaginer la réception de Cristiano Ronaldo et la sélection portugaise au mois de mars 2021 dans le cadre des éliminatoires pour le Mondial 2022.
Quel plus beau symbole aurait pu inaugurer le nouveau temple national du football et du rugby? Ces rêves de tribunes remplies ont hélas été balayés depuis longtemps par les restrictions sanitaires. En mars dernier, la Seleçao et ses stars sont venues jouer au bon vieux stade Josy-Barthel dans l’anonymat relatif du huis clos imposé par la situation sanitaire. Toutefois, les illusions de voir l’équipe nationale jouer un match officiel au printemps ou au début de l’été se sont évaporées pour d’autres raisons. Baptisé officiellement «Stade de Luxembourg» en juillet 2020, la nouvelle enceinte nationale à la pointe de la modernité n’est toujours pas opérationnelle.
En annonçant la semaine dernière que le match amical Luxembourg-Ecosse du mois de juin ne serait toujours pas celui qui célébrerait l’entrée dans cette nouvelle arène, la Ville de Luxembourg n’a surpris personne. Car tous les semestres, l’histoire semble se répéter, au grand damn des observateurs, dont les commentaires sont de plus en plus critiques. La dernière prévision espère se voir dérouler un Luxembourg-Azerbaïdjan bien moins clinquant que les affiches espérées par le passé. La rencontre est programmée au 1er septembre 2021 et même si les porteurs du projet tentent de garder la face, cet énième contre-temps exaspère et soulève des questions, un peu partout.
Chronique d’un demi-échec
Le projet évoqué pour la toute première fois en 2007, boosté en 2013 par la visite et les mots du président de l’UEFA de l’époque Michel Platini, et dont les premiers coups de pelle ont été donnés au printemps 2017, a rencontré un certain nombre de difficultés. Retard des travaux et erreurs de planification à l’origine d’un dépassement du budget de près de 16,5 millions d’euros. Des contre-temps que la Ville s’est toujours efforcée de justifier en veillant toujours à se dédouaner habilement lors des vifs débats des conseils communaux. Aujourd’hui, force est de constater que dans le meilleur des cas, la livraison du stade national interviendrait avec un retard de près de deux ans.
Vous savez, on a tous souffert. Par moments j’ai eu du mal à dormir, je me suis fâchée aussi. Mais je reste optimiste.“Simone Beissel, échevine de la Ville de Luxembourg
La première date officielle de livraison avait été annoncée pour octobre 2019. C’est en avril de cette année qu’on avait appris lors d’une visite de Lydie Polfer sur le chantier, que les délais seraient allongés en raison des conditions hivernales de fin 2017 qui avaient ralenti les travaux. L’élue n’avait pas non plus caché que le coût du projet serait revu à la hausse, sans donner de chiffres.
Le dépassement de budget avait été dévoilé en juillet lors d’un conseil communal. Le devis passait alors de 61,1 millions d’euros à 79,6 millions d’euros. En cause, la décision de la ville d’aménager un espace supplémentaire destiné à accueillir des concerts à l’extérieur du stade, des erreurs de planification du bureau d’études et des services supplémentaires émanant de la FLF, de la Police et l’UEFA. Ces aléas avaient repoussé le délai de livraison au premier semestre de 2020.
Mais la crise sanitaire est passée par là, paralysant une nouvelle fois le chantier impacté par des problèmes de circulation des matériaux provenant de l’étranger. Le nouveau délai annoncé par l’échevine aux sports Simone Beissel était reculé au printemps 2021, avant que nous apprenions la semaine passée que des problèmes liés à l’installation du réseau informatique avaient une nouvelle fois repoussé la date de livraison.
La FLF et la Ville se serrent les coudes
Dans ce contexte, la FLF, qui sera naturellement le principal bénéficiaire de ce nouvel outil, est cantonnée à un simple rôle d’interlocuteur et semble assez désoeuvrée face à la situation. «Oui, c’est une déception, et oui, voir le délai se prolonger tous les trois mois, c’est difficile à vivre. Tout le monde aurait aimé jouer plus tôt dans le nouveau stade. Mais nous ne sommes pas le constructeur et nos moyens sont limités», concédait à Reporter.lu Joel Wolff, le secrétaire général de la Fédération Luxembourgeoise de Football.
Néanmoins, ce dernier n’a jamais affiché la moindre marque de désolidarisation avec les représentants de la Ville de Luxembourg, en charge du projet, avec qui la FLF entretient des liens très étroits depuis le début. «Nous avons une excellente relation avec la Ville, qui a tout fait pour répondre aux différents désidératas de la FLF. Si la municipalité a avancé la date du 1er septembre 2021, c’est que c’est réaliste. Nous savons que la construction est terminée depuis plusieurs mois et qu’il est désormais question de finaliser quelques petits réglages», ajoutait-il.

La Ville, très logiquement, est sur la même ligne de défense. Depuis près de deux ans, elle a dû essuyer les critiques liées aux différents aléas du projet. Et sa principale défenderesse, l’échevine en charge des infrastructures sportives Simone Beissel (DP) est toujours là pour monter au créneau et désamorcer les tensions. «Les spécialistes qui ont construit ce stade et qui ont construit des stades à travers le monde n’ont pas vu venir l’un ou l’autre problème. Vous savez, on a tous souffert. Par moments j’ai eu du mal à dormir, je me suis fâchée aussi. Mais je reste optimiste. Ce stade est un véritable bijou pour notre ville», ajoute-t-elle.
Joueurs et supporteurs se désintéressent
Un bijou que les supporters ont hâte de s’approprier. À commencer par le M-Block Fanatics 95, le principal groupe de fans de la sélection nationale de football. Qu’il vente, qu’il pleuve ou qu’il neige, le fidèle club de supporters qui a fêté son vingt-cinquième anniversaire en 2020 est toujours présent dans le virage sud du Stade Josy-Barthel. Constitué d’une cinquantaine de membres, il a influencé la mise en place de sièges rabattables. Au stade Josy-Barthel, c’est sur les sièges qu’ils se tenaient debout pour mettre un semblant d’ambiance et encourager les joueurs lors des matches de l’équipe nationale. Malgré l’impatience, le «Capo» du M-Block, Bob Gebele, voit la situation avec un certain pragmatisme. «On pouvait s’attendre à un retard. C’est comme ça dans de nombreux projets de cette envergure. Mais j’essaye de voir le bon côté des choses. On aura peut-être l’occasion de revenir au Josy-Barthel pour lui faire un adieu digne de ce nom», sourit-t-il.
Pour ma part, j’ai arrêté de regarder quand il sera prêt.“Danel Sinani, international luxembourgeois
Les joueurs sont bien moins attachés au Stade Josy-Barthel, qu’ils jugent tous trop vétuste. Agglutinés dans des vestiaires trop petits lors des matches internationaux et loin des supporters, ils pourraient être les acteurs les plus concernés par la livraison de leur nouvel outil. Pourtant, il semble que le désintéressement ait succédé à l’impatience. À tel point que le milieu offensif international Danel Sinani ne sait plus quelle est la nouvelle date officiellement annoncée. «La dernière fois, nous avons donné une interview et ils ont décalé la date d’inauguration… À la fin, on a du mal y à croire… On se réjouira quand il sera vraiment opérationnel. Pour ma part, j’ai arrêté de regarder quand il sera prêt», soupire le joueur de Norwich City, prêté à Waasland-Beveren.
En septembre 2018, en marge du début de la toute première édition de la Nations League, les joueurs avaient été invités à visiter le chanter. On leur disait à l’époque qu’ils pourraient jouer la deuxième édition de la compétition de l’UEFA dans le stade. Tout sourire, avec le casque sur la tête, ils s’étaient prêtés au jeu des photos à l’emplacement de la future pelouse. Loin de se douter qu’ils ne fouleraient cette pelouse que trois ans plus tard. Un souvenir lointain pour Olivier Thill, le joueur du Vorskla Poltava (première division ukrainienne). «On n’y est plus revenu. Je le vois seulement quand je passe à côté, sur l’autoroute. Nous sommes des joueurs, nous ne pouvons rien y changer. Notre boulot à nous, c’est sur le terrain. On sait que ce sera un très beau stade et on espère vraiment faire de beaux résultats», lance-t-il avec prudence.
Le rugby fait profil bas, l’opposition grince des dents
Une prudence partagée par le président de la fédération de rugby, dont on oublierait presque que le sport au ballon ovale bénéficiera également de l’enceinte. Et si le premier match officiel était un match de rugby? Le XV luxembourgeois ne fera son retour à la compétition qu’en octobre et Jean-François Boulot en rêve secrètement. Arrivé en juillet 2020 à la tête de la petite fédération, il y verrait naturellement un énorme coup de projecteur sur une discipline assez confidentielle au Luxembourg, qui ne drainait que quelques centaines de spectateurs au stade Josy-Barthel. En attendant, s’il souligne lui aussi la passivité relative de sa fédération dans ce projet et son indulgence face aux retards successifs, il ne cache pas son étonnement.«On parle d’un problème informatique… Ça me choque un peu et étant dans le métier, j’ai un peu de mal à comprendre… Je ne dispose pas de plus d’informations à ce stade, ce sont des choses que ne nous maîtrisons pas».
Ce projet a déjà connu beaucoup de contretemps, mais ils ne sont pas tous à imputer à la crise sanitaire.“Guy Foetz, conseiller communal Déi Lénk
Face à cet énième report de la date d’inauguration, l’opposition du conseil communal campe sur ses positions affichées depuis un certain temps. À l’été 2019, David Wagner (Déi Lénk), qui ne siège plus au conseil communal, avait évoqué la possible responsabilité du conseil échevinal, en fustigeant notamment un possible manque de professionnalisme du bureau d’études. Il s’était finalement abstenu lorsqu’il était question de voter une rallonge au budget. Aujourd’hui, Guy Foetz n’est pas surpris par la tournure des événements. «C’est malheureux et on ne peut que déplorer la situation actuelle. Ce projet a déjà connu beaucoup de contretemps, mais ils ne sont pas tous à imputer à la crise sanitaire… Je crois que certaines choses étaient déjà mal organisées dès le départ», s’est-t-il exprimé.
Face à ce constat et d’après presque toutes les parties prenantes, l’heure n’est pas à la désignation des responsables. Inaugurer le stade national en septembre avec des spectateurs serait une manière de faire oublier provisoirement la longue et difficile gestation d’un projet qui n’a peut-être pas fini de faire parler de lui.
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