L’archevêque Jean-Claude Hollerich a lancé un appel pour que les étrangers s’intègrent dans les structures de l’Église catholique du Luxembourg. Qui sont-ils et comment peuvent-ils s’intégrer compte-tenu des barrières linguistiques et culturelles à surmonter? Nous sommes allés à leur rencontre.
Le train régional vient à peine de quitter Wiltz en direction du Sud du pays que déjà les visages plus âgés piquent du nez. En cette fin d’après-midi, le trajet du retour permet aux pèlerins venus prier Notre-Dame de Fatima de souffler, après une journée éprouvante physiquement pour certains, riche en émotions pour tous.
Certains jeunes se sont regroupés pour laisser les aînés tranquille. De leur côté, un flux continu sort à haut débit: des commentaires sur la vie de tous les jours, les copains du lycée, les profs, les cancans et bons tuyaux. Tout cela naturellement en luxembourgeois. C’est leur langue véhiculaire. C’est aussi une manière d’exclure les oreilles parentales d’éventuelles indiscrétions. Dans le train du matin, c’était le portugais qui dominait. Les parents étaient alors bien réveillés et on utilisait la langue de la maison.
Nos traditions sont un peu différentes, mais on croit tous au même Dieu.“Rosana
Cette année encore, Rosana est venue avec ses parents et sa petite sœur au pèlerinage de Fatima. Elle profite du trajet pour faire ses devoirs de math, le cahier posé sur ses genoux. La foi tient une part importante dans la vie de cette jeune fille de 17 ans, étudiante au lycée Michel Lucius.
Elle essaie d’aller régulièrement à la messe à l’église du Sacré-Cœur près de la gare de Luxembourg ou à Bonnevoie. Les offices y sont célébrés en portugais. «C’est une messe qui me plaît. Il y a des chants pour les jeunes. Ce n’est pas ennuyeux comme dans certaines messes luxembourgeoises auxquelles j’ai assisté». Va-t-elle aussi à l’Octave? «Cela m’est arrivé. Je trouve bien que tous les chrétiens puissent s’y retrouver. Nos traditions sont un peu différentes, mais on croit tous au même Dieu ».
Nous avons été éduqués ainsi. C’est ce que nous pouvons leur transmettre.“José
Rosana observe une différence de pratique religieuse chez ses amis: «La plupart des non-Portugais disent qu’ils ne sont pas liés à une religion. C’est différent chez nous. On prie, on va à la messe, au pèlerinage de Wiltz». Elle ajoute que «le christianisme, c’est pas uniquement la messe. C’est aussi s’aider les uns les autres, être tolérant. Ces valeurs sont importantes. «On en a besoin dans la vie».
Ses parents, Cristina et José, sont arrivés de la région de Braga, au nord du Portugal, il y a dix-huit ans. La communauté catholique portugaise du Luxembourg est un point d’ancrage important pour ces quadragénaires qui ne parlent pas le luxembourgeois et très peu le français. Ils veulent partager avec leurs filles la culture de leurs origines. «Nous avons été éduqués ainsi. C’est ce que nous pouvons leur transmettre», confie José.
Sur le bord du chemin
A Wiltz, des habitants regardent passer la procession devant leur pavillon au gazon bien tondu. La conversation s’entame avec trois mères de famille luxembourgeoises quinquagénaires. Elles ne se sentent pas concernées par le pèlerinage, mais observent que «c’est quand même assez impressionnant de voir comme ces gens sont fervents. Chez nous ça c’est perdu». Pourquoi ? «Peut-être à cause du confort de nos vies », avance l’une d’elle, «les Portugais se serrent davantage les coudes».
Une autre réagit : «L’Église doit aussi se poser des questions. Elle pourrait un peu se moderniser!» Si elles ne sont pas pratiquantes, elles estiment être de «culture chrétienne» et tiennent encore à certaines célébrations comme le baptême et les enterrements. La première communion en revanche, «c’est de la blague. C’est juste pour les cadeaux».
55% des catholiques «pratiquants»
Combien de catholiques compte le pays ? La réponse n’existe pas. Depuis 1979, la loi interdit toute question relative à la religion dans les recensements de population. Les derniers chiffres remontent au recensement de 1970. 96,6% de la population se disait alors catholique. Sur les 340.000 habitants du pays, 18,4% étaient étrangers. Désormais, le pays compte plus de 600.000 habitants dont 48% d’étrangers. Seuls les sondages permettent de connaître la place de la religion dans la vie des gens qui vivent sur le territoire. Le dernier remonte à 2013. L’institut TNS-Ilres a réalisé à la demande de l’Eglise catholique un sondage auprès de 1078 personnes de plus de 15 ans sur «Le fait religieux». Il en ressort que 44% des personnes interrogées se sentent liées à une communauté de foi. Ce chiffre est de 45% chez les Luxembourgeois, 52% chez les Portugais et 39% pour l’ensemble des autres nationalités. 39% des interrogés se sentent liés à la foi catholique. 55% des catholiques indiquent être «pratiquants» réguliers (au moins une fois par mois) ou irréguliers.
Parmi les pèlerins de Wiltz, on rencontre de nombreux Cap-verdiens qui, à travers la colonisation portugaise, ont eux-aussi intégré l’héritage catholique et la vénération de Notre-Dame de Fatima. Adelino est venu seul de Dudelange avec ses quatre enfants, dont l’aînée a 16 ans. Sa femme travaille comme aide-soignante à la Fondation Pescatore et n’a pas pu se libérer. «Je vais à Wiltz chaque année», confie-t-il. En revanche, il zappe souvent la messe du dimanche. «On a des métiers difficiles. Le week-end on est fatigué».
Des barrières linguistiques et culturelles à surmonter
Si Wiltz est la façade la plus animée de la présence étrangère au sein de l’Église catholique du Luxembourg, ce pèlerinage ne doit pas faire oublier que d’autres communautés linguistiques sont bien présentes dans le pays. Les Polonais ont défilé en bonne place lors de la procession de clôture de l’Octave, pèlerinage qui organise aussi chaque année une «Messe du peuple de Dieu» intercommunautaire. Les lectures, chants et prières, comme à Wiltz, se font dans différentes langues et récemment également en arabe. Un savant dosage où chacun doit pouvoir se retrouver.
L’une des chevilles ouvrières de cette célébration est Gérard Kieffer, le responsable de la pastorale intercommunautaire au sein de l’évêché. Celle-ci regroupe les communautés linguistiques anglophone, croate, espagnole, germanophone, hongroise, italienne, lusophone, polonaise, vietnamienne, thaïlandaise, slovaque et tchèque,
Pour lui, l’un des phénomènes les plus marquants de ces cinq dernières années est la progression de la communauté anglophone, au sein de laquelle se retrouvent surtout des personnes originaires d’Asie et d’Europe de l’Est. L’église Saint-Alphonse, qui les accueille à Luxembourg-ville, a dû doubler ses liturgies du dimanche. Le père Edward Hone y officie désormais le matin et le soir.
La foi, cela se joue au niveau du ventre. C’est émotionnel.“Gérard Kieffer
Jusque mai 2017, hormis les périodes de fête, chacune des communautés linguistiques du Luxembourg pouvait vivre sa foi dans une forme d’autarcie. Avec leur intégration au sein des nouvelles 33 paroisses issues de la réforme de l’Église, elles sont désormais fondues dans les nouvelles entités territoriales. Leurs prêtres sont donc au service de l’Eglise du Luxembourg, même s’ils gardent un lien privilégié avec leur communauté linguistique.
Lieu de rencontres et d’engagements
Cela amène à réfléchir à de nouvelles formes de rencontres, alors que le nombre de prêtres est en constante diminution. «Qui dit rencontre dit communication. Or il faut bien reconnaître que la langue reste un obstacle, de même que les différences culturelles. Il faut le respecter. La foi, cela se joue au niveau du ventre. C’est émotionnel», souligne Gérard Kieffer.
Dans ces conditions, il estime que c’est surtout à travers des projets communs que l’Église du Luxembourg peut se réunir. Ce que prouve à ses yeux le projet Reech eng Hand lancé pour aider à l’intégration des réfugiés. «Là, des gens de différents milieux et communautés linguistiques se rassemblent autour d’une cause commune. Cela fait tomber les barrières».
Pour beaucoup de Luxembourgeois, l’Eglise est à eux. Ils veulent bien que l’on s’intègre, mais à leur façon.“Edgar
Agnès Rausch, longtemps responsable du service des réfugiés de la Caritas avant de devenir membre du Conseil d’Etat de 2005 à 2015, a répondu en 2015 à l’appel du Pape François qui demandait à chaque paroisse d’accueillir au moins une famille de réfugiés. Chaque semaine, elle retrouve d’autres bénévoles au sein du projet «Ubuntu» initié conjointement par les Communautés de Vie Chrétienne (CVX) d’inspiration jésuite, Reech eng Hand et la Caritas.
Ensemble, ils accompagnent les réfugiés déboutés du droit d’asile en attente d’expulsion au Hall 6 de la LuxExpo. Les bénévoles y sont pour un tiers des luxembourgophones, pour un tiers des jeunes actifs expatriés qui donnent de leur temps le week-end, et pour un tiers des résidents de longue date non-luxembourgophones. «C’est un lieu de rencontres» confirme celle qui dit vouloir mettre sa vie sous le signe de la croix, avec «la verticalité qui me lie à Dieu, et l’horizontalité qui me pousse à m’engager pour ceux qui en ont le plus besoin».
Filiations
A Wiltz, Edgar, 45 ans, s’est positionné sur la terrasse derrière l’église Saints-Pierre-et-Paul pour regarder passer la procession qui va vers le sanctuaire de Notre-Dame de Fatima. Un endroit stratégique si l’on s’accommode des effluves non pas des sardines mais des Mettwurst grillées plus bas à la fête du village.
Cet électricien d’origine portugaise, né au Luxembourg, a été membre de la fabrique d’église de Bissen, désormais rattachée à l’ensemble Äischdall-Helpert Saint-Willibrord. Il ne fait pas partie du Conseil de gestion de la nouvelle paroisse. «Par manque de temps», dit-il.
Et puis, il se pose des questions. «Une seule Eglise du Luxembourg? Ce n’est pas évident car on ne tire pas toujours sur les mêmes bouts. Pour beaucoup de Luxembourgeois, l’Eglise est à eux. Ils veulent bien que l’on s’intègre, mais à leur façon». Cela étant, il n’a pas complètement abandonné l’idée de reprendre du service. «Au Portugal, mon père est le bras droit du prêtre. C’est une tradition de famille. Alors peut-être que je m’y remettrai… »
À lire aussi l’interview avec l’archevêque Jean-Claude Hollerich sur REPORTER: L’appel de Jean-Claude Hollerich aux non-Luxembourgeois