Le salut de l’Église catholique du Luxembourg se trouverait-il du côté des communautés étrangères vivant dans le pays? C’est ce que peut laisser penser un vibrant appel lancé récemment dans le cadre de l’Octave par l’archevêque Jean-Claude Hollerich. Il s’en explique dans un entretien accordé à REPORTER.
L’Octave et la procession d’Echternach d’un côté. Le pèlerinage à la vierge de Fatima à Wiltz de l’autre. Le calendrier de l’Église catholique du Luxembourg, en ce mois de mai, rivalise d’images où s’entrechoquent traditions et comptage des troupes. Cela sur fond d’indifférence d’une partie de la population, de moins en moins pratiquante, et de veillée d’armes chez ceux qui n’ont pas digéré la nouvelle convention régissant les relations entre l’Église et l’État.
Le quotidien «Luxemburger Wort», dont l’archevêché est l’actionnaire principal, a consacré trois à quatre pages quotidiennes à l’Octave, mais n’a pas rendu compte de la «Messe du peuple de Dieu», la seule qui réunit lors d’une célébration conjointe les communautés étrangères du pays. C’est pourtant à cette occasion que l’archevêque du Luxembourg, Jean-Claude Hollerich, a lancé un vibrant appel à l’attention de ces communautés afin qu’elles ne se contentent pas de remplir les églises, mais qu’elles entrent aussi dans la structure décisionnelle de l’institution.
Vœu pieux ou véritable stratégie? Notre journaliste Marie-Laure Rolland a posé la question à l’archevêque.
REPORTER: Vous invitez les communautés étrangères à s’investir activement dans l’Église du Luxembourg. Pourquoi cet appel ?
Jean-Claude Hollerich: Parce que nous avons, avec les réformes actuelles, enfin une chance de ne pas avoir plusieurs églises parallèles, mais une Église du Luxembourg. Cela avec des différences culturelles, des diversités linguistiques. Quand je suis devenu archevêque, j’ai compris que c’était parfois très difficile pour des communautés linguistiques de trouver une église qui les accepte. Parce que les maîtres de l’église étaient les fameuses fabriques. A Hollerich par exemple, ils ont jeté la Communauté anglophone hors du lieu. Au nom de: «c’est nous l’Église de Luxembourg, et vous êtes des hôtes que l’on tolère sous certaines conditions»!
C’est une attitude qui n’est pas catholique du tout. Cela m’attriste. Par le baptême, nous faisons tous partie de l’Église catholique et les habitants du Luxembourg font tous partie de l’Église du Luxembourg. Le baptême d’un Luxembourgeois ne vaut pas plus que le baptême d’un Cap-verdien ou d’un Français.
En 1996 déjà, le projet «Église 2005» avait pour objectif «une communauté chrétienne unie dans la diversité des origines et des cultures», pour citer les mots du vicaire général de l’époque Mathias Schiltz. Plus de 20 ans après, n’y a-t-il pas toujours les Luxembourgeois d’un côté, les étrangers de l’autre ?
Il y a maintenant une évolution. J’ai quand même l’impression que la communauté portugaise et les différentes communautés francophones se sentent beaucoup plus proches des communautés luxembourgeoises. Mais c’est surtout par des contacts personnels que cela se fait.
Quand on dit qu’il y a des sociétés parallèles au Luxembourg, hélas, c’est vrai.“
En mai 2017, les 285 anciennes paroisses ont fusionné en 33 nouvelles paroisses. A quel niveau les étrangers devraient-ils davantage s’y investir?
Avec la réforme, la gestion de l’argent se fait désormais au niveau paroissial, au sein du Conseil de gestion. Là, j’ai demandé que l’on coopte des représentants des différentes communautés culturelles ou linguistiques. On va décider sur les sous ensemble.
Ce n’est pas le cœur du message évangélique… mais cela compte quand même ?
Eh bien si l’on ne partage pas les ressources, le discours reste anodin. Depuis le 1er mai, ces nouveaux Conseils de gestion doivent se mettre en place. Pour des lieux comme Differdange ou Esch, ce sera important. A Differdange par exemple, lorsque j’assiste à la messe des Luxembourgeois, il y a très peu de monde. Mais à 8 heures du matin, l’église est pleine à craquer pour la messe portugaise.
On peut penser que la main tendue n’est pas complètement désintéressée pour l’archevêché. Ces communautés sont aussi celles qui sont le plus susceptibles de contribuer au financement de l’Église …
Les représentants des communautés non-luxembourgeoises ne seront pas dans ces Conseils de gestion pour financer l’Église, mais tout d’abord afin que les ressources de la paroisse soient utilisées pour tous les catholiques.
Ce système des fabriques d’église était un système patriarcal et très peu démocratique.“
Les membres des anciennes fabriques d’église sont-ils prêts à leur laisser une place dans les nouveaux Conseils de gestion, places qui généralement se transmettent de père en fils – plus au demeurant que de mère en fille ?
Ce système des fabriques d’église était un système patriarcal et très peu démocratique. Lorsque maintenant certains disent qu’ils sont les représentants de l’Église d’en bas, démocratique, j’ose avoir des doutes.

Concrètement, comment l’évolution va-t-elle se faire ?
Tout d’abord, certains ne veulent pas continuer parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le nouveau système des Conseils de gestion. Il y a aussi une grande majorité qui arrête parce qu’ils ont un âge avancé. Ils se disent qu’il faut laisser la place aux plus jeunes. C’est donc une occasion de renouveau des structures financières des paroisses.
Cette ouverture ira-t-elle jusqu’aux conseils d’administration des sociétés qui font partie du périmètre de l’évêché, notamment la société de participation financière Lafayette ou le Groupe Saint-Paul, qui gère des médias s’adressant à un public multiculturel et multilingue ?
On aura de plus en plus une ouverture pour les nouveaux conseils qui sont formés. Et je voudrais pour toutes les finances une grande transparence. Par exemple, je voudrais qu’il y ait un groupe qui contrôle le «Fonds de l’avenir», mis en place par la Fondation Sainte Irmine afin de soutenir nos projets. Il faudra des gens qui ont l’expérience des paroisses, d’autres qui ont une certaine expérience financière et aussi des personnes d’horizons différents pour refléter l’origine de nos donateurs. Le changement n’est pas encore terminé mais il est en train de se faire.
Il s’agit de s’adapter aux changements sociologiques du pays. Il y a une part croissante de non-Luxembourgeois dans la population, mais aussi de plus en plus de Luxembourgeois d’origine très cosmopolite.“
L’obstacle des barrières linguistiques ou culturelles n’est pas forcément facile à surmonter de part et d’autre…
Oui, c’est un processus de longue haleine qui ne se fera pas d’un coup. Mais il y a une volonté de ma part de travailler avec les différentes communautés qui sont désormais membres intégrantes des paroisses. Il y a déjà des changements à différents niveaux. Par exemple, dans le Conseil épiscopal j’ai voulu qu’il y ait une représentante de la communauté portugaise. Il est vrai qu’elle parle le luxembourgeois. Au sein de la pastorale des jeunes, il y a plus de la moitié des jeunes qui ne sont pas Luxembourgeois.
Lors de mes voyages en Thaïlande par exemple, je fais mes homélies en français, anglais et luxembourgeois. Les jeunes s’entendent bien. Là il n’y a pas de problème. Dans le Conseil des prêtres, on parle français et luxembourgeois avec des possibilités de traduction pour ceux qui ne comprennent pas la langue. J’ai aussi pris la décision d’envoyer nos jeunes séminaristes non plus en Allemagne mais en France.
Depuis quand?
Le prochain diacre qui sera ordonné a été formé à Paris. Il s’agit de s’adapter aux changements sociologiques du pays. Il y a une part croissante de non-Luxembourgeois dans la population, mais aussi de plus en plus de Luxembourgeois d’origine très cosmopolite. L’Église doit être au service de tous les catholiques, donc il faut que les prêtres soient préparés de telle manière qu’ils puissent s’y employer.
L’enjeu présente des analogies avec le débat lors du dernier référendum. Vous vous étiez prononcé pour une plus grande participation des étrangers à la vie démocratique. Or cet appel – que vous n’avez pas été le seul à lancer – n’a pas été entendu. L’Église n’est-elle pas confrontée elle-aussi au risque de crispation identitaire?
Chez certains certainement. Mais il y a aussi beaucoup de catholiques qui écoutent l’Évangile et qui sentent qu’à la suite du Christ, il faut parfois changer les idées préconçues.

L’Église peut-elle jouer un «rôle modèle» pour l’ensemble de la société?
Je le pense. Quand on dit qu’il y a des sociétés parallèles au Luxembourg, hélas, c’est vrai. Quand on dit qu’il y a des Églises parallèles, hélas, c’est vrai. Pourtant, nous avons un idéal qui est d’être une Église unie, dans le respect des différences culturelles qui doivent garder leur place. Un Portugais n’a pas à exprimer sa foi et sa dévotion de la même manière qu’un Parisien ou un Luxembourgeois.
Les différences culturelles portent par exemple sur la catéchèse. Les Portugais tiennent à leur catéchisme et ont une longue pratique en la matière, or vous avez mandaté un expert canadien pour faire des propositions.
Oui, mais nous sommes en dialogue avec la communauté portugaise et nous avons aussi pris dans notre programme des éléments qui proviennent de chez eux. Tout en sachant que l’on ne peut pas transposer un modèle sur une autre communauté.
Parmi les nouveaux prêtes modérateurs qui coiffent les 33 paroisses, y a-t-il des étrangers ?
Il n’y a pas d’étrangers car nous manquons déjà de prêtres pour les communautés étrangères. Mais là aussi, la situation va évoluer. J’ai eu deux ordinations cette année : l’un est Luxembourgeois, l’autre Allemand. Il y a dix séminaristes en cours de formation, dont trois sont Luxembourgeois, deux Brésiliens, un Portugais, deux Italiens, un Autrichien et un Polonais. A l’avenir nous aurons aussi des curés modérateurs qui ne seront pas Luxembourgeois.
Le projet «Eglise 2005» n’a pas beaucoup fait bouger les lignes en 20 ans. Quel horizon vous fixez-vous pour y parvenir?
Eh bien si ma santé le permet, je serai archevêque encore pendant 15 ans, jusqu’à l’âge de 75 ans. Je désire de tout mon cœur qu’au moment où je passerai le bâton à un autre, l’Église n’ait pas seulement un visage plus international dans ses membres, mais aussi dans ses structures.
N.D.L.R: A suivre dans notre prochaine édition, un reportage sur „Le nouveau visage de l’Eglise catholique du Luxembourg“ par Marie-Laure Rolland.