Après deux ans d’enquête, la Cour des comptes a rendu son rapport spécial sur les conditions d’octroi de terrains industriels par l’Etat. Le dossier Fage révèle le caractère discrétionnaire avec lequel a été négocié le projet d’implantation de l’usine de yaourts par l’ex-ministre LSAP Etienne Schneider.
Les ministres de l’Economie qui se sont succédé entre 1993 et 2020, des socialistes Robert Goebbels à Jeannot Krecké et Etienne Schneider en passant par le libéral Henri Grethen, ont géré l’implantation d’industries de façon très personnelle, pour ne pas dire discrétionnaire. La palme de l’improvisation et du dilettantisme revient à Etienne Schneider, ministre de l’Economie entre 2012 et le 4 février 2020, dans sa gestion du projet d’usine de yaourt FAGE à Bettembourg. Projet qui a échoué, après avoir soulevé la controverse dans la classe politique.
A la demande de la commission de l’exécution budgétaire de la Chambre des députés en janvier 2019, la Cour des comptes a notamment passé au crible les conditions dans lesquelles le ministre LSAP a vendu au groupe industriel un terrain de 15 hectares dans la zone d’activité économique nationale Wolser. Le moins que l’on puisse dire est que Schneider, fidèle à son pragmatisme légendaire, ne s’est pas compliqué la vie avec les formalités légales.
Evaluation au doigt levé
Par la même occasion, l’organe qui contrôle la bonne utilisation des deniers publics s’est penché sur les cessions par l’Etat de terrains dans les zones d’activités économiques (ZAE) depuis près de trente ans. Rendu public lundi 11 janvier, son rapport spécial dresse l’inventaire des ventes et des attributions de droits de superficies depuis la loi de 1993 qui a encadré le développement et la diversification économique. Il pointe surtout les lacunes des dossiers analysés.
La loi de 1993 ne fournit aucun critère justifiant une vente de terrains par l’Etat plutôt qu’un droit de superficie.
Les agents de la Cour des comptes ont fait une descente au ministère de l’Economie entre les 10 et 12 mars 2020, peu avant le premier confinement et quelques semaines après le départ de son ancien locataire, Etienne Schneider. Leur constat fut alarmant. Leur rapport note l’absence de documentation (notamment les procès-verbaux de réunions avec les dirigeants de groupes industriels) et d’évaluation des projets d’implantation industriels sur la base d’une analyse économique et financière pertinentes en termes notamment de création d’emplois et de volume d’investissements. Les projets industriels semblent avoir été évalués au doigt levé.
Hormis d’être brièvement mentionnés dans des notes internes sommaires, la création d’emploi et de valeur ajoutée ainsi que le volume des investissements n’ont pas fait l’objet d’une analyse formelle»Cour des comptes
L’attribution de terrains soit sous la forme d’une vente ferme, soit sous la forme d’un droit de superficie ou d’emphytéose a été laissée à la discrétion des ministres de l’Economie qui ont eu peu d’égard pour la loi de 1993 censée encadrer les projets industriels sous la tutelle commune des ministères de l’Economie et des Finances. «Hormis d’être brièvement mentionnés dans des notes internes sommaires, la création d’emploi et de valeur ajoutée ainsi que le volume des investissements n’ont pas fait l’objet d’une analyse formelle», note la Cour des comptes.
Les mensonges de l’ex-ministre
L’examen du dossier FAGE montre qu’Etienne Schneider a traité avec le groupe agroalimentaire grec sans son homologue Pierre Gramegna, alors que la loi obligeait les deux ministères à se concerter au sein d’une commission spéciale.
Interrogé à deux reprises par l’opposition CSV sur la mise en place d’une telle commission, Etienne Schneider a toujours assuré s’être conformé au cadre légal et avoir impliqué le ministère des Finances. Or, ce qu’il a dit n’est pas vrai. Les services de Pierre Gramegna ont été formels devant les contrôleurs financiers de la Cour des comptes qui les ont interrogés: ils n’ont pas été associés au processus décisionnel du projet FAGE, pas même informellement. «L’intervention (du ministère des Finances, ndlr) s’est limitée à faire dresser l’acte de vente par l’Administration de l’enregistrement, des domaines et de la TVA et à y apposer sa signature», signale le rapport spécial.
La Cour déplore l’absence de documents ayant permis de déterminer le prix de vente de 20.000 euros de l’are fixé à la discrétion de l’ancien ministre LSAP, soit 27,643 millions d’euros. «Les responsables auprès du ministère de l’Economie précisent que les renseignements pour fixer les prix étaient collectés de façon informelle et qu’il n’existait pour cette raison aucune pièce pouvant justifier la fixation du prix».
Concurrence internationale
La Cour s’est d’ailleurs bien gardée de se prononcer sur le montant de 20.000 euros de l’are, signalant son impossibilité «à juger si ce prix reflète la réalité du marché».
Les services de Franz Fayot, qui a succédé à Etienne Schneider en février 2020, ont tenté de défendre le dossier FAGE, tout en reconnaissant le caractère inapproprié de l’analyse et des processus décisionnels. Le ministre s’est engagé à faire mieux la prochaine fois qu’un projet industriel lui sera soumis.
Franz Fayot soutient toutefois que le prix de vente du terrain (racheté par l’Etat suite à l’abandon du projet d’usine de yaourts) ne s’est pas fait «en dessous du marché» et qu’il tient compte de la concurrence internationale que se livraient différentes juridictions pour faire venir le groupe grec sur leur territoire. Le prix du foncier et l’option de la vente et non pas du droit de superficie a également pris en considération l’investissement de 277 millions d’euros et la création de 200 emplois programmés de FAGE.
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