Il n’y aura pas d’audience le 21 septembre prochain pour trancher la demande de récusation à l’encontre du juge Stéphane Maas dans le procès d’André Lutgen. Le procès du célèbre avocat pour outrage à magistrat va donc repartir à zéro. Les audiences devraient se tenir fin novembre avec d’autres juges.

L’affaire Lutgen va de coups de théâtre en coups en théâtre. Le juge Stéphane Maas, qui préside la 7e chambre du tribunal siégeant en matière correctionnelle et qui instruisait le procès pour outrage à magistrat de l’avocat André Lutgen, renonce à l’affaire.

Le magistrat était au centre d’accusations de partialité lancées par le juge d’instruction Filipe Rodrigues, principal instigateur de l’affaire contre le célèbre avocat. Rodrigues avait été cité comme témoin au procès de l’avocat et s’était senti malmené par Stéphane Maas lorsqu’il comparut à la barre. Plus d’une heure durant et avec un style musclé qui lui est propre, le président de chambre – qui a été lui-même juge d’instruction dans sa vie professionnelle antérieure – avait interrogé le juge d’instruction sur son enquête en lien avec un accident de travail mortel chez ArcelorMittal en mai 2019.

Acte de récusation recevable

Occupant pour le groupe sidérurgique, André Lutgen s’était plaint aux ministres de la Justice et de l’Economie, ainsi qu’à la Procureure générale d’Etat de la nonchalance des enquêteurs. L’avocat s’interrogeait notamment sur le manque d’empressement à lever les scellés sur une installation électrique centrale alors qu’ils n’étaient plus nécessaires.

Le juge d’instruction Rodrigues, en charge de l’enquête, avait pris ombrage des assertions de l’avocat, y voyant une tentative d’intimidation et un manque de respect envers la magistrature. Il avait alors dénoncé les faits au parquet, lequel avait demandé l’ouverture d’une instruction judiciaire contre l’avocat. Ce dernier fut inculpé et renvoyé par la suite devant un tribunal correctionnel. Son procès s’est ouvert mardi 29 juin et devait se poursuivre le 1er juillet, mais son cours s’est interrompu brutalement avec l’acte de récusation de Rodrigues. Cette demande a été formulée juste après que Me Daniel Cravatte, l’avocat qu’il avait mandaté pour se constituer partie civile, eut terminé sa plaidoirie. L’avocat avait fait acter au plumitif d’audience «ses doutes profonds sur l’impartialité du procès» qui, deux jours plus tôt, lui avait laissé «une impression de règlement de comptes contre Filipe Rodrigues».

La séance fut alors levée «sine die» par le juge Maas. Le lendemain de son dépôt au greffe et après les conclusions écrites du procureur d’Etat, Pierre Calmes, le président du Tribunal d’arrondissement de Luxembourg, avait déclaré l’acte de récusation de Rodrigues recevable et admissible en se basant sur l’article 528 du nouveau code de procédure civile. Sa décision n’est pas publique. La suite de l’affaire avait été confiée le même jour à la 1ère chambre du Tribunal de Luxembourg, présidée par Malou Theis. Une audience avait été fixée au 21 septembre, qui n’aura finalement pas lieu.

La carte de l’apaisement

Dans le même temps, l’acte de récusation fut communiqué au principal intéressé, le juge Maas, pour qu’il prenne position avant le 15 septembre prochain. Parallèlement, la défense d’André Lutgen avait déposé une demande en intervention volontaire, ce qui permet un accès au dossier, mais aussi d’avoir son mot à dire dans une procédure aussi inédite qu’exceptionnelle.

Après quelques jours de réflexions et après avoir pris connaissance des griefs à son encontre, Stéphane Maas s’est toutefois rétracté du procès Lutgen, préférant sans doute jouer la carte de l’apaisement après le tsunami que l’affaire Lutgen et la récusation avaient déclenché à la Cité judiciaire. «Le président de la VIIe chambre a fait part de sa décision de s’abstenir de l’affaire MP/André Lutgen dans l’intérêt de la sérénité de la justice et sans pour autant reconnaître un comportement fautif de sa part», indique un communiqué de l’administration judiciaire.

«La rétractation du vice-président Stéphane Maas (…) est une décision sage qui contribue à la sérénité de la justice, elle est tout en son honneur», a fait savoir de son côté la défense d’André Lutgen. Ses avocats se refusent «à commenter les motifs en partie très personnels évoqués par le juge Rodrigues dans sa requête de récusation» et considèrent que «l’incident restera ancré comme une triste anécdote dans l’histoire de la justcie luxembourgeoise».

Le procès pour outrage à magistrat et tentative d’intimidation contre André Lutgen va donc recommencer à zéro devant une autre chambre correctionnelle. Les audiences vont se tenir les 23, 24 et 25 novembre.

«Il n’y a pas que la justice qui souffre de son image, mais aussi le prévenu qui avait droit à son procès dans des conditions normales et à son acquittement», estime Me François Prum, un des avocats du prévenu. «Ce report dont on aurait pu se passer, ajoute-t-il, engendre un coût et un nouvel investissement en énergie provoqués par un juge d’instruction qui s’estime lésé et revendique un euro symbolique à titre de dommages et intérêts».

L’avocat indique avoir réitéré au procureur d’Etat la demande d’entendre comme témoin au second tour du procès Lutgen la procureur générale d’Etat Martine Solovieff et le juge d’instruction Filipe Rodrigues.

Cet article a été actualisé le 9 juillet avec notamment la prise de position de la défense d’André Lutgen et des précisions sur les dates du procès à l’automne prochain. 


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