Les sous-effectifs dans la magistrature et les difficultés de recrutement sont un casse-tête pour la justice. La ministre va dégager des moyens pour améliorer les conditions de travail et les rémunérations des parquetiers, après des années de disette à la Cité judiciaire.

Le recrutement de 46 référendaires, payés chacun 90.000 euros par an en début de carrière, ne suffira pas à pallier aux insuffisances de la justice qui peine déjà à trouver des candidats pour occuper ses postes vacants. Des réformes en profondeur sont attendues pour rendre la magistrature plus attrayante et encourager les jeunes juristes à travailler pour le ministère public plutôt que de s’inscrire au Barreau.

La ministre de la Justice a présenté cet été un projet de loi qui va introduire dans l’écosystème judiciaire les référendaires de justice pour épauler les magistrats en surchauffe de travail. Sam Tanson (Déi Gréng) espère susciter les vocations parmi les jeunes diplômés, luxembourgeois ou ressortissants de l’Union européenne, pour rejoindre les parquets et soutenir principalement la lutte contre la délinquance financière et le blanchiment d’argent.

L’obsession du GAFI

Même si la volonté politique derrière le texte ne fait pas de doute, le projet de loi relève surtout de l’affichage à quelques mois de la venue de la mission du Groupe d’action financière contre le blanchiment et le financement du terrorisme (GAFI) pour évaluer les capacités du Luxembourg à assainir sa place financière.

Les experts du GAFI regarderont derrière les statistiques judiciaires – parfois trompeuses – sur la répression du blanchiment de capitaux. Ils mesureront les moyens mis à disposition de la justice pour identifier les flux financiers anormaux et sanctionner, ou non, les opérateurs utilisant le Luxembourg à des fins illégales.

Le nombre anodin des magistrats ne reflète nullement la réalité que veut représenter le Luxembourg en tant que place financière à réputation internationale et comme pôle économique de la Grande Région.“Georges Oswald, procureur d’Etat

Personne, ni dans l’opposition, ni dans la magistrature, ne doute de l’utilité des référendaires de justice. Le procès-verbal de la réunion de la commission parlementaire de la Justice du 22 septembre 2021 rend compte du consensus de la classe politique sur la nécessité d’accroître l’efficacité de la justice. «Les évaluateurs du GAFI attachent une grande importance aux moyens humains déployés par notre pays dans le cadre de la lutte contre la criminalité économique et financière», avait fait valoir Sam Tanson devant les députés.

Au service de l’anti-blanchiment

Les référendaires contribueront à décharger les magistrats de certaines tâches: recherches juridiques, analyse et synthèse des actes de procédure, rédaction de notes, travaux administratifs. Le projet de loi en fait aussi des soutiens de poids au sein de la Cellule de renseignement financier (CRF), en charge de la détection du blanchiment, pour mener des analyses opérationnelles et stratégiques. En matière commerciale, les référendaires seront aussi chargés des vérifications des comptes dans le cadre notamment des procédures de faillites et redressements judiciaires.

Pour autant, ils n’auront aucun pouvoir décisionnel. La magistrature relevant de la souveraineté nationale, elle suppose d’avoir la nationalité luxembourgeoise. Or, les référendaires devraient être recrutés parmi les non-Luxembourgeois, précisément pour faire face à la pénurie de vocation chez les autochtones. La condition linguistique (exigence d’une maîtrise des trois langues) devrait être aménagée, sachant que la langue des juristes est principalement le français. Comme l’a souligné la procureure générale devant la commission parlementaire, la grande majorité des étudiants inscrits au cours complémentaire du droit luxembourgeois n’ont pas la nationalité luxembourgeoise.

La plupart des recrues devrait être affectée dans le pool des magistrats du parquet surtout pour servir la lutte contre la criminalité économique et financière, le maillon faible de la justice.

En 2020, 25 postes d’attachés de justice, qui sont les futurs magistrats, étaient à pourvoir. Seuls 17 candidats ont été recrutés. Ces chiffres témoignent d’un vrai problème de recrutement à la Cité judiciaire. L’introduction des référendaires à partir de janvier 2022 ne devrait pas changer grand chose à la situation.

Postes à pourvoir en souffrance

La législation sur les attachés de justice a subi depuis leur introduction en 2012 quatre modifications successives, la dernière remontant à l’été 2019. Sans résultat spectaculaire sur les embauches, toujours inférieures au nombre de postes à pourvoir.

Les carrières de juge ou de parquetier n’attirent pas les jeunes juristes. Après cinq ans au Barreau, les avocats peuvent accéder à la fonction d’attaché de justice sur simple dossier, sans passer par le concours. En dépit de cette facilité, les vocations restent faibles dans le vivier des avocats pour aller de l’autre côté du prétoire. Les explications de cette désaffection tiendraient tant aux conditions de travail qu’à des questions de rémunération.

Sam Tanson a fait appel au jeune retraité de la magistrature, Jean-Claude Wiwinius, qui a présidé jusqu’à septembre la Cour supérieure de justice et la Cour constitutionnelle, pour produire un rapport sur l’attractivité de la fonction de magistrat.

De leur côté, les fonctionnaires du ministère de la Justice s’arrachent les cheveux pour trouver des solutions et dégager du budget pour financer des recrutements à la hauteur des besoins. La justice a longtemps été le parent pauvre des gouvernements qui se sont succédé depuis les années 1990, celle sur laquelle des ajustements budgétaires pouvaient se faire sans trop de contestation. Sous la pression du GAFI, après une première évaluation catastrophique du Luxembourg, placé sur liste grise jusqu’en 2013, les autorités ont pris au sérieux l’importance d’étoffer les effectifs des juridictions judiciaires et de renforcer la répression de la criminalité en col blanc. Toutefois, on est parti de très bas.

Un rapport de la Commission européenne sur l’efficacité de la justice  montre que le Luxembourg n’a pas connu d’augmentation de magistrats aux parquets calculée par tranche de 100.000 habitants.

Prime doublée

Le ministère planche actuellement sur un programme pluriannuel pour étoffer les rangs des magistrats. Une soixantaine de postes devraient ainsi être créés au cours des quatre prochaines années. «Une partie des nouveaux postes sera réservée au parquet du tribunal d’arrondissement de Luxembourg», signale le service presse de Sam Tanson, sans donner plus de précisions.

Dans son avis sur le projet de loi introduisant les référendaires, le procureur d’Etat Georges Oswald chiffre les besoins en effectifs du parquet à 12 unités rien que pour s’occuper des dossiers en matière économique et financière, soit une augmentation d’un tiers des effectifs actuels.

L’été dernier, une loi a été adoptée sur l’efficacité de la justice civile et commerciale. Le texte a doublé la prime mensuelle des magistrats du parquet, passée de 800 euros à 1.600 euros (bruts).

Toutefois, les magistrats attendent d’autres gestes, notamment une hausse de la grille salariale de la magistrature, réforme promise mais jamais réalisée à ce jour.

Il n’en reste pas moins que la ministre est sous pression de magistrats qui dénoncent de plus en plus haut et fort l’indigence de la justice et l’inadaptation de ses moyens au regard de la taille de sa place financière. «Le nombre anodin des magistrats ne reflète nullement la réalité que veut représenter le Luxembourg en tant que place financière à réputation internationale et comme pôle économique de la Grande Région», a lancé comme un cri d’alarme le procureur d’Etat Georges Oswald dans son avis sur le projet de loi sur les référendaires. «Cette situation n’est pas digne d’une place financière qu’est le Luxembourg», écrit-il. «La seule CSSF», ajoute-t-il, «emploie actuellement environ 1.000 personnes afin de surveiller les activités du secteur financier».

La France comme modèle

Il dénonce les faibles moyens mis à la disposition des substituts affectés à la lutte contre la délinquance financière. Ces derniers se retrouvent souvent bien seuls et démunis face à des armadas d’avocats «hautement spécialisés et très procéduriers» dans des dossiers qui mériteraient un traitement par «plusieurs magistrats en parallèle», à l’instar de ce qui se pratique à l’étranger. Les magistrats du fameux Pôle national financier (PNF) du parquet de Paris illustrent la force de frappe des juges français dans les enquêtes politico-financières. Certains de leurs homologues luxembourgeois rêvent d’importer ce modèle français.

Il est tout à fait illusoire de penser que le recrutement d’un nombre important de référendaires (…) ne devra pas aller de pair avec une extension sensible des locaux destinés à l’administration judiciaire.“Georges Oswald, procureur d’Etat

Le procureur le regarde aussi avec les yeux de Chimène. Il préconise d’ailleurs une restructuration du parquet tenant compte des spécialisations de ses magistrats. «Il faudra créer un 3e poste du procureur d’Etat adjoint (il y en a deux actuellement, ndlr), tout en précisant que chacun des 3 procureurs adjoints devra chapeauter une des grandes spécialité au parquet (…): domaine économique et financier, criminalité organisée et lutte contre la toxicomanie et protection de la jeunesse».

La question des locaux

Georges Oswald soulève en outre dans son avis un autre problème d’intendance: où va-t-on faire travailler les 40 référendaires promis (les 6 autres seront affectés au tribunal administratif), alors que les bâtiments de la Cité judiciaire sont déjà au bord de la saturation et que certains services ont dû déménager dans d’autres locaux en ville ou sont en passe de se relocaliser? «Il est tout à fait illusoire de penser que le recrutement d’un nombre important de référendaires (…) ne devra pas aller de pair avec une extension sensible des locaux destinés à l’administration judiciaire», note le procureur.

L’enveloppe budgétaire de 4 millions d’euros annexée au projet de loi ne couvre que les rémunérations des référendaires sans considération pour les coûts financiers liés aux surfaces de bureaux où ils officieront. «Le renforcement des effectifs des juridictions et parquets s’accompagnera de la mise à disposition d’infrastructures supplémentaires», rassure toutefois le service presse de Sam Tanson, sans autres précisions.


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