Le Barreau de Luxembourg publie une cartographie des risques de blanchiment. La profession serait moyennement exposée. L’activité de domiciliation serait marginale dans les études et même peu lucrative. Le modèle de l’avocat d’affaires n’en reste pas moins dominant. 

«Les services de domiciliation par les avocats sont plus réduits que nous le pensions, ils représentent moins de 5% de l’activité. Le family office est une activité minuscule»: Valérie Dupong, la bâtonnière, se dit elle-même étonnée du résultat du questionnaire envoyé fin 2020 aux quelque 3.000 avocats inscrits au Barreau de Luxembourg.

Le questionnaire est un exercice d’introspection obligé pour les secteurs d’activité présentant des risques de blanchiment et soumis aux règles de la lutte contre l’argent sale (AML). Selon l’Evaluation nationale des risques réalisée en 2020 par le ministère de la Justice, la profession d’avocat présente un «risque élevé». La Commission de contrôle du Barreau de Luxembourg (CCBL) a lancé le 9 décembre 2020 auprès de tous les avocats un «contrôle AML off-site». Il s’agissait d’une première dans l’histoire du Barreau qui a «dû se mettre à nu», selon les mots de Valérie Dupong qui présentait les résultats jeudi lors d’une conférence de presse. Le contrôle s’est matérialisé par un questionnaire (85 questions) à remplir soi-même et à remettre obligatoirement avant le 31 du même mois.

Des soupçons réels

Le résultat surprend, contredit sur certains points l’évaluation officielle et fait des avocats luxembourgeois des modèles de vertu. 61,2% des avocats inscrits (listes I,II et IV, c’est-à-dire avocats à la Cour, stagiaires et avocats de l’UE exerçant sous leur titre d’origine) relèvent, selon leur propre appréciation, du champ d’application des règles AML. Ce qui les oblige, entre autres, à disposer d’une bonne infrastructure et à dénoncer les opérations suspectes à la Cellule de renseignement financier du Parquet général.

Jamais d’ailleurs, les avocats n’avaient autant rapporté de flux douteux que lors de l’année judiciaire 2020-2021. Le Barreau a comptabilisé 128 déclarations de soupçons sur la plateforme GoAML du Parquet. Des déclarations qualifiées de «sérieuses» par François Prum, président de la CCBL. «Les soupçons sont réels. Toutefois, les avocats ne sont pas des délateurs», a précisé l’ancien bâtonnier. Il faut sans doute mettre ce record en relation avec l’annonce de la tournée du GAFI qui va évaluer en 2022, si tout va bien, l’efficacité du dispositif AML du Luxembourg.

Le résultat est «un sujet de fierté» pour François Prum pour lequel les chiffres témoignent «d’une prise de conscience véritable» du rôle des avocats dans l’écosystème de l’anti-blanchiment. «L’état d’esprit du Barreau a changé», a-t-il souligné. «On n’a pas envie de perdre notre pouvoir d’autorégulation», a renchéri la bâtonnière.

Il faut dire qu’à côté de l’auto-évaluation, le Barreau a renforcé ses contrôles sur place: depuis septembre 2020 et malgré le Covid, 38 cabinets ont reçu la visite des membres de la CCBL, ce qui représente 30% des effectifs du Barreau. La commission spécialisée effectue en moyenne deux contrôles par semaine. Cinq affaires disciplinaires ont été initiées. L’une a déjà été classée et les quatre autres, plus consistantes, ont débouché sur une citation des avocats contrevenants devant le Conseil de discipline et administratif (CDA). Les affaires sont toujours, à ce stade de la procédure, couvertes par le secret.

Le contentieux en tête de classement

Les contrôles à distance via questionnaire font ressortir que le core business des avocats reste de loin le traditionnel contentieux (32,4% de leur activité), qui se place hors du champ du blanchiment. Les activités Corporate/fusion et acquisition représentent 14% de l’activité, les fonds d’investissement 7,5%, les transactions immobilières 6,7%, le conseil et la structuration en fiscalité 6,1%. Le cumul de l’ensemble de ces activités moins conventionnelles que le contentieux confirme tout de même la prédominance des avocats d’affaires au Barreau de Luxembourg.

Jugées risquées, les prestations de service aux sociétés et fiducies constituent une activité assez marginale: 4,4%. «Les services de domiciliation par les avocats sont également surestimés dans l’inconscient collectif», lit-on d’ailleurs dans une publication du Barreau de Luxembourg. A peine 20% de ses membres (146) se consacrent à l’industrie des boîtes aux lettres. Dans une majorité de cas, les avocats domicilient une à dix sociétés. Seuls cinq avocats en hébergent plus de 50.

La domiciliation n’apparaît pas non plus, à la lecture de l’auto-évaluation, comme très lucrative. Elle génère pour 45% des avocats domiciliataires moins de 10.000 euros de chiffre d’affaires annuel. Pour 5% d’entre eux, l’activité représente un chiffre d’affaires au-delà de 200.000 euros par an.

Part des PEP’s limitée

Les chiffres sur les avocats domiciliataires ne tiennent pas compte des membres du Barreau ayant des participations dans des entreprises prestant des services d’hébergement aux sociétés et qui sont déconnectées des études et relèvent généralement de la surveillance de la Commission de surveillance du secteur financier.

Le questionnaire révèle aussi une part peu élevée (12%) dans la clientèle des avocats luxembourgeois de personnes politiquement exposées (PEP’s), qui exigent une vigilance accrue, quelle que soit d’ailleurs leur origine géographique.

40 études font des affaires avec des PEP’s originaires de pays tiers considérés comme à risque – la liste du ministère de la Justice porte sur 50 pays et 145 clients et/ou bénéficiaires effectifs à surveiller de près, parmi lesquels émergent essentiellement des résidents d’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, du Qatar, de Bahreïn et de Libye.


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