Aux termes de trois jours de comparution devant une juge d’instruction et d’une enquête de six ans, Marc Ambroisien a été inculpé vendredi dans le volet luxembourgeois du scandale financier 1MDB. L’ancien dirigeant de la banque Rothschild est accusé d’infraction à la loi anti-blanchiment.
Son inculpation ne faisait aucun doute et dépendait du timing de la remise d’un rapport de la police judiciaire qui était initialement attendu à l’automne 2019, mais qui a été livré avec près de deux ans de retard. Marc Ambroisien, qui a dirigé la «Banque privée Edmond de Rothschild Europe» (BPERE) entre 2012 et 2015 avant d’être limogé, a comparu la semaine dernière devant la juge d’instruction en charge du dossier 1MDB.
A l’issue de trois jours d’audition au cabinet d’instruction, le financier français et ancien agent des impôts a été inculpé, notamment pour défaut de vigilance et blanchiment en infraction avec la loi modifiée de 2004 sur la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme.
Lenteur de la procédure
Il s’agit d’un des dossiers financiers les plus toxiques que la justice luxembourgeoise ait à traiter avec le scandale Madoff. Les deux affaires ont d’ailleurs en commun la lenteur de la procédure.
Ouverte en 2016, l’enquête judiciaire porte sur une affaire de corruption, d’escroquerie et de blanchiment en lien avec le fonds souverain malaisien 1MDB. Un montant de 2,7 milliards de dollars aurait ainsi été détourné mondialement par le baisais d’un intermédiaire, Khadem Al Qubaisi (KAQ), originaire des Emirats Arabes Unis. Une partie des fonds, 472,5 millions de dollars, a transité par Luxembourg à la BPERE que KAQ avait choisi comme banque dépositaire du fonds. Le riche client émirati avait aussi ses comptes personnels dans la banque privée luxembourgeoise. Marc Ambroisien en était le gestionnaire. Il occupait par ailleurs les fonctions de gérant de la société «Eagle Advisory» (EA), le «family office» de Al Qubaisi à Luxembourg. C’est dans cette entité qu’une partie des détournements aurait atterri au Grand-Duché. Les fonds ont été bloqués en 2015 et 2016 et le restent depuis lors.
Ambroisien a toujours soutenu avoir agi dans le cadre des mandats que lui conférait sa position de numéro 1 de la banque. Or, selon des informations de presse, l’ancien dirigeant aurait fermé les yeux sur les opérations de KAQ et sur l’origine des flux financiers qui arrivaient sur ses comptes. La contrepartie de sa complaisance aurait notamment été de somptueux cadeaux, dont une Aston Martin.
Marc Ambroisien a probablement dû s’en expliquer devant la juge d’instruction. Dans une des rares interviews qu’il a accordées à la presse luxembourgeoise en 2016, quelques semaines après que le Parquet général eut annoncé l’ouverture d’une information judiciaire dans le cadre du volet luxembourgeois de 1MDB, le banquier contestait dans le «Luxemburger Wort» tout comportement fautif et rejetait la responsabilité sur sa banque ainsi que sur les auditeurs. Il assurait être un fusible.
Son inculpation intervient presque un an après celle de son ancien employeur. BPERE s’était vu en effet formellement signifier par la juge d’instruction les griefs de blanchiment au début de l’année 2021.
80 classeurs
Quatre ans plus tôt, l’établissement avait été lourdement sanctionné par la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) pour ses manquements dans la lutte contre le blanchiment et la corruption, se voyant infliger une amende record de 8,99 millions d’euros en lien direct avec le scandale 1MDB.
En avril 2020, le régulateur s’était attaqué à l’ex-administrateur délégué de BPERE en le déclarant persona non grata pendant dix ans sur la place financière, ce qui de facto signifiait la mort professionnelle du banquier qui fêtera ses 60 ans en mars prochain. La CSSF lui reprochait des manquements en matière de gouvernance interne et de gestion «saine et prudente des risques». Marc Ambroisien a fait appel de la sanction devant la juridiction administrative.
Contacté par Reporter.lu, son avocat Me François Prum a confirmé la comparution la semaine dernière de son client devant la juge et le disait soulagé d’avoir enfin accès au dossier répressif pour pouvoir mieux se défendre contre les accusations de négligences professionnelles.
Selon les informations de Reporter.lu, le dossier d’instruction tient dans quelque 80 classeurs qui occupent toute une pièce de la Cité judiciaire.
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