Une escroquerie de 3,5 millions d’euros à la Caixa à Luxembourg en cache une autre à plus de 25 millions. Le prévenu a fait appel à l’épargne pour investir dans un fonds diamantaire. C’était de la cavalerie financière qui a trompé jusqu’aux banquiers les plus chevronnés.
L’affaire du fonds diamantaire est un sujet tabou au procès «Caixa» qui se tient actuellement devant le tribunal correctionnel. Mardi 27 octobre, l’avocat d’Emmanuel Abramczyk, un des 8 prévenus de l’escroquerie bancaire à 3,5 millions d’euros actuellement jugée, a vigoureusement protesté lorsque le juge a fait une allusion à une autre fraude dont son client est le principal suspect.
Cette seconde affaire est toujours en instruction, donc couverte par le secret: «Ce saut d’un dossier à l’autre est surprenant», s’est insurgé Me Roby Schon. «Nous ne voulons pas noircir davantage votre client», lui a rétorqué le président de la 16e chambre correctionnelle, après avoir fait remarquer qu’Abramczyk s’était fait financer son train de vie de millionnaire, ses Porsche et autres Bentley «par des investisseurs à qui il montrait des diamants qui n’étaient que du verre». Fin de l’altercation.
Emission privée et confidentielle
Les allusions du magistrat traduisent la difficulté de déconnecter les deux affaires entre elles. Certains prévenus sont les mêmes. C’est grâce à une part du butin de la Caixa – quelque 700.000 euros – qu’Abramczyk aurait pu commettre son second forfait et mettre en place une véritable cavalerie financière qui a fait des centaines de victimes.
Les épargnants naïfs ont cru aux promesses de Rawstone Business Holding, la société appartenant à Abramczyk, et souscrit aux obligations privées que l’entreprise spécialisée dans la taille de diamants bruts et le négoce de charbon a lancées sur le marché. Sans autorisation.
Une partie des fonds détournés à la Caixa a permis de constituer le capital social de Rawstone, de louer des bureaux et de mettre en place la logistique de l’entreprise frauduleuse.
Les obligations émises par Rawstone ont été commercialisées via un réseau de rabatteurs et apporteurs d’affaires en France, en Allemagne et au Luxembourg. Le placement promettait de servir un taux de rendement de 9,90% par an. Mais le produit miracle s’est avéré être de la cavalerie financière. Les investisseurs n’ont jamais revu leur argent.
Plus c’est gros, mieux ça passe
Emmanuel Abramczyk serait un peu le Bernard Madoff du Grand-Duché: il lui est reproché d’avoir trompé tout le monde et pendant longtemps. Des banquiers expérimentés, l’auditeur PWC, les investisseurs et même ses propres partenaires en affaires ont cru en lui sans déceler le pot-aux-roses.
Quand une personne montre une telle réussite et une telle trésorerie, forcément cela suscite la confiance.“Courtier français
Avec 300 victimes en Grande Région, selon Le Républicain Lorrain qui a révélé l’affaire, et un préjudice estimé à plus de 26 millions d’euros, selon une source proche de l’enquête, la fraude à la pierre précieuse est une affaire hors norme qui dépasse de loin le calibre de la délinquance financière ordinaire pratiquée à partir de Luxembourg.
Emmanuel Abramczyk est arrivé au Luxembourg à la fin des années 2000, en affichant un pedigree de gourou du diamant. Il revendique le don exceptionnel de pouvoir, rien qu’au toucher d’un diamant brut, en déterminer le nombre de carats qu’il fera une fois taillé. «Il était jovial et surtout très convaincant», avance vis-à-vis de Reporter.lu un de ses anciens partenaires. «Quand une personne montre une telle réussite et une telle trésorerie, forcément cela suscite la confiance», explique pour sa part un courtier en produits financiers qui a failli succomber aux propositions de Rawstone avant de se raviser au dernier moment. «Parfois plus c’est gros, mieux ça passe», admet-il.
Un ancien forain
Dans une présentation de 2014 destinée aux investisseurs, Abramczyk affiche des états de services impeccables qui le présentent comme un expert international des pierres précieuses. Il fait état d’une expérience à De Beers Londres, d’une mission de consultance confiée par le ministère des Mines à la Bourse du diamant de Shanghai et d’un poste de professeur expert en diamants en Chine.
Les enquêteurs luxembourgeois ont retracé un parcours et un CV bien moins honorables. Abramczyk, 53 ans, a commencé sa carrière professionnelle, avec un bac en poche, comme forain sur les marchés de sa Normandie natale. Il fait un passage par Genève en 2003 où il a vivoté du chômage et du salaire de son épouse comptable. Il est repéré en 2007 à Luxembourg comme administrateur d’une officine obscure dont le siège sera dénoncé par son domiciliataire.
Lorsqu’à l’automne 2011, l’affaire du vol de 3,5 millions d’euros éclate, son nom apparait dans l’enquête comme un proche de l’employé de la banque suspecté du détournement. Il faudra presque deux ans aux policiers avant de remonter la piste asiatique où une partie du butin a été blanchie avant de revenir à Luxembourg…à la Caixa. Quelques semaines avant le forfait de l’employé qu’il connaissait bien, Abramczyk a ouvert un compte dans la succursale de la banque portugaise au nom de la société offshore Loxley. Il lui est reproché d’avoir partagé le capital avec un de ses complices présumés, Manuel de Carvalho Macedo, également prévenu dans le procès Caixa.
A la table du Pomodoro
Macedo est connu au Grand-Duché pour avoir exploité le restaurant Il Pomodoro à Roeser, qui fut longtemps la cantine du promoteur immobilier Flavio Becca, de personnalités notoires de la gauche et de la place financière, d’avocats en vue et même de policiers. Macedo et Abramczyk se sont connus, selon ce dernier, au Pomodoro par l’intermédiaire d’une connaissance commune «peu fréquentable».
Entre 2012 et 2019, je n’ai jamais vu de faille dans son mécanisme. Tout était bien ficelé, bien organisé, ce qui lui a permis de lever plus de 25 millions d’euros.“Un ancien partenaire
En février 2013, toujours dans le cadre de l’affaire Caixa, l’étau se resserre sur les deux hommes. Les bureaux de Rawstone et le domicile d’Abramczyk sont perquisitionnés. Outre près de 11.000 dollars en cash trouvés sur un bord de fenêtre de son appartement et un GSM de marque Vertu à 11.000 euros (selon les déclarations de son propriétaire), les enquêteurs exhument des documents de Rawstone qui trahissent les activités de collecte d’épargne de la société.
Dans une de ses auditions devant les policiers, le Français reconnait avoir fait «un emprunt privé et confidentiel» à hauteur de 2 millions d’euros «auprès d’amis et de connaissances». Il affirme être resté dans les limites de la légalité. Pour autant, les policiers restent sceptiques et doutent de la bonne foi de leur interlocuteur. Ils alertent alors le Parquet, subodorant une activité bancaire illégale. L’affaire en reste là et les affaires de Rawstone se poursuivent de plus belle. C’est d’ailleurs un peu par hasard qu’un juge d’instruction fera le rapprochement entre le vol à la Caixa et l’arnaque au diamant.
Réussite ostentatoire
Imperturbable, Abramczyk voit grand et affiche sa réussite de façon ostentatoire. Il s’offre un chauffeur pour conduire ses luxueuses voitures, aménage une villa à Belair et déménage les bureaux de Rawstone dans une maison de maître rue Sainte Zithe. La collecte de l’épargne dépasse le cercle privé et atteint une envergure à donner le tournis. «Il a monté un réseau de rabatteurs et de revendeurs principalement en France, notamment grâce au réseau d’intermédiaires en assurance et finance Orias», explique à Reporter.lu un de ses anciens partenaires. «Entre 2012 et 2019, précise-t-il, je n’ai jamais vu de faille dans son mécanisme. Tout était bien ficelé, bien organisé, ce qui lui a permis de lever plus de 25 millions d’euros».
Le réseau d’apporteurs d’affaires est toutefois fait de bric et de broc. Abramczyk va même embaucher son ancien coiffeur comme commercial. Vu le grand train de vie qu’il affiche, personne ne se méfie. Les obligations Rawstone s’arrachent. Le montant minimum à investir est fixé à 50.000 euros.
Après avoir testé le marché de la petite épargne, le Français vise les investisseurs institutionnels. On est en 2014. Il met en œuvre à partir de Luxembourg une véritable usine à gaz. Sa pièce maitresse est Blueground Investment Fund, un fonds alternatif qui promet d’investir dans la taille de diamants. Son siège social à EFA, rue d’Alsace, devait contribuer à inspirer la confiance des investisseurs et interlocuteurs en affaires.
La caution morale des banquiers
Abramczyk s’offre les services d’un financier respectable en la personne de Gary Janaway qu’il débauche de la banque Schroeder. Janaway est aussi le partenaire de Macedo dans Laurada, la société exploitant Il Pomodoro. Abramczyk prendra aussi des parts dans le restaurant qui fera d’ailleurs faillite. Janaway servira pour sa part de caution morale à toute l’entreprise. La relation se terminera mal. Le banquier claquera la porte en février 2015.
Abramczyk s’entoure également d’autres figures de la place financière: l’ancien CEO de la Société Générale à Luxembourg, ex-manager de Foyer Asset Management et administrateur de l’Institut luxembourgeois des administrateurs, Vincent Decalf participe brièvement à l’aventure. Un ancien de la Banque Pictet, Giles Somers y est aussi embarqué. «Ce sont des victimes collatérales», souligne un proche du dossier.
La firme PWC tombe également dans le piège. Le big 4 est mandaté pour constituer le dossier d’autorisation du fonds d’investissement auprès de la Commission de surveillance du secteur financier.
Malgré cet aréopage de professionnels, le dossier d’autorisation de Blueground ne convainc pas le régulateur du secteur financier. Méfiante, la CSSF oppose une fin de non-recevoir.
Cet échec ne décourage pas le dirigeant de Rawstone. Abramczyk se rabat sur l’Asie et voit encore plus grand. Reporter.lu s’est procuré une brochure de présentation de la multinationale Rainbow capital Group qu’il souhaite mettre en place avec des partenaires chinois. Le groupe revendique des activités dans la taille de diamant, la joaillerie, l’immobilier et les yachts. Abramczyk se vante de posséder un énorme diamant dont il attend 18 millions de dollars.
Appel à témoins de la police
L’enquête policière a montré que sa notoriété dans le milieu très fermé des diamantaires n’était que du vent et que les diamants qu’il montrait à ses clients étaient de la verroterie.
Seules les obligations privées émises par Rawstone en quantité industrielle ont été commercialisées sur le marché de l’épargne entre 2012 et 2018.
L’entreprise d’Emmanuel Abramczyk a été stoppée après plusieurs plaintes et dénonciations d’épargnants et de partenaires qui s’inquiétaient de ne pas être remboursés ni payés. Début 2019, le château de cartes s’écroule. En mars 2019, la Police grand-ducale lance un appel à témoins sur son site Internet pour recenser les victimes de Rawstone, déclarée en faillite trois semaines plus tôt.
L’annonce policière faisait état d’une instruction judiciaire des chefs d’escroquerie et abus de confiance.
Dans le même temps, Abramczyk est placé en détention préventive. Il n’est d’ailleurs sorti de Schrassig qu’à la faveur du confinement de mars dernier. La présomption d‘innocence reste de mise.
Une des victimes a mis 200.000 euros dans Rawstone, soit toutes les économies d’une vie et le fruit d’un héritage, raconte le journaliste du Républicain Lorrain. La sexagénaire vit aujourd’hui dans un foyer social.