La CSSF vit au-dessus de ses moyens. Pour assurer son train de vie, les prélèvements sur les entreprises régulées vont fortement augmenter. La hausse relance ainsi le débat sur la participation de l’Etat aux frais de fonctionnement. Le sujet est politiquement chaud.

La salle de fitness de moins de 20 mètres carrés avec quatre appareils de gym et son vestiaire étriqué ont été fermés du jour au lendemain. Moins pour des raisons sanitaires que pour des chicaneries. Car l’existence même de cette infrastructure sportive alimentait certains propos malveillants sur le train de vie des agents de la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF).

Cette discussion témoigne des difficultés du régulateur d’un secteur d’activité surdimensionné par rapport à la taille du pays, en termes d’habitants et de kilomètres carrés, à trouver sa place dans le nouvel écosystème luxembourgeois.

Des pertes considérables

Morte et enterrée, l’époque où la place financière tirait son attractivité du contrôle a minima des banques et où les sanctions pour violation de la règlementation se limitaient à des remontrances sans conséquences du directeur de la CSSF. Ce modèle de gouvernance paternaliste, qui fut longtemps une marque de fabrique grand-ducale pour attirer des affaires, s’est écroulé après la crise financière de 2008. La standardisation de la surveillance à l’échelle européenne et la fin du secret bancaire ont fait faire un saut quantique à la place financière.

De 124 personnes employées lors de sa création en 1998, la CSSF a vu ses effectifs plus que doubler en une décennie, passant de 406 agents en 2011 à près d’un millier cette année. La hausse des effectifs est le résultat de compétences toujours plus étendues pour assurer la surveillance d’un centre financier figurant dans le Top 10 mondial, qui n’est pas celui d’un pays de 620.000 habitants.

Les montants des taxes actuelles n’arrivent plus à couvrir les frais d’exercice de la surveillance.“Ministère des Finances

Le pré carré de la finance non régulée s’est considérablement réduit. Aussi, le périmètre de la surveillance dépasse-t-il désormais largement les banques, sociétés de gestion et fonds d’investissement et touche depuis le printemps 2021 les compagnies financières holding. Ce qui a forcément des répercussions sur le coût de la surveillance.

Fin 2020, la CSSF affichait un total bilantaire de près de 140 millions d’euros que les taxes prélevées sur les entreprises administrées (123,7 millions d’euros) ne suffisaient pas à couvrir. La perte de l’exercice s’élevait à 12,5 millions d’euros. Rien d’inquiétant à courte échéance pour une institution qui disposait alors de réserves de près de 60 millions d’euros.

Puiser ou non dans les amendes?

Le rapport annuel 2020 de la CSSF est muet sur l’utilisation ou non des amendes pécuniaires sanctionnant les entreprises financières dans les frais de fonctionnement. Toutefois, l’exercice pourrait s’avérer hasardeux, compte tenu du caractère non récurrent des sanctions.

A long terme, l’équilibre financier du régulateur n’est pas assuré, malgré un programme d’économies pour réduire ses dépenses de fonctionnement. Selon les informations de Reporter.lu, des augmentations nettement plus substantielles seraient nécessaires pour couvrir les frais de l’organisation ainsi que les investissements dans la digitalisation.

Or, le ministre des Finances sortant Pierre Gramegna (DP) qui fait siéger trois représentants au sein du conseil de la CSSF, dont la présidente Maureen Wiwinius, n’était pas favorable à une adaptation plus importante des taxes, craignant sans doute des crispations tant au sein de la classe politique qu’auprès du grand public.

Heures supplémentaires en dérapage

Le régulateur luxembourgeois, avec son millier d’agents au service de la moralisation de la place financière, surveille ses frais de personnel (113,2 millions d’euros en 2020) comme le lait sur le feu. Les principales inquiétudes viennent des heures supplémentaires de ses agents et de leur provisionnement dans les comptes annuels.

L’organisation du travail et la gestion des horaires mobiles, inspirées de la fonction publique, restent problématiques. Beaucoup d’employés, notamment frontaliers, démarrent leur journée de travail à 6.30 le matin pour éviter les encombrements du trafic routier. Compte tenu de l’obligation de présence au bureau entre 9.00 et 11.30 et de 14.30 à 16.00 heures, les agents aux horaires très matinaux ne peuvent pas quitter leur poste de travail dans les intervalles, même après leurs 8 heures règlementaires. Les heures supplémentaires s’accumulent jour après jour et flirtent avec les plafonds règlementaires des 1.800 heures par salarié.

La hausse des coûts de la surveillance a obligé le ministère des Finances à ajuster dès janvier prochain les taxes à prélever sur les entreprises régulées. Les taxes sont restées inchangées depuis 2017. Le gouvernement n’avait pas voulu y toucher à l’hiver 2020, comme il aurait dû le faire, alors que l’Europe vivait sa seconde vague de Covid-19. Il a dû s’y résoudre en cette fin 2021, en pleine cinquième vague de la pandémie.

«Les montants des taxes actuelles n’arrivent plus à couvrir les frais d’exercice de la surveillance», indique l’exposé des motifs du projet de règlement grand-ducal validé fin novembre en conseil de gouvernement qui a choisi de recourir à la procédure d’urgence pour faire passer le texte.

12% de hausse moyenne

L’exposé des motifs ne fournit toutefois aucune information sur le niveau de hausse global ni de comparaison par rapport à l’ancienne grille tarifaire, se contentant de donner les chiffres bruts des nouvelles taxes (notamment sur les holdings) et adaptations qui entreront en vigueur au 1er janvier 2022. Selon les informations de Reporter.lu, la hausse moyenne des taxes est de 12%, mais varie selon la nature des entreprises et des personnes contrôlées.

Les taxes forfaitaires annuelles des banques vont augmenter entre 14 et 16%, selon leur volume d’activité, avec un ticket minimum à 97.000 euros, contre 85.000 euros précédemment, et un plafond à 407.500 euros pour les établissements qui dépassent les 2,5 milliards d’euros de somme de bilan.

Le prix de l’instruction d’un agrément d’une banque explose (+233%), passant de 15.000 à 50.000 euros. Chaque changement d’actionnariat (au moins 10% du capital ou des droits de vote) sera désormais soumis au paiement d’un forfait unique de 15.000 euros, inexistant dans l’ancien régime.

Si l’augmentation des coûts de surveillance devait continuer au même rythme que précédemment (…), il sera indispensable de se pencher sur la structuration du financement de la CSSF.“
Conseil d’Etat

Les compagnies financières holdings et compagnies financières holdings mixtes qui entrent dans le périmètre de la surveillance de la CSSF devront s’acquitter d’une taxe forfaitaire de 15.000 euros à l’instruction de leur dossier d’agrément.

Le forfait pour faire enregistrer un organisme de placement collectif ou un fonds d’investissement spécialisé (FIS) classique coûtera 4.400 euros (+10%) ou le double pour les fonds à compartiments multiples. La tarification à charge des gestionnaires de fonds d’investissement pour l’instruction d’une demande d’agrément reste inchangée.

Les forfaits des stagiaires réviseurs d’entreprise vont doubler de 500 euros actuellement à 1.000 euros en janvier 2022. La hausse des barèmes des réviseurs d’entreprise agréés est limitée à 25%. En revanche, le forfait annuel de base n’augmente pas pour les cabinets de révision.

Une question de réputation

La hausse des taxes CSSF a fait réagir mollement la Chambre de commerce, qui y voit le prix à payer pour une place financière haut de gamme: «Il est essentiel que la CSSF dispose des moyens nécessaires pour fonctionner. La place financière a besoin d’une surveillance de qualité. Il en va également de la réputation du Luxembourg sur la scène européenne et internationale», explique l’organisation patronale, en reprenant les mêmes termes utilisés dans son avis de décembre 2017, lors de la précédente adaptation des taxes de la régulation financière.

Pour autant, le patronat luxembourgeois s’inquiète de l’impact de ces hausses tarifaires, couplées aux frais de conformité règlementaire, sur l’attractivité de la place financière et la rentabilité des entreprises du secteur. La Chambre de commerce ressert sa rengaine sur le «tsunami règlementaire» qui plombe le secteur financier: «L’impact des mesures projetées devrait être limité à ce qui est strictement nécessaire afin de ne pas fragiliser davantage ce secteur, déjà confronté à une avalanche de charges depuis plusieurs années», expose son avis livré le 3 décembre dernier.

La prise en charge d’une partie des coûts de la CSSF par l’Etat devrait très probablement faire partie de la réflexion globale lors d’une réforme en profondeur.“
Katarina Gerard, Chambre de Commerce

En 2017, l’organisation plaidait déjà pour une réforme en profondeur des ressources de la CSSF. Elle a réactivé cette revendication en 2021, mais reste vague sur les solutions à apporter: «Le poids du coût de cette supervision ne peut plus reposer uniquement sur les établissements financiers régulés par la CSSF».

Interrogée par la rédaction de Reporter.lu sur les nouvelles pistes de financement de la CSSF, Katarina Gerard, en charge du département «Legal&Tax» reconnaît que «la réflexion est plutôt générale, mais la prise en charge d’une partie des coûts de la CSSF par l’Etat devrait très probablement faire partie de la réflexion globale lors d’une réforme en profondeur».

Sollicitée à son tour par la rédaction, Catherine Bourin, qui siège au conseil de la CSSF pour le compte de l’Association des banques et banquiers Luxembourg, n’a pas souhaité se prononcer à ce sujet, invoquant son obligation de confidentialité. Le président de l’ABBL, Guy Hoffmann, a également indiqué qu’il ne commenterait pas le projet de règlement grand-ducal.

L’ABBL s’est d’ailleurs abstenue, comme elle en a pourtant la possibilité, d’envoyer son propre avis à la Chambre de commerce. Or, dans le passé récent, les représentants du lobby bancaire tenaient la plume pour rédiger les avis de la Chambre de commerce en lien avec le secteur financier.

Silence du Conseil d’Etat

Le Conseil d’Etat n’avait pas livré d’avis au moment de la rédaction de cet article. Toutefois, compte tenu de l’invocation de l’urgence, le gouvernement peut se dispenser de l’appréciation des Sages et faire signer le projet de règlement par le Grand-Duc Henri.

En 2017, le Conseil d’Etat avait prévenu que «si l’augmentation des coûts de surveillance devait continuer au même rythme que précédemment (40 pour cent sur trois ans), il sera indispensable de se pencher sur la structuration du financement de la CSSF par des seules taxes à percevoir de la part des entités surveillées».

Politiquement sensible, le dossier pourrait figurer sur l’agenda de la nouvelle ministre des Finances Yuriko Backes (DP).


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