Dans les maisons de retraite et de soins, une centaine de pensionnaires sont à ce jour testés positifs et plus de 10 décès ont été enregistrés. Certains établissements sous-estimaient l’urgence de la situation et une stratégie nationale claire s’est fait attendre. Enquête.

Le Covid-19 est désormais présent sur l’ensemble du territoire dans les maisons de retraite et de soins. C’est le premier constat de l’enquête de REPORTER menée pendant deux semaines pour faire le point sur la propagation du virus dans ces institutions. Nous avons contacté les gestionnaires de 31 des 52 établissements du pays. Résultat: aux quatre coins du pays, des établissements ont des pensionnaires testés positifs.

Dans un entretien accordé à REPORTER, le directeur de la Santé, Jean-Claude Schmit, confirme que l’établissement le plus touché est les «Parcs du 3ème Âge» de Bertrange. Le président de la Fondation qui gère cette institution, Paul Geimer, nous a indiqué mercredi (8 avril) qu’un total de 20 pensionnaires (sur environ 130) et 20 soignants ont été testés positifs depuis le début de la pandémie. Le premier cas de pensionnaire positif remonte au 12 mars.

Globalement, la ministre de tutelle des personnes âgées, Corinne Cahen, avance que la barre des 100 pensionnaires testés positifs a été franchie au 7 avril. Dix jours plus tôt, la Copas, la fédération qui coiffe les maisons de retraite et de soin, avait communiqué au Luxemburger Wort le chiffre de 35 pensionnaires testés positifs.

Le personnel avait l’impression que le ministère ne reconnaissait ni l’urgence ni la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait.“Céline Conter, LCGB

Les recherches de REPORTER montrent qu’à côté des «Parcs du 3ème Âge», quatre autres établissements comptent désormais plus de 10 pensionnaires contaminés: la Séniorerie «Saint-Joseph» à Pétange, le «Haaptmann’s Schlass» à Berbourg, «Servior Am Park» à Bofferdange et la résidence «Op der Waassertrap» à Belvaux. Rapporté à la taille des établissements, cela représente entre 6 et 8 % des pensionnaires. Les données remontent au mardi 7 avril. Au niveau national, le nombre d’infections actuelles représente moins de 1,7% des près de 6.000 pensionnaires.

La directrice générale de ZithaSenior, Carine Federspiel, qui gère six résidences à travers le pays, dont la Séniorerie Saint-Joseph à Pétange, ne veut pas communiquer sur le nombre de personnes contaminées. D’après elle, il n’y avait en début de semaine (6 avril) aucun décès à déplorer. Elle ne s’attend toutefois pas à ce que la situation s’améliore rapidement. «La crise ne fait que commencer et il y aura des séquelles pendant plusieurs mois», nous dit-elle. L’âge des pensionnaires (une moyenne de 85 ans) et leur comorbidité les rendent extrêmement vulnérables.

Un bilan contrasté

Plusieurs gestionnaires de maisons de retraite et de soins sont désormais confrontés à une situation qu’ils pensaient improbable il y a deux semaines. C’est le cas de «Op der Waassertrap» à Belvaux. Lors de la deuxième semaine du confinement, le chargé de direction avait déclaré à RTL n’avoir aucun cas. D’après les informations de REPORTER, dix personnes y ont été testées positives lundi (6 avril).

Dans les autres établissements, la situation était plus calme en début de semaine. Le directeur de la Santé Jean-Claude Schmit indiquait mercredi (8 avril) que ces maisons étaient peu ou pas du tout exposées au Covid-19. Ainsi, 11 des 15 établissements de Servior n’ont encore aucun cas (9 avril). Une situation que connaissent aussi les Hospices civils de Pfaffenthal et de Hamm, à Luxembourg (8 avril).

Il y a aussi des nouvelles positives. Aux «Parcs du 3ème Âge» à Bertrange, cinq soignants en quarantaine ont pu revenir au travail. Quatre pensionnaires en voie de guérison devraient prochainement sortir du confinement complet. À Luxembourg aussi, il y a des personnes âgées entretemps guéries du virus. «J’ai eu ce mardi la nouvelle que trois personnes âgées, testées positives et en quarantaine pendant 14 jours, ne présentaient plus de symptômes et avaient maintenant été testées négatives», indique la ministre de la famille, Corinne Cahen. Elle assure qu’il y a d’autres cas, sans avancer de chiffres concrets. Au moins deux des cinq établissements fortement atteints confirment avoir des patients guéris.

Un isolement relatif

Dès les alertes sur l’arrivée du Covid-19 sur le territoire luxembourgeois (29 février), l’impératif a été le même pour tous les gestionnaires de maisons de retraite: éviter à tout prix que le Covid-19 entre dans leur établissement. Au plus tard le 13 mars, les établissements ont tous interdit les visites de l’extérieur, y compris pour les familles. Nos informations montrent que plusieurs établissements, dont celui de Bertrange, ont pris des mesures plus tôt.

On ne peut pas enfermer une personne démente qui a un besoin de bouger en permanence» Corinne Cahen, ministre de tutelle

Les facteurs de risque, de l’avis général des responsables avec lesquels nous nous sommes entretenus, se situent à plusieurs niveaux. L’une des portes d’entrée du coronavirus dans les établissements se situe au niveau des soins que certains pensionnaires doivent faire régulièrement en milieu hospitalier, notamment les dialyses. Conformément aux recommandations du ministère de la Santé, les établissements ont rapidement réduit les sorties hospitalières au minimum vital. Pour les patients qui doivent sortir, la mise en quarantaine au retour dépend de chaque établissement. D’après nos différents entretiens, la durée varie de 7 à 14 jours.

Les recommandations officielles du ministère de la Santé à ce sujet ne sont intervenues que le 21 mars, soit trois semaines après le premier cas de Covid-19 déclaré au Luxembourg et hospitalisé au CHL.

A défaut de recommandations, certains établissements ont pris des mesures de précaution avant d’autres. «Toute personne qui revenait de l’hôpital a systématiquement été mise en quarantaine préventive depuis fin février», indique Nathalie Hanck, porte-parole de Servior qui accueille environ 1.600 pensionnaires dans 15 structures d’hébergement.

Des contacts à risque

Un autre point d’entrée du coronavirus vient de personnes ayant été en contact, avant le 13 mars, avec des visiteurs dont certains, nous dit-on de source officielle, revenaient de zones alors classées à risque. Ils continuaient pourtant à aller voir leurs proches âgés.

Si certains responsables de structures d’hébergement indiquent avoir interrogé leurs visiteurs sur leurs voyages récents avant tout contact avec leurs pensionnaires, il n’y avait pas de recommendation officielle avant le 12 mars. Ce jour-là coïncide avec la date à laquelle la première retransmission locale du virus a pu être retracée au Luxembourg. A travers le pays, on comptait alors dix-neuf cas positifs.

Le personnel peut, lui aussi, être porteur du virus sans même le savoir puisqu’il y a des formes de contamination asymptomatiques. «C’est un facteur de stress pour le personnel. Mais ce sont des professionnels, ils ont les gestes sûrs», indique Patricia Helbach, directrice des Hospices civils de Pfaffenthal et de Hamm, à Luxembourg.

Certains responsables forçaient leur personnel à se présenter à l’appel alors que certains avaient des symptômes de Covid-19.“Pitt Bach, OGBL

Dans un secteur où le personnel frontalier est majoritaire, le stress est particulièrement important chez les soignants originaires du Grand Est en France et de Rhénanie-Palatinat côté allemand. Ces deux régions ont été frappées très tôt par le Covid-19. La ministre de la Santé, Paulette Lenert (LSAP) a mis, dès le 13 mars, 2.000 chambres d’hôtel à disposition des professionnels de santé frontaliers. L’idée était de garantir leur présence sur le territoire luxembourgeois en cas de fermeture des frontières.

Certains auront aussi choisi cette mesure pour protéger leurs familles et les personnes vulnérables avec lesquelles ils travaillent. D’après les informations de REPORTER, 484 personnes en ont profité en près de quatre semaines. Selon les données nationales du Directeur de la Santé du 7 avril, aucun décès de soignant n’était à déplorer jusque-là.

Certains établissements ont anticipé très tôt que le risque d’infection pouvait venir de l’hôpital et ont pris des mesures adéquates. (Photo: Mike Zenari)

Un autre facteur de risque se situe au niveau de la propagation du virus entre les patients, surtout entre les patients atteints de démence. D’après nos informations, le premier patient positif était un patient dément chez au moins quatre des cinq établissements qui connaissent aujourd’hui plus de 10 cas. «Là où il y des cas positifs, c’est souvent dans des groupes de personnes démentes qui se sont mutuellement contaminées», indique Corinne Cahen.

Ces personnes n’ont pas les réflexes de protection recommandés. Un problème quasi insoluble: «on ne peut pas enfermer une personne démente qui a un besoin de bouger en permanence dans une chambre de 25 mètres carrés», explique Corinne Cahen. Les responsables des établissements cités plus haut ont assuré que les patients testés positifs étaient désormais en quarantaine, souvent en petits groupes.

Un cadre qui a tardé

Après les premières recommandations officielles du ministère de la Santé le 21 mars, le directeur de la Santé Jean-Claude Schmit s’est vu contraint de recadrer les procédures à mettre en place au sein des établissements. L’ordonnance du 30 mars est un rappel à l’ordre pour certains. Une clarification attendue pour d’autres, dans un contexte totalement inédit. «Il faut que les établissements appliquent tous les mêmes règles», explique Jean-Claude Schmit à REPORTER.

Le texte reprend les points essentiels des recommandations du ministère de la Santé communiquées aux professionnels le 21 mars. Mais cette fois, les autorités imposent davantage de transparence sur les procédures mises en place, le nombre de pensionnaires et soignants contaminés, ainsi que celui des décès en lien avec le Covid-19. Une formation spécifique est mise en place pour le personnel qui doit travailler dans des conditions radicalement différentes de la normalité.

Désormais, la direction de la Santé peut suivre au jour le jour la courbe de progression de la pandémie dans les maisons de retraite.

Avant les recommandations officielles du 21 mars, la question du port des masques est restée dans le flou. Pour Céline Conter, qui représente les délégués LCGB du personnel de soins dans une dizaine d’établissements, «les recommandations écrites du ministère de la Santé sur le port des masques sont intervenues bien trop tard». Certaines maisons ont commencé à mettre en place leurs propres règles et mesures de protection en attendant d’avoir des lignes de conduite du ministère. De quoi susciter des angoisses chez certains soignants. «Le personnel avait l’impression que le ministère ne reconnaissait ni l’urgence ni la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait», indique-t-elle.

L’OGBL rapporte que «certains responsables des maisons de soins ont très vite eu les bons réflexes et ont pris des précautions bien avant les recommandations officielles du ministère de la Santé». Le délégué Pitt Bach déplore que ce n’était malheureusement pas le cas partout. «Il y a aussi des responsables qui forçaient leur personnel à se présenter à l’appel alors que certains avaient des symptômes de Covid-19 et proposaient de rester à la maison», affirme-t-il.

Des tests soumis au libre arbitre

Le nombre de tests pratiqués dans les établissements prouve également une gestion différente selon l’établissement. Ni les recommandations officielles du 21 mars, ni l’ordonnance du 30 mars n’obligent encore les maisons de retraite à faire un test sur une personne âgée qui présente des symptômes suspects d’infection au coronavirus (toux, fièvre ou problèmes respiratoires). «Cela relève de la compétence du médecin traitant de l’établissement, qui est libre d’évaluer si cela est justifié ou non», précise le directeur de la Santé Jean-Claude Schmit. Un élément qui va à l’encontre du Leitmotif «testen, testen, testen» du gouvernement.

La plupart des établissements travaillent avec un groupe de médecins libéraux désormais coordonnés par un médecin référent pour limiter les interventions. (Photo: Mike Zenari)

Aux Parcs du 3ème Âge de Bertrange, les tests de personnes âgées présentant des symptômes suspects dès le 9 mars ont été effectués le 12 mars. À la Fondation Pescatore – qui accueille 320 pensionnaires et emploie 300 personnes – le directeur Patrick Vandenbosch indique que les tests ont été pratiqués systématiquement, dès le départ et au premier symptôme, aussi bien chez les pensionnaires que chez les soignants. Mercredi (8 avril), il y avait quatre pensionnaires et 4 soignants testés positifs à la Fondation Pescatore. La maison de retraite ne déplorait alors aucun décès.

Jusqu’à l’ordonnance du 30 mars, les tests du personnel n’étaient pas non plus obligatoires. Les soignants présentant des symptômes devaient néanmoins rester chez eux et contacter leur médecin traitant. Le directeur d’une maison de soins nous disait même ne pas être au courant du nombre de soignants véritablement absents pour cas avéré de Covid-19.

Des armes insuffisantes

Dans un contexte de pénurie de masques FFP2 et chirurgicaux dans le pays, la priorité a été donnée par le gouvernement au personnel hospitalier. Or les stocks des maisons de retraite et de soins n’étaient pas prévus pour faire face à une crise telle que celle du Covid-19. Chaque établissement a dû gérer son stock avec les moyens du bord, en faisant aussi appel aux réseaux de solidarité. «C’était notre plus grande crainte au début. On a été juste en masques chirurgicaux jusqu’à la fin mars», confie Patricia Helbach des Hospices civils de la ville de Luxembourg.

Depuis, tous les établissements qui en ont fait la demande ont eu accès au stock national de masques de protection. C’est ce que nous indique la Copas. Elle dispose désormais des informations sur les stocks restants dans toutes les maisons de soin. Celles-ci sont actualisées quotidiennement dans le but d’identifier à l’avance d’éventuelles pénuries.

La crise ne fait que commencer et il y aura des séquelles pendant plusieurs mois.“Carine Federspiel, ZithaSenior et Copas

Les représentants du personnel notent cependant de grandes disparités dans la gestion du matériel de protection dans différentes maisons. «Dans certains établissements, le personnel change de masque tous les jours. Dans d’autres établissements, il y a un roulement de masques et une réutilisation», explique Pitt Bach de l’OBGL. Les directives du ministère de la Santé prévoient explicitement que les masques chirurgicaux «peuvent être portés pendant 8h. Après, ils doivent être remplacés par un nouveau masque». Il n’y avait, à la clôture de cet article, pas de précisions dans les guidelines écrites quant au renouvellement des masques FFP2.

Le plus grand établissement du pays, la Fondation Pescatore, a demandé à son personnel de travailler avec trois masques numérotés FFP2 à utiliser successivement un jour sur trois. Cette procédure pour les masques FFP2 s’appliquait aussi dans les quatre résidences Seniors de petite taille gérées par la société Päiperléck en date du 2 avril. C’est ce que nous ont confirmés les gestionnaires lors de notre entretien la semaine dernière.

Il aura fallu environ un mois après l’entrée du virus sur le territoire pour que les maisons de retraite soient mieux armées pour y faire face. Mais le défi reste encore immense pour en venir à bout. «Le nombre de cas positifs va continuer à grimper. Le risque zéro n’existe pas», concède Nathalie Hanck de Servior.


Sur la même thématique: