Dans la lutte contre le Covid-19, la priorité a-t-elle été donnée aux structures hospitalières alors que la cible la plus fragile se trouvait dans les maisons de soins? Le directeur de la Santé, le Dr Jean-Claude Schmit, s’en défend. Il apporte un éclairage sur les mesures mises en place, mais aussi les limites de ce qu’il peut faire. Interview.
Interview : Marie-Laure Rolland
Docteur Schmit, les familles qui ont des parents dans les maisons de retraite et de soins s’inquiètent. Les informations officielles sur leur exposition au Covid-19 ne sont pas disponibles sur le site du ministère de la Santé. N’y a-t-il pas un droit à l’information pour éclairer des personnes qui pourraient peut-être encore reprendre un parent chez-eux?
Dr Jean-Claude Schmit: Les directeurs des établissements sont en contact avec les familles et donnent des réponses si on leur pose la question.
D’après nos informations, il y a actuellement une centaine de personnes testées positives et plus de dix personnes décédées du coronavirus. Malgré la fermeture des établissements, les proches sont-ils autorisés à voir leur parent avant sa mort?
C’est laissé à la discrétion du directeur de chaque institution. Donc oui, c’est possible.
Fait-on beaucoup de transferts à l’hôpital pour tenter de sauver les personnes contaminées?
La plupart des personnes âgées contaminées par le Covid-19 décèdent dans les maisons de soin. Vu leur âge et leur comorbidité, un transfert à l’hôpital ne serait de toutes façons pas envisagé en dehors de l’épidémie au coronavirus. En revanche, si un patient doit être hospitalisé, il peut l’être.
Les maisons de soins du Sud du pays sont plus touchées. Pourquoi ?
La densité de population y est plus élevée qu’au Nord. Donc c’est logique.
Certains établissements sont plus impactés que d’autres. Pourquoi et quels sont les principaux facteurs de risques de contamination que vous avez identifiés?
Si on veut limiter la propagation d’un virus dans une population, il faut l’identifier très tôt. Il faut avoir un haut niveau de suspicion dès le premier cas de personne contaminée pour pouvoir l’isoler le plus rapidement possible. Au début de la crise, la prise de conscience de ce risque était moins prononcée que maintenant. Désormais, on voit les chiffres des autres pays, ce qui se passe en Italie ou en France. On sait que des maisons de soin ont été fortement impactées dans ces pays-là. Donc je pense que l’on arrivera mieux à limiter les infections maintenant qu’au début de l’épidémie.
Vous étiez le 16 mars aux «Parcs du 3ème Âge» de Bertrange. Est-ce le premier endroit où vous êtes intervenu?
C’est effectivement le premier établissement qui nous a posé problème. Il y a eu des interactions avec la direction d’un côté, mais aussi le médecin en charge de cet établissement, puis avec le personnel.
La situation y est-elle sous contrôle?
Elle est sous contrôle. Dans les autres maisons aussi, je le pense. Cela ne veut pas dire qu’il n’y aura pas l’un ou l’autre nouveau cas, ou que l’un ou l’autre patient infecté ne développera pas des complications. L’important c’est d’éviter des transmissions d’infection dans les maisons, de protéger le personnel et les personnes vulnérables.
Les établissements sont-ils à armes égales pour affronter la pandémie?
Il y a des maisons très différentes par leur taille, leur organisation, la structure qui les gère. Ce n’est pas un secteur homogène.
On a vu récemment dans la presse des photos prises où le personnel soignant porte un masque chirurgical, mais pas les pensionnaires. Pourquoi?
Il faut bien comprendre ce qu’est un masque chirurgical. On ne se protège pas soi-même avec cela. En revanche, le masque protège les autres, si on est infecté. En cas de toux ou d’éternuement, le virus reste coincé dans le masque. Il n’atteint pas les autres. Donc c’est important que ce soit le personnel, qui vient de l’extérieur, qui le porte. La personne vulnérable, elle-même, n’a pas de bénéfice direct du masque.
Mais si son voisin de table est asymptomatique et qu’il ne porte pas de masque?
Donner des masques systématiquement à toutes les personnes dans les maisons de soin est très difficile. Les masques qui protègent contre l’infection sont des masques FFP2. Or ils sont très difficiles à porter de façon prolongée. Le personnel soignant le met, au moment des soins aux personnes âgées infectées, pendant 20 à 30 minutes. Et puis il l’enlève. On ne peut pas le porter toute la journée. C’est insupportable ce type de masque! Les pensionnaires de leur côté ne le supporteraient pas. Sans compter que beaucoup de personnes qui vivent en maisons de soin ont des formes de démence. Elles ne sont pas collaboratives pour porter un masque, même chirurgical. Ce n’est tout simplement pas faisable.
Les personnes âgées autonomes ne seraient-elles pas prêtes à porter un masque chirurgical, pour se protéger toutes mutuellement?
Les personnes âgées sont des personnes vulnérables. Si elles sont infectées, elles ont des symptômes et sont immédiatement isolées. Si elles n’en ont pas, on peut estimer qu’elles ne sont pas infectées.
Les établissements sont-ils logés à même enseigne pour les tests?
Concernant les tests, ils n’en ont pas en stock. C’est un laboratoire privé qui vient faire les prélèvements sur place. Donc la question est surtout organisationnelle, en consultation avec l’inspection sanitaire et le Laboratoire National de Santé.
D’après nos informations, la pratique des tests varie selon les établissements. Pourquoi?
Ce n’est ni la ministre de la Santé, ni le directeur de la Santé qui décide quand un patient doit recevoir un test biologique. C’est le médecin en charge de la structure qui estime si son patient en a besoin. Il n’y a pas de différence entre ce qui se passe dans les maisons de soins et ce qui se passe dans les cabinets médicaux. Ce n’est pas moi qui vais vérifier dans les maisons de soins si le médecin applique cette règle. Je ne contrôle pas les symptômes des patients. Je fixe les directives générales. Les médecins devraient les appliquer.
Y a-t-il eu assez de tests mis à disposition pour les personnes âgées?
Dès le mois de février, il y avait des tests dans le pays. Le Laboratoire National de Santé a été très rapide à les mettre à disposition au Luxembourg. Tout médecin était habilité à le prescrire, avant nos recommandations officielles du 21 mars ou l’ordonnance du 30 mars.
Va-t-on faire des tests systématiques de toutes les personnes âgées dans les maisons de soins, comme c’est envisagé dans certains pays?
Pour l’instant, on fait des tests ciblés de toute personne qui a des symptômes. Aussi bien les pensionnaires que le personnel. Il y a des réflexions en cours, compte-tenu du fait qu’il pourrait y avoir des personnes asymptomatiques qui pourraient transmettre le virus. Mais il n’y a pas de décision de le faire systématiquement pour l’instant.
Une partie du personnel est inquiète. Vous le comprenez?
C’est une maladie qui est inconnue. On se pose des questions sur le risque personnel d’être infecté, de ramener le virus à la maison. C’est quelque chose que le personnel des maisons de retraite et de soins a moins l’habitude de gérer que celui des hôpitaux. C’est la raison pour laquelle le volet de la formation, ou de rappel de la formation, que nous avons mis en place, est très important. Nous venons régulièrement dans les établissements pour cela. Il y a aussi du e-learning vidéo qui montre par exemple comment mettre correctement un masque. Au-delà de la théorie, on a prévu des formations pratiques. Il faut savoir faire un geste précisément. Nous travaillons très étroitement à ce sujet avec le ministère de la Famille, qui est responsable du secteur des maisons de retraite et de soins.
Il faut comprendre que les maisons de soins ne sont pas des institutions sanitaires. Ce sont des lieux de vie.“Jean-Claude Schmit
Depuis l’ordonnance du 30 mars, vous comptabilisez le nombre de personnel soignant testé positif. Est-il fortement impacté par rapport au reste de la population?
Nous avons des cas isolés d’infection, comme à l’hôpital. Ces gens sont tout de suite écartés du travail. Le nombre global n’est pas très important car ces gens prennent des précautions dans leur travail, comme le port du masque. Il n’y a à ma connaissance aucun décès de personnel soignant au Luxembourg.*
Les premières recommandations officielles de la direction de la Santé dans la lutte contre le Covid-19 sont intervenues le 21 mars. L’ordonnance du 30 mars a ensuite considérablement renforcé le dispositif de sécurité. N’a-t-elle pas été prise trop tard?
L’ordonnance est venue compléter les mesures déjà mises en place. Elle a eu pour but que celles-ci soient appliquées de manière systématique en mettant un cadre plus clair dans la cinquantaine de maisons de soins du pays. Il faut que les établissements appliquent les mêmes règles. Mais il faut aussi comprendre que ce ne sont pas des institutions sanitaires. Ce sont des lieux de vie.
On ne peut pas porter un masque FFP2 toute la journée. C’est insupportable.“Jean-Claude Schmit
La priorité n’a-t-elle pas été donnée aux structures hospitalières et aux Centres de Soins Avancés, alors que la cible la plus fragile se trouvait dans les Maisons de soins?
Dans les maisons de soins, l’organisation est différente. Ce ne sont pas des structures médicales de santé. On n’a pas à réorganiser des choses. Ce que l’on a fait progressivement, c’est mieux coordonner les soins médicaux apportés aux personnes, avec la nomination d’un médecin coordinateur par structure, pour limiter les contacts avec l’extérieur. On a aussi interdit le 12 mars les visites des familles ou amis.
Quand avez-vous démarré vos inspections dans les maisons de soins?
Les contacts ont été pris assez tôt, dès qu’il y a eu des cas cumulés dans les établissements. Il y a eu des appels au téléphone, mais aussi des visites sur les lieux avec un programme de rappel des procédures à mettre en place, comme l’isolement, ou des rappels de formation.
Combien de temps la transformation des structures d’hébergement pour lutter contre le Covid-19 est-elle tenable, pour les pensionnaires et pour le personnel ?
La situation est très difficile à cause de l’isolement. Pour tout le monde, cela peut déboucher sur des problèmes psychologiques. Mais il y a des aspects de santé mentale qui touchent particulièrement les personnes âgées avec des troubles mentaux. Elles ne comprennent pas nécessairement ce qui se passe. C’est pourquoi nous insistons sur la nécessité de maintenir le lien avec les familles, à travers le téléphone ou les vidéo-call.
*L’interview a été menée en date du 8 avril 2020.
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