Le tribunal administratif a annulé le refus du ministère de l’Economie d’allouer le chômage partiel à des avocats affectés par la pandémie. Selon les juges, le gouvernement n’a pas expliqué pourquoi la loi exclut les professions libérales. Le dossier est renvoyé à Franz Fayot.

Le 26 juin 2020, peu après la sortie de confinement, le petit cabinet d’avocats «Christmann&Schmitt» a demandé et obtenu pour le mois suivant l’octroi de chômage partiel, sur la base des mesures de soutien public à l’économie pour affronter la crise du Covid-19. Se disant fortement impactée par la pandémie qui avait paralysé l’économie et fermé les tribunaux, l’étude a renouvelé le 10 juillet sa demande pour faire valoir ses droits au cours du mois d’août. Toutefois, à leur surprise, les avocats ont essuyé un refus du ministère de l’Economie. Le Comité de conjoncture, organe chargé d’aviser les demandes de chômage partiel, avait rendu, à la suite de sa réunion le 28 juillet, un avis négatif que le ministre a suivi à la lettre.

En juillet 2020, 3.361 demandes avaient été soumises à ce comité et 199 avaient été déclarées non éligibles. Quelques dossiers refusés venaient des branches d’activité qui avaient été épargnées par la crise, comme le secteur financier et les assurances (six demandes non éligibles). 20 demandes émanant de clubs de sport avaient également été avisées négativement.

Sur les 199 demandes non éligibles, 173 émanaient des professions médicales et paramédicales, des professions libérales (avocats, juristes, notaires, comptables et fiduciaires) et des agences immobilières et des promoteurs. Le comité de conjoncture ne fait pas le détail parmi ces trois catégories. «La branche économique dont relève votre entreprise n’a pas été retenue par le Conseil de Gouvernement», écrit le 29 juillet 2020 le ministre de l’Economie à l’appui de son refus.

Contre le «pouvoir arbitraire»

Le ministre Franz Fayot (LSAP) avait joint à sa lettre l’extrait du procès verbal du Comité de conjoncture. Pour autant, aucune mention explicite n’était faite dans le document sur le nouveau régime de chômage partiel mis en place après le 23 juin 2020, date de la fin de l’état de crise généralisée pour toute l’économie luxembourgeoise. Les partenaires sociaux s’étaient alors mis d’accord dans le cadre du plan de relance économique sur de nouvelles modalités applicables au chômage partiel, à compter du 1er juillet 2020 et jusqu’au 31 décembre de la même année.

La fermeture des tribunaux et le gel de l’activité économique avaient eu des répercussions sur le chiffre d’affaires du cabinet, qui a travaillé au ralenti le 2e et 3e trimestre 2020.

Face au revirement inattendu de la position des autorités, le 28 octobre 2020, veille du délai de recours, la société «Christmann&Schmitt» avait saisi le tribunal administratif d’un recours en annulation. A l’appui de son argumentaire, l’avocat de l’étude s’interrogeait sur les critères ayant permis au Comité de conjoncture de décider qu’une entreprise était ou non touchée par la crise sanitaire. «La société (…) compte tenu du fait que sa demande de chômage partiel pour le mois de juillet 2020 aurait été acceptée par le ministre, n’a pas compris pour quels motifs celle concernant le mois d’août aurait été rejetée, alors qu’elle se serait trouvée exactement dans la même situation que le mois précédent», résument les juges administratifs dans leur décision du 10 février dernier.

«Les entreprises seraient soumises à un pouvoir arbitraire du Comité de conjoncture, qui déciderait en dehors de tous critères légaux et dans l’opacité la plus totale quelle entreprise serait touchée par la crise sanitaire et quelle autre ne le serait pas», faisait valoir le défenseur de la société.

Outre l’absence de base légale mentionnée dans la décision du 29 juillet, un autre reproche portait sur le défaut de motivation du refus. Or, la réglementation donne droit à toute personne concernée par une décision administrative susceptible de lui être préjudiciable, d’obtenir communication des éléments d’information sur lesquels l’administration fonde ses décisions.

«Épaules larges» des libéraux

De son côté, la partie gouvernementale considérait qu’une motivation sommaire était suffisante dans ce dossier, l’administration n’étant pas obligée de communiquer spontanément aux administrés les éléments d’information à la base de ses décisions. Il appartient aux administrés de prendre l’initiative. Les juges administratifs n’ont rien trouvé à redire à ce sujet, estimant que les droits de la défense sur ce point n’avaient pas été lésés.

Dans le cadre de la procédure administrative, le représentant de l’Etat soutenait que l’entreprise ne relevait pas d’un «secteur qualifié de vulnérable qui resterait fortement impacté par la crise du Covid» et éligible directement au bénéfice du chômage partiel. Seuls les secteurs les plus touchés avaient directement droit, dans le nouveau régime, aux «largesses» de la main publique, notamment les entreprises de l’hôtellerie et restauration. Le cabinet pouvait toutefois prétendre, à défaut des aides directes, à d’autres mesures de soutien étatiques, mais pour une partie de son personnel et sous condition de présenter un plan de redressement et de ne pas procéder à des licenciements. «L’admission au chômage partiel devrait rester exceptionnel», a fait valoir la partie gouvernementale dans la procédure. Or, précisa encore son représentant, «la société Christmann&Schmitt n’établirait ni une baisse de son chiffre d’affaires qu’elle ne pourrait pas surmonter par ses propres moyens, ni un cas de force majeure qui lui serait propre, ni la nécessité de mettre en place un plan de redressement ou de maintien dans l’emploi pour y faire face».

L’Etat se défendit par ailleurs d’un revirement d’attitude en l’intervalle d’un mois, entre juin, où le chômage fut accordé et juillet, où il fut refusé. «La société (…) voudrait que la collectivité prenne en charge en période estivale les congés habituels du cabinet», avait avancé en substance son représentant. Ces propos rappellent ceux tenus à l’époque par le vice-président du gouvernement, Dan Kersch (LSAP), sur les «épaules larges» des indépendants et professions libérales qui pouvaient se passer du soutien public et des mesures de chômage partiel. Les vues de Dan Kersch sur les avocats et autres professions libérales décrits comme des profiteurs de crise, avaient d’ailleurs soulevé le tollé général chez les indépendants.

Défaut d’explication

Les juges administratifs ont pointé l’absence de référence explicite à une loi dans l’avis du Comité de conjoncture communiqué au cabinet d’avocats par le ministère de l’Economie. «L’avis litigieux (…) ne contient aucun renvoi à une quelconque disposition normative précise, outre le référence globale au titre 1er, livre V, du Code du travail», signale le tribunal administratif dans son jugement du 10 février dernier. L’avis ne contient aucune «explication quelconque, même succincte, quant aux raisons de fait et de droit pour lesquelles les demandes des professions libérales des avocats et juristes en général, et celle de la société Christmann&Schmitt en particulier seraient non éligibles au titre du chômage partiel et, dès lors, avisées négativement», écrivent-ils.

Le refus du ministre de l’Economie se fondant sur un «avis irrégulier (du Comité de conjoncture, ndlr), car insuffisamment motivé, encourt l’annulation pour vice de forme», ont ainsi tranché les juges sans prendre la peine d’examiner les autres arguments avancés par les deux parties en litige. 18 mois après les faits, le dossier d’octroi du chômage partiel va donc repartir au cabinet du ministre à moins d’un appel du gouvernement devant la Cour administrative.


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