Chaque année, on recense au Grand-Duché entre 15 et 20 nouveaux cas de cancers pédiatriques. Pour 80% des diagnostics, la prise en charge passe par une hospitalisation à l’étranger. Un coup de massue pour ces enfants et leurs familles, dont le quotidien s’en retrouve complètement bouleversé. Témoignage d’une mère qui réapprend à vivre.

«Lorsque votre enfant tombe malade, le monde continue de tourner autour de vous, mais le vôtre s’arrête complètement». Les mots résonnent fort dans la bouche de Sabine*, maman de la petite Marinette*, dont la vie a basculé un après-midi de juin 2019. «Il faisait beau ce jour-là. Elle était en train de courir après son frère dans le jardin et nous nous sommes rendu compte que quelque chose n’allait pas. Son bras gauche pendait le long de son corps et elle ne pouvait plus le bouger».

Les parents de Marinette s’inquiètent immédiatement, pensent à un AVC et emmènent leur fille dans l’hôpital le plus proche. Des tests sont faits et la sentence tombe : c’est un cancer du cerveau.  «A ce moment-là, tout se passe au ralenti dans ma tête. On me dit plein de choses, je les entends, mais je ne peux pas parler. Je suis en pleine sidération». La mère de famille est en train de vivre un véritable traumatisme.

Un état de sidération

«Lors de l’annonce du diagnostic nous pouvons parler d’un choc émotionnel. Même si tous les parents ne le vivent pas de la même manière, certains décrivent un état de sidération. Ils ressentent souvent une impression d’être déconnectés, de ne plus pouvoir bouger. Il arrive parfois qu’ils perdent les repères du temps et de l’espace et qu’ils ne se souviennent plus de ce qui a été dit après l’annonce», explique Yasmine Wampach, psychologue clinicienne à la Fondation Kriibskrank Kanner.

Les parents de Marinette vont malheureusement vivre ce choc une seconde fois. La petite fille âgée de 6 ans doit être transférée en pleine nuit dans un hôpital près de Nancy et c’est finalement un autre diagnostic qui est posé. «Les médecins nous disent que c’est un cancer osseux appelé Chordome du clivus, une tumeur très rare située sur l’os du crâne, qui touche une personne sur un million. En l’espace de quelques heures, le monde s’est tout simplement écroulé». Une situation vécue par de nombreuses familles en Europe où 35 000 nouveaux cas de cancers pédiatriques sont recensés chaque année. Au Luxembourg, 115 enfants ont été soignés pour un cancer l’an dernier. Nombre d’entre eux ont auparavant dû être opérés à l’étranger.

Une maison à payer

«Le cancer n’impacte pas seulement la vie de l’enfant malade, mais tout le système familial. La famille se voit confrontée à un nouveau rythme, celui des hôpitaux, des traitements, des consultations et bien d’autres. Des périodes plutôt calmes alternent avec des périodes pleines d’imprévus», précise la psychologue.

Opérée en juillet sur Paris, la petite Marinette devait revenir en Moselle, mais rien ne s’est passé comme prévu. Après qu’ils aient retiré une partie de la tumeur, un oedème s’est formé, une complication très rare, qui a provoqué une paralysie quasi totale de son corps. «Elle ne pouvait bouger que les yeux. Aujourd’hui, elle a retrouvé l’usage de son visage et de ses bras, mais ne peut ni manger, ni parler, ni respirer sans l’aide d’une machine», raconte sa maman.

Bien sûr que mon mari et moi nous nous effondrons, mais jamais au même moment.“Sabine, maman de la petite Marinette

A la fatigue morale et un profond sentiment d’injustice, s’ajoute un bouleversement complet du quotidien. Résidant en France et salariée au Luxembourg, Sabine demande à son employeur un congès exceptionnel, autorisé par l’état luxembourgeois jusqu’à 52 semaines. «La semaine j’étais avec ma fille en région parisienne et mon mari restait avec mon fils chez nous près de Metz. Le week-end, le papa et le frère me rejoignaient. On ne faisait que se croiser». Une situation tenable lorsqu’elle est temporaire, mais qui devient difficile à gérer au fil des mois.

«Je ne pensais pas qu’il était possible d’être aussi fatiguée psychologiquement. La maladie vous prend un temps très précieux et vous comprenez à quel point votre quotidien d’avant n’était que du bonheur». Leur vie change complètement, mais certaines obligations les rattrapent toujours: le papa de Marinette, qui a également posé un congès, doit reprendre le travail pour des raisons financières.

«Nous avons une maison à payer et de nombreux frais liés aux déplacements. Toute votre vie est bouleversée, mais la société exige que vous continuiez à honorer vos dettes.  L’assurance de notre voiture en leasing, qui ne convient plus au fauteuil roulant de ma fille, a même refusé un dédommagement en nous disant qu’elle couvrait seulement mon mari et moi…» Des mots difficiles à encaisser lorque le poids de la maladie prend déjà tant de place. Sabine cherche de l’aide et décide de contacter la Fondation luxembourgeoise Kriibskrank Kanner, qui s’est occupée de près de 225 familles l’an passé.

Rien ne pourra combler ce manque.“Sabine

Avec le confinement obligatoire instauré en mars, la famille décide de s’établir près de leur fille en région parisienne, près de Marinette. La Fondation les aide à trouver un appartement proche de l’hôpital et à gérer les papiers et les démarches administratives. «Ils nous soutiennent aussi beaucoup psychologiquement. Je ne les remercierais jamais assez!», tient à préciser Sabine. La crise du Covid-19 a en effet boulversé le quotidien de la famille. «Mon mari et moi nous nous relayons un jour sur deux, car seul un parent à la fois peut venir rendre visite aux enfants malades. Pas de bisous, ni de câlins autorisés… Mais je peux dire que cette crise a au moins du bon, celui de resserrer nos liens et de nous rassembler davantage autour de Marinette».

Seul et gros point négatif, l’interdiction pour le grand-frère de 10 ans de voir sa petite soeur. «Jusque là, il pouvait lui rendre visite et passer un peu de temps avec elle… Depuis le mois de mars, il a seulement pu la voir une demi heure le jour de son anniversaire. Avant que sa petite soeur ne tombe malade, c’était son compagnon de jeu et de vie. Rien ne pourra combler ce manque», explique la maman la gorge nouée.

Continuer à vivre, ou plutôt réapprendre à vivre, c’est ce que Sabine tente de faire avec son fils. Ils font des jeux de société, regardent un film, essaient de profiter au mieux, même si derrière des moments de tension ou de colère se cache toujours l’absence de la petite soeur. Avec son mari, l’un est toujours là pour donner de la force à l’autre. «Bien sûr que nous nous effondrons, mais jamais au même moment.»

Vivre au jour le jour

Dans ces moments, le noyau familial est essentiel. Sabine y inclut ses amis et son entourage familial. «Il n’y a pas un jour où je ne reçois pas un message. Certains amis sont même venus nous voir jusqu’à Paris.» Les grands-parents de Marinette sont aussi très présents, malgré l’impossibilté de venir la voir. Son papi s’est par exemple enregistré en train de lui raconter une histoire et sa mamie lui a cousu une belle cape pour mettre sur son fauteuil roulant. Une présence que Sabine juge inestimable et qui lui permet de «sortir les choses et de se confier».

Ne pas s’effondrer et tenir debout coûte que coûte, pour elle, la question ne se pose pas. Interrogés sur la quesion, les psychologues expliquent que l’effondrement survient la plupart du temps lorsque le combat contre la maladie est derrière soi, que l’on peut enfin se poser et se laisser envahir par des émotions qu’on a dû brider pendant le traitement. Pour Sabine, le moment n’est pas encore venu et la priorité est ailleurs.

Marinette doit encore rester à l’hôpital pour subir un traitement de protonthérapie, qui permet de traiter les tumeurs proches d’organes sensibles comme le cerveau. Sabine et son mari ne savent pas quand ils pourront faire revenir leur fille en Moselle.

*Les prénoms ont été changés pour garantir l’anonymat des témoignages.


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