Un oligarque cherche à récupérer 3 millions de dollars auprès de son ex-gestionnaire à la banque Rothschild. Accusé d’escroquerie, le banquier a tenté d’échapper à ses dettes et à une saisie de ses meubles par les huissiers en se cachant derrière sa mère.
Oligarque russe, ancien patron du groupe pétrolier Rosneft, Sergueï Bogdantchikov accuse son ancien gestionnaire à la Banque privée «Edmond de Rothschild Europe» de s’être servi dans ses comptes et d’avoir encaissé des commissions à son insu. A Luxembourg, il a porté plainte en 2017, notamment contre sa banque pour défaut de surveillance et contre son gestionnaire, le Luxembourgeois Carlo Thewes.
Une enquête judiciaire a été ouverte à Luxembourg dans le sillage de la plainte. L’affaire est toujours au stade de l’instruction qui avance à petits pas pour dénouer les responsabilités de chacun. La banque Rothschild a assigné à son tour son ancien cadre qui a occupé le poste de vice-président de «Edmond de Rothschild Europe» jusqu’à son départ en 2016.
64 millions de dollars évaporés
Bogdantchikov avait placé 122 millions de dollars en portefeuille à la banque Rothschild. En 2016, près de la moitié de ses avoirs ont fondu: le dernier reporting que lui a présenté son gestionnaire de fortune avant de quitter la banque fait état d’un portefeuille de 64 millions de dollars dont 22 millions de dollars investis dans des produits illiquides et près de 3 millions de dollars en cash.
Le contrat a été conclu en fraude (…). Cette vente est une tentative du saisi de faire échapper les biens aux poursuites.“Avocat de la société offshore
Le gestionnaire Carlo Thewes aurait fait des investissements spéculatifs sans avoir eu le mandat de son client russe pour le faire. C’est du moins l’allégation de son client. Le banquier est soupçonné d’avoir encaissé des commissions et des dessous de table de la part d’intermédiaires à New York. Thewes aurait ainsi utilisé la société «Finadvice Limited» dans les Îles vierges britanniques pour y placer son argent, notamment avec l’aide de complices en Suisse et aux Etats-Unis. Le nom de l’épouse d’origine russe de l’ancien gestionnaire apparaît dans l’organigramme complexe retraçant le parcours des fonds disparus et présenté dans la procédure pénale aux Etats-Unis.
Le Russe a multiplié les recours et plaintes dans plusieurs juridictions afin de récupérer ses fonds. En octobre 2020, il a saisi un tribunal de New York pour fraude et escroquerie contre son ancienne banque luxembourgeoise. Carlo Thewes est abondamment cité dans la procédure américaine.
Parallèlement à ces affaires pénales, Bogdantchikov a testé la justice civile pour le recouvrement de son argent. La récupération se fait par petite touche. En avril 2019, fort d’un jugement obtenu trois mois plus tôt au nom d’une de ses sociétés offshore «Marinoport Overseas», il envoie un huissier de justice au domicile de Thewes pour le règlement d’une dette de 2,7 millions d’euros.
L’huissier a dressé un procès-verbal de saisie-exécution des meubles et effets mobiliers qui sont stockés chez un garde meuble. Toutefois, la mère du banquier a fait opposition à la saisie, revendiquant la propriété des biens saisis. Son fils lui aurait ainsi vendu ses meubles début février 2018 pour un montant de 15.000. Un acte de vente sous seing privé a été signé. Toutefois, les meubles n’ont jamais quitté le domicile du fils, lequel a du mal à fournir aux magistrats les preuves de l’encaissement.
Insolvabilité organisée
L’affaire a été tranchée le 15 décembre 2021 en première instance. La défense de «Marinoport Overseas» a subodoré un acte de vente antidaté et soupçonné Thewes d’avoir organisé son insolvabilité. «Le contrat a été conclu en fraude (…). Cette vente est une tentative du saisi de faire échapper les biens aux poursuites», fait valoir l’avocat dans la procédure civile que Reporter.lu a pu consulter. Mais la défense n’a pas été en mesure d’apporter des éléments de preuve sur le caractère prétendument frauduleux de la manœuvre. Pour autant, le tribunal a pris en compte une série de présomptions pour pencher en faveur de Bogdantchikov.
Pour trancher le litige, les juges civils ont en effet invoqué le large pouvoir d’appréciation que leur confère le nouveau code de procédure civile (article 744) pour établir le caractère simulé de l’opération. Ils ont notamment pointé les faiblesses des explications de la mère du gestionnaire: «(Elle) reste en défaut d’expliquer pour quelle raison ces biens mobiliers achetés et payés d’après ses dires n’ont jamais été enlevés par ses soins», soulignent les magistrats. La vieille dame n’a pas non plus convaincu sur les preuves du paiement de la marchandise.
Les explications de Carlo Thewes n’ont pas davantage emporté la conviction du tribunal sur sa bonne foi. L’ex-banquier a laissé des écrits à l’huissier après la saisie domiciliaire indiquant que le mobilier appartenait pour moitié à son épouse en vertu du régime matrimonial du couple et que certains effets, comme le piano était propriété de leur fille. Aucune référence n’était alors faite de la vente de février 2018 à sa mère, ce qui a jeté le doute chez les juges sur le caractère fictif de la transaction familiale. «Il existe», écrivent-ils, «des présomptions graves qui sont de nature à convaincre le tribunal de l’existence d’un concert dolosif entre le saisi et le revendiquant».
La mère de l’ancien banquier a été déboutée. Elle a également été symboliquement condamnée à payer à la société offshore de Bogdantchikov une indemnité de 1.000 euros pour procédure abusive et vexatoire. Le jugement du 15 décembre est susceptible d’appel.
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