Le Luxembourg et l’abattage rituel, est-ce un sujet qui nous concerne ? L’enquête de Victor Weitzel sur un débat refoulé pour décider s’il faut l’autoriser ou non révèle comment le fonctionnement du politique mène vers la désignation de boucs émissaires.

D’ici l’été, le Luxembourg va se doter d’une nouvelle loi sur la protection des animaux. Ce qui aurait dû être une révision technique d’une loi vieille de 35 ans a finalement débouché sur le projet de loi 6994 qui veut « créer un nouveau cadre juridique dans le domaine de la protection de la vie et le bien-être des animaux », peut-on lire dans l’exposé des motifs. À l’origine de cette abrogation et de cette refonte complète : « les avancées scientifiques et technologiques ainsi que la position de l’animal par rapport à̀ la société́ actuelle sont à̀ l’origine de cette décision ».

Le projet de loi prévoit sous le chapitre 6 qui traite de l’abattage et de la mise à mort d’animaux que celui-ci « ne peut être effectué qu’après étourdissement ». Dans le commentaire des articles, il est écrit : « En effet, l’animal est un être sensible ressentant comme l’homme la douleur et la souffrance. C’est pour cette raison que l’homme doit prendre soin d’éviter que l’animal ne souffre trop lors de l’abattage ou de la mise à mort. Ainsi, l’étourdissement préalable à la mise à mort devra réduire au maximum la douleur et la souffrance de l’animal. »

Tout cela semble évident, sauf que cet article, par ce qu’il n’évoque qu’a contrario, exclut dans un premier temps l’abattage ou la mise à mort d’un animal sans étourdissement. Or, l’absence d’étourdissement correspond grossièrement à un aspect de la mise à mort des animaux, à l’exception des poissons, destinés à une consommation en conformité avec les lois religieuses juive et islamique. Est-ce que cela veut dire que la dhabiha, la méthode d’abattage rituel des animaux prescrite par la loi islamique, qui permet qu’une viande soit labellisée « halal » pour les musulmans croyants, et la shehita, le rite juif d’abattage qui rend les animaux (bétail, gibier et volaille) purs propres à la consommation alimentaire pour les juifs qui observent les règles de la kashrout, sont dorénavant frappés d’interdiction au Luxembourg ? La réponse n’est pas si simple.

Un peu d’histoire récente

Les deux méthodes d’abattage rituel n’ont pas bonne presse au Luxembourg. La shehita n’y est plus pratiquée depuis les années 60, quand le nombre des juifs consommant de la viande kasher ne suffisait plus pour que la pratique, dûment soumise à une règlementation, reste rentable. La viande kasher consommée au Luxembourg est depuis lors avant tout importée de France. La dhabiha n’a soulevé l’ire des associations de protection des animaux qu’à partir des années 1990, quand les guerres en ex-Yougoslavie ont entraîné l’afflux au Luxembourg de nombreux musulmans des Balkans. La loi de protection des animaux de 1983, qui sera bientôt abrogée, et un règlement de 1995 qui transposait une directive européenne, interdisaient bien l’abattage sans étourdissement, mais prévoyaient des dérogations.

En 2002, le sujet avait été virulemment thématisé par l’extrême droite au cours de la campagne présidentielle française qui avait amené le candidat du Front national Jean-Marie Le Pen au deuxième tour. Des campagnes assez violentes d’associations de protection des animaux étaient menées en Europe dans un contexte encore fortement marqué par le 9-11. Début juillet 2002, Jean-Claude Juncker surprit tout le monde au briefing du vendredi en déclarant que le gouvernement, malgré les possibles dérogations, n’allait pas autoriser l’abattage rituel, celui-ci étant incompatible avec la protection des animaux et l’interdiction de les maltraiter. Un député socialiste, Marc Zanussi, lui enjamba le pas dans le sens de la surenchère, en demandant l’interdiction de toute importation de viandes issues de l’abattage rituel, halal, kasher ou autre. Le ministre Boden dut calmer les ardeurs du député, lui rappelant que de telles interdictions d’importer étaient contraires au principe de la libre circulation au sein du marché unique.

En 2012, de nouveau dans le sillage d’une campagne présidentielle, le débat sur la viande halal surtout a repris en France. A la demande de journalistes, qui agissaient selon le vieil adage médiatique local – « och hei zu Lëtzebuerg » – le directeur de l’administration des Services vétérinaires, Félix Wildschütz, réexpliqua les règles et assura qu’aucune dérogation n’avait été accordée dans le cadre de la règlementation en vigueur.

En juin 2017, « Le Quotidien » a mené une longue interview avec le ministre de l’Agriculture, Fernand Etgen, sur les questions que traite son administration. Il y est entre autres question d’un projet de loi traitant de la dignité des animaux, l’actuel projet de refonte de la loi sur la protection des animaux. Dans cette interview la question des contrôles relatifs à l’abattage des bêtes est abordée. Fernand Etgen fait l’éloge du travail de l’administration des Services vétérinaires qui effectuent des contrôles permanents et très stricts, pour vérifier que les animaux subissent le moins de souffrance possible. Et puis, sans transition, il dit : « Enfin, je souligne que l’abattage rituel, de type halal, par exemple, est interdit au pays. » Un lapsus du ministre Etgen qui associe automatiquement par un réflexe culturel abattage rituel et souffrance de l’animal ? En tout cas une déclaration bien hasardeuse, car une telle interdiction n’existe que du fait qu’aucune dérogation n’a été accordée, et cela d’ailleurs depuis 1978.

Entretemps, l’Union européenne a essayé à sa manière de mettre un peu d’ordre dans les choses. Depuis les années 1990, avec le marché unique, elle devait à la fois garantir la sécurité des produits alimentaires et protéger le bien-être des animaux dans toute l’UE, mais elle devait aussi respecter le droit de manifester sa religion, droits fondamentaux obligent. En 1995, sa législation a essayé de concilier ces deux exigences par le biais d’une dérogation qui permet que les animaux soient abattus par égorgement et saignée sans l’étourdissement préalable normalement requis. Un nouveau règlement plus précis a ensuite été adopté en 2009 et il entré en vigueur le 1er janvier 2013. Comme il directement applicable dans tous les États membres, il est aussi en vigueur au Luxembourg, avec un peu de retard, il est vrai, à partir d’avril 2013.

Au Luxembourg, l’autorité religieuse doit donc par application de ce règlement européen demander une dérogation, et remplir certaines conditions : un abattoir agréé – il y en a deux actuellement – doit se trouver qui accepte que l’abattage rituel se fasse entre ses murs, et la personne qui le pratique doit disposer d’un certificat individuel de compétence délivré par les autorités compétentes. Le ministre de l’Agriculture décidera en fin de compte quand tous les critères auront été remplis. Bref, « il n’y a pas au Luxembourg d’interdiction de l’abattage rituel », comme l’a précisé le ministre de l’Agriculture Fernand Etgen au cours de notre entretien, revenant ainsi sur sa déclaration un peu primesautière de l’année précédente. Du moins en théorie. Car comme dans toute chose qui relève des cultures profondes en jeu dans une société, la situation est plus complexe.

Droit européen et atmosphère culturelle

C’est un fait que l’UE, malgré sa volonté de vouloir concilier la santé des consommateurs, le bien-être des animaux et la liberté religieuse, n’a pas vraiment ni pu ni voulu harmoniser les pratiques dans les Etats. Les traités mettent l’accent en la matière sur les contextes nationaux différents, de sorte que les États disposent d’une importante marge de manœuvre pour gérer les cultes, et donc également pour encadrer l’abattage rituel. Le considérant n° 18 du règlement constate ainsi qu’« il importe de maintenir la dérogation à l’exigence d’étourdissement des animaux préalablement à l’abattage, en laissant toutefois un certain degré de subsidiarité à chaque État membre ».

Or, à chaque fois qu’il est question de l’abattage rituel, dans les pays de l’UE, l’on a affaire à un conflit droits fondamentaux des personnes vs. droits des animaux. Dérogation ou pas, l’abattage sans étourdissement préalable est interdit au Danemark, en Finlande, en Grèce, en Suède, en République tchèque, dans certains Länder autrichiens, fait polémique en Pologne. En Allemagne, le parti d’extrême-droite AfD en a fait de l’interdiction de l’abattage rituel son nouveau cheval de bataille.

A la manière de Ponce-Pilate, la Commission se lave entretemps les mains quand la question est posée. Interrogée par la députée européenne française Joëlle Melin (FN), elle a répondu le 21 novembre 2016 qu’il est du ressort des « règles nationales » de prévoir que la dérogation à l’étourdissement préalable ne soit accordée « que pour répondre à un vrai besoin des communautés religieuses ». Sachant bien que les dérogations provoquent à chaque fois une sorte de « Kulturkampf » dont elle se garde de se mêler.

Le cas belge

Le cas belge est à cet égard paradigmatique, et de plus fortement scruté à partir du Luxembourg. Après une campagne brutalement spectaculaire et parfois haineuse de l’ONG de défense des animaux Gaia, le gouvernement de la région wallonne et le gouvernement de la région flamande, compétents en la matière, ont adopté en 2015 des arrêtés interdisant les abattages rituels sans étourdissement préalable dans les abattoirs temporaires mis en place à l’occasion des fêtes religieuses, en fait musulmanes.

Du côté néerlandophone, la volonté affichée, notamment par les nationalistes du NVA, d’interdire l’abattage rituel ne se limite pas aux abattoirs temporaires. Deux propositions de décret ont été déposées, en 2014 et en 2015, en vue de rendre absolue l’obligation d’étourdissement et, ce faisant, de supprimer l’exception prévue pour les abattages rituels. En juin 2016, le Conseil d’Etat belge s’est prononcé sur ces deux initiatives décrétales, jugeant qu’une interdiction absolue de l’abattage sans étourdissement contreviendrait de manière disproportionnée à la liberté de religion des fidèles concernés. En mai 2017, les législateurs wallon et flamand sont passés outre l’avis du Conseil d’Etat, ce qui n’est pas une mince affaire, de sorte qu’en Belgique, sauf pour la région bruxelloise, l’abattage rituel sera prohibé dès janvier 2019.

Dans sa réaction, le président du Consistoire central israélite de Belgique, Philippe Markiewicz, un homme habituellement d’une grande retenue, avait estimé que ce vote marquait « un moment grave dans l’histoire du judaïsme belge ». Début avril 2017, alors que ce dossier sensible défrayait déjà la chronique, il avait déclaré dans les colonnes de « La Libre Belgique » qu’il s’agissait de « la crise la plus grave depuis la Seconde Guerre mondiale ». Le non-religieux Centre communautaire laïc juif s’était lui aussi ému de l’adoption du texte et avait critiqué son effet stigmatisant. « Même si comme juif laïque on ne se soumet pas aux 613 commandements, on y voit une mesure visant à présenter injustement les juifs et les musulmans pratiquants comme des barbares », disait son communiqué.

Et au Luxembourg ?

Au Luxembourg, les choses sont, du moins en surface, moins tendues et traitées de manière plus feutrée, ce qui n’empêche pas l’abattage rituel de hanter le débat.

Dans notre entretien, le ministre Etgen a souligné que si la nouvelle loi qui fixe le cadre sur la protection des animaux ne traite pas directement de l’abattage rituel, il en est question dans le règlement européen en vigueur qui fera office de règlement d’application. Une dérogation sous certaines conditions est donc envisageable. Néanmoins, Félix Wildschütz, qui était présent, a rajouté sans être contredit : « Une communauté peut demander une autorisation, mais nous n’avons pas vraiment un préjugé favorable vis-à-vis de l’abattage rituel que nous estimons problématique (« fraglech » dans le texte) sous l’angle du bien-être de l’animal. »

Mais comme Fernand Boden dans le temps, Fernand Etgen a exclu que les importations de viande halal et kasher soient interdites, de la même manière que le Luxembourg n’a pas interdit l’importation de foie gras ou de fourrures, bien que le gavage des oies et des canards ou l’abattage d’animaux pour en utiliser la fourrure y soient interdits. Ce serait pour lui une mesure contraire aux règles du marché unique et pourrait entraîner des plaintes devant la CJUE. La même chose serait le cas, si le Luxembourg interdisait purement et simplement toute dérogation.

Une question de « culture »

Tant le rapporteur de la loi, le député libéral Gusty Graas, que la députée CSV Martine Hansen, en charge du dossier pour son parti, ont confirmé que l’abattage rituel n’a pas été un sujet abordé en commission parlementaire. Pour le rapporteur, c’est la dignité de l’animal qui se trouvait au centre des discussions. Si le projet de loi n’évoque aucune pratique dérogatoire et ne contient aucune référence au règlement européen, ce n’est ni par désintérêt, ni par oubli, mais « peut-être parce qu’on voulait éviter une discussion sur le sujet », nous a déclaré Gusty Graas. « Dans notre culture, l’étourdissement préalable est la règle. Mais des exceptions sont possibles. Et si les critères sont remplis et les autorisations préalables délivrées, mon sentiment de tolérance irait jusqu’à dire OK ! »

Le député libéral s’est référé aux nouvelles dispositions qui régissent les relations entre l’Etat et les cultes conventionnés, et s’est dit réticent à ce que les religions imposent leurs règles au reste de la société. Elles doivent au contraire se soumettre aux règles générales de la loi de l’Etat tout en gardant leur autonomie d’action. Reste que « l’expansion de l’islam, y compris chez nous, suscite des peurs dans la société, même si celles-ci ne sont pour la plupart pas justifiées. » L’opinion publique oblige donc, estime-t-il, les politiques à être prudents et à ne pas contribuer à creuser les fossés dans la société. « Cela nous pousse à nous référer à nos fondamentaux : notre culture, nos citoyens. »

Martine Hansen a de son côté estimé que la question de l’abattage rituel ne se posait pas vraiment, dans la mesure où aucun abattoir ne le pratique. Pour elle, même si des dérogations étaient demandées, elles ne seraient pas acceptées. Il faut à la fois protéger les animaux et les consommateurs, ces derniers étant particulièrement sensibles à la manière dont les animaux sont abattus. Pratiquant un amalgame paradoxal, elle a invoqué un reportage récent à la télévision montrant l’abattage dans un abattoir luxembourgeois de cochons qui vivaient encore suspendus à un crochet quand ils étaient portés vers les prochaines étapes du traitement de leur carcasse. Pour elle, ce reportage (sur un abattage ordinaire et non rituel d’animaux qui sont par définition exclus des rites de l’abattage rituel juif et islamique, n.d.a) aurait encore accentué cette sensibilité. Autoriser l’abattage rituel causerait donc de grands problèmes avec les consommateurs, comme en Belgique, dans la mesure où l’abattage ordinaire en pose déjà. Pratiquer les dérogations serait dans ce contexte « lancer un signal erroné ». Et comme aucune dérogation n’a été accordée ou ne sera accordée, l’on peut parler selon elle d’une « interdiction indirecte ». Mais, estime la députée, cette interdiction ne devrait pas poser trop de problèmes aux juifs et aux musulmans, puisque les importations de viande kasher et halal sont permises.

Malaise culturel et religieux

Le grand rabbin de Luxembourg, Alain Nacache, voit les choses autrement. Pour lui, la situation globale en matière de tolérance vis-à-vis de certaines pratiques religieuses comme l’abattage rituel ou la circoncision des garçons ne prête pas à l’optimisme, et cela fait 10 ans que nombre de responsables juifs, dont lui, tirent la sonnette d’alarme. « La situation s’est tendue en République tchèque, en Autriche, en Belgique, en Suède, et maintenant en Italie », précise-t-il.

Il y a un vrai décalage entre la manière dont on se préoccupe des animaux et si peu de l’humain. »Alain Nacache

« La communauté juive au Luxembourg n’est pas directement concernée par les interdits qui planent sur la shehita », admet-il. « Une minorité seulement de juifs consomment de la viande kasher. Comme nombre d’autres personnes, ils consomment moins de viande. Et le nombre des juifs végétariens augmente comme dans le reste de la société, explique-t-il.

Son interrogation est plus fondamentale : « Quelle est la motivation du genre de loi qui nous questionne ? Qui parle dans la sphère politique du bien-être animal ? Où est là la cohérence politique ? La situation est précaire. Les traités européens ne parlent que de libéralisation, de flexibilité, de marchés. On veut de plus en plus d’échanges. L’hyperproduction consume l’être humain. La dimension humaine est presque absente du projet européen. Mais le sort de l’animal préoccupe grandement. Il y a presque deux poids et deux mesures. » Pour lui, « il y a un vrai décalage entre la manière dont on se préoccupe des animaux et si peu de l’humain. » Et puis : « Que devient dans tout ça l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui garantit la liberté de pensée, de conscience et de religion ? En tout cas, vis-à-vis de pratiques religieuses comme la shehita, et d’autres encore, on voit se développer une grille de lecture inquiétante. »

Pour le rabbin, les sociétés européennes se trouvent « sur une pente glissante, dans une démarche intellectuelle incohérente qui en dit long sur nos sociétés. La sphère politique ne veut plus voir le fait religieux, ou bien elle l’ignore. Elle se berce dans l’illusion que si l’économie va bien, les personnes vont bien. C’est une très grande bêtise de croire cela. »

« Je ne suis pas surpris, même si je suis choqué », déclare le grand rabbin Nacache sur le tour que les choses ont prises avec la loi sur la protection des animaux. « Selon la nouvelle convention que nous avons signée avec l’Etat, j’estime que nous aurions dû être consultés dans le cadre du Conseil des cultes conventionnés, car les règles sur l’abattage rituel sont un domaine qui nous concerne directement. S’il n’y a pas eu de remous, c’est que peu parmi nous sont concernés au premier chef. »

La Shoura, l’assemblée de la Communauté musulmane du Grand-Duché de Luxembourg qui représente les communautés musulmanes établies sur le territoire du Luxembourg, nous a fait parvenir le 18 avril 2018 un commentaire sur la manière dont le projet de loi traite l’abattage rituel. Comme le grand rabbin Nacache, elle place le problème dans un contexte politique et culturel qui tend selon elle vers une « restriction des libertés personnelles (…) souvent liées à l’expression des convictions et sentiments religieux. » Ce contexte « cause au sein de la communauté musulmane luxembourgeoise la crainte qu’il s’agisse d’une posture antireligieuse qui se montre très intolérante envers toute forme de pratique cultuelle. » Elle cite à titre de témoin le grand rabbin de Belgique, Albert Guigui, qui avait en 2013 exprimé son « impression qu’on cherche par tous les moyens à rendre la vie des minorités religieuses, juives ou musulmanes, extrêmement difficile ».

Comme le grand rabbin de Luxembourg, la Shoura regrette qu’il n’y ait pas eu de consultations préalables ni par le gouvernement ni par la Chambre. L’organe représentatif des musulmans au Luxembourg, souligne aussi que « toute mise à mort d’un animal est violente et douloureuse, indépendamment de la méthode utilisée », donc avec ou sans étourdissement. Elle souscrit à la partie de l’article 9 du projet de loi qui dit que « lors de la mise à mort d’un animal, toute douleur, détresse ou souffrance inutile doit être évitée », précisant que la loi islamique tout comme la loi juive, protègent le bien-être des animaux et interdisent tout cruauté ou violence non nécessaire. Finalement, elle plaide pour une référence plus claire aux possibles dérogations.

Kulturkampf ou pas Kulturkampf

Au point où on en est arrivé dans le cadre de la procédure législative, il y a peu de chances que le gouvernement et les groupes politiques à la Chambre, consensuels sur la question, écoutent encore les voix juives et musulmanes qu’ils ont sciemment ignorées par prudence face à l’opinion publique, par refoulement du fait religieux, par peur des réactions virulentes des associations de défense des animaux et d’un débat qui peut très vite, et en pleine campagne électorale, se transformer en « Kulturkampf ».

Mais si cela est vrai, pourquoi alors les députés libéraux Gusty Graas et Edy Mertens poussent-ils dans une question parlementaire du 22 mars 2018 leurs premiers pions sur le damier en direction d’une interdiction de la circoncision des garçons à but non médical. Comme une telle intervention se fait souvent pour des raisons religieuses, une interdiction frapperait donc de nouveau avant tout les juifs et les musulmans, et cette fois-ci au cœur de leurs pratiques religieuses. Serait-ce cela la « pente glissante » dont parlait le grand rabbin ? Y aurait-il péril silencieux, feutré et discret, mais péril réel en la demeure ? Pour Gusty Graas, la société luxembourgeoise est un « société ouverte ». Elle semble pourtant être en train, via le gouvernement et la Chambre, de fermer de nombreuses portes, et elle le fait sans s’en rendre compte et avec la bonne conscience que confère l’idée d’être en accord avec « ses » valeurs, en recourant à un mécanisme aussi vieux que « notre culture » : elle s’en prend à des boucs émissaires.