À quelques semaines du lancement de la plateforme «Arts Council», personne ne sait précisément comment celle-ci va fonctionner. Son efficacité pour mieux soutenir la carrière des artistes au Luxembourg ainsi qu’à l’étranger pose aussi question. Pourtant, tout le monde veut – ou doit – y croire.
«Il y a un moment où il faut démarrer. On va essayer d’être le plus clair, le plus à l’écoute, le plus efficace, le plus concret possible. On se confrontera à l’idéal qu’on souhaite mettre en place et on ajustera au fur et à mesure». Depuis le 1er février de cette année, Valérie Quilez coordonne, en binôme avec Diane Tobes, l’association Kultur:LX qui préfigure le futur établissement public visant à soutenir la scène artistique luxembourgeoise. Consultations avec les professionnels, recrutements, élaboration de budget: leur agenda ne désemplit pas. L’association doit être aussi opérationnelle que possible début juillet, date prévue pour le lancement de la plateforme internet Kultur:LX – Arts Council Luxembourg.
L’entretien qu’elles ont accordé à Reporter.lu le souligne: tout ne sera pas gravé dans le marbre à cette date. Et la course de fond est loin d’être finie. Cela fait pourtant cinq ans que le Premier ministre et ministre de la Culture de l’époque, Xavier Bettel, a annoncé le projet de création d’un Arts Council.
Fédérer les sceptiques
Pourquoi un tel délai? En premier lieu parce que ce projet s’inscrit dans le cadre plus large des 62 mesures du Plan du développement culturel (Kep), qui a été discuté pendant deux années par les professionnels du secteur avant d’être publié en septembre 2018.
Arrivée aux commandes du ministère de la Culture en décembre 2018, Sam Tanson a poursuivi sur cette dynamique participative. Un comité de pilotage réunissant 21 personnes, dont 15 représentants des différents secteurs artistiques, a travaillé sur le projet d’Arts Council entre avril 2019 et juillet 2020. Cela a débouché sur la création de l’association Kultur:LX, supervisée par un conseil d’administration qui compte six représentants de l’Etat et cinq représentants du secteur culturel. Les membres des jurys qui sélectionneront les futurs projets soutenus par Kultur:LX sont actuellement choisis par les fédérations professionnelles.
Cette méthode participative confère une légitimité et une certaine transparence au projet, comme l’ont souligné les députés lors du récent débat d’orientation du Kep. Elle a aussi permis de neutraliser la plupart des sceptiques de la première heure.
Pas de guichet unique
Dans son avis sur la version provisoire du Kep, présentée en juillet 2018, la Theater Federatioun notait qu’elle n’avait «jamais porté une telle revendication» de créer un organisme indépendant de type Arts Council». Elle s’inquiétait que «son envergure centralisatrice et intersectorielle paraît acquise et non négociable», au risque de «mettre en danger la pluralité artistique» dans le pays.
Les consultations au sein du comité de pilotage ont permis aux professionnels d’avoir gain de cause. Il n’y aura pas de guichet unique pour la distribution des financements. Les artistes continueront à s’adresser à différents partenaires. Cela au détriment de l’efficacité, qui était l’un des éléments à l’origine des réflexions sur la création d’un Arts Council. Dans une étude publiée en janvier 2018 pour le compte du ministère de la Culture autour d’un futur Arts Council, Luc Schadeck avait identifié sept acteurs luxembourgeois du financement d’activités culturelles, voyant dans cette constellation la «source d’une gestion sous-optimale des deniers publics».
Un périmètre élargi
Au fil des discussions, le périmètre du Arts Council a lui aussi évolué. Le but premier, lors des Assises de 2016, se limitait à soutenir et promouvoir l’exportation des artistes luxembourgeois à l’étranger. Un projet en phase avec la stratégie de Nation Branding de Xavier Bettel. L’objectif de Kultur:LX s’est progressivement élargi pour s’intéresser également à la sphère nationale, où la visibilité des artistes est encore très faible. La pandémie de Covid-19, provoquant la fermeture de nombreuses scènes culturelles hors des frontières, a souligné l’importance de mieux soigner l’implantation locale.
La convention, signée en octobre 2020 entre l’association et le ministère de la Culture, note en préambule que «KuItur:LX a pour mission de soutenir la création artistique, de promouvoir les artistes et la culture du Luxembourg et de contribuer à la professionnalisation du secteur et au développement de carrière des artistes et créatifs». Le détail des missions souligne que cela concerne aussi bien des actions sur le plan national qu’international. D’où la nomination surprise d’un binôme à la tête de l’asbl. L’ancienne chargée de mission culturelle de l’ambassade du Luxembourg à Paris, Valérie Quilez, a été choisie comme coordinatrice des affaires extérieures. Diane Tobes, qui a travaillé à Neimënster et au Luxembourg City Film Festival, est la coordinatrice des affaires intérieures.
Le risque de doublons
Et c’est là que les choses se compliquent. Car les missions de Kultur:LX recoupent en partie celles du ministère de la Culture. Elles concernent les mêmes acteurs (institutions, associations, artistes, entreprises culturelles), en actionnant le même type d’outils (subventions, bourses, résidences d’artiste).

Qui plus est, Kultur:LX va devoir se concerter avec les institutions culturelles du pays. Celles-ci jouent un rôle clé pour le développement de projets, et donc la carrière des artistes. Que l’on pense au Talent Lab et aux coproductions internationales du Grand Théâtre, au réseau de jeunes talents européens ECHO dont fait partie la Philharmonie, aux échanges de résidences nationales et internationales mises en place au Centre chorégraphique TROIS-CL, à Neimënster ou à la Kulturfabrik, aux participations aux biennales de Venise sous la houlette du Mudam, du Casino ou de la Fondation de l’architecture, ou encore aux workshops internationaux du Rocklab à la Rockhal.
Du travail de dentelle
Kultur:LX va rajouter une strate à ce dispositif. Raison pour laquelle les coordinatrices de Kultur:LX ont entamé à leur arrivée un nouveau tour de consultation des acteurs culturels. «On doit voir si on crée de nouveaux dispositifs, ou si on adapte l’existant», expliquent-elles.
Or l’existant est vaste et complexe dans un secteur multidisciplinaire. Cela soutient des démarches artistiques singulières, pas de la production de masse. Les réseaux de diffusion de la danse contemporaine ne sont pas ceux du hip hop. La scène métal croise rarement la musique baroque. Le théâtre allemand n’est pas structuré comme la scène française. C’est du travail de dentelle, faite de rencontres provoquées ou fortuites, d’affinités électives entre créateurs et diffuseurs, de coups de cœur et de coups de chance. Mettre en place des synergies au niveau de la super structure va être une gageure pour un pays de la taille du Luxembourg.
Redistribution des cartes
Le lancement de Kultur:LX s’accompagne d’une redistribution progressive des cartes au sein de six secteurs artistiques identifiés: les arts visuels, la musique, la littérature, les arts de la scène, l’architecture et design, les arts numériques et multimédias. Un responsable coiffera chaque secteur au sein du Arts Council. Les recrutements sont en cours.
Kultur:LX va intégrer progressivement cette année certaines missions du Fonds culturel national (Focuna) et du TROIS-CL. Elle a déjà absorbé Reading Luxembourg (secteur du livre et de l’édition) et Music:LX.
C’est cette structure, imaginée par des professionnels de la scène musicale, qui a en quelque sorte posé en 2009 la première pierre de l’édifice en train de se construire. Or les assises qui ont réuni la scène Rock/Pop/Electro le 6 mars 2021 à la Rockhal, ont montré que Music:LX a eu un effet certes globalement positif, mais limité. L’agence accompagne ponctuellement des artistes déjà suffisamment confirmés. A eux ensuite de se débrouiller. Elle n’a pas permis l’implantation sur le territoire des professionnels qui font défaut au Luxembourg: managers, bookers, agents artistiques… Le pays est trop petit et les moyens financiers souvent trop limités pour les attirer.
Le même constat s’observe du côté des danseurs. Si le Centre de création chorégraphique (TROIS-CL) soutient la formation, cofinance des spectacles et ouvre aux danseurs les portes de son réseau de partenaires internationaux, il n’est pas là pour organiser la diffusion de telle ou telle pièce spécifique. Raison pour laquelle beaucoup de créations sont jouées deux ou trois fois dans le pays, avant de retomber dans les oubliettes de la scène culturelle.
Transferts financiers
L’impact du Arts Council est à relativiser aussi du fait de son apport financier limité. Pour 2021, après avoir absorbé Reading Luxembourg et Music:LX, l’association dispose d’un budget de 1,35 million d’euros et d’un effectif de sept personnes. A terme, le budget atteindra 1,5 million d’euros avec 13 personnes.
La moitié du budget couvre les frais de personnel. Il ne restera qu’environ 750.000 euros pour les investissements directs. Guère plus que les 600.000 euros déjà distribués chaque année par le Focuna, absorbé par la nouvelle structure.
L’essentiel des initiatives devra donc se développer en partenariat ou synergie avec les institutions du terrain, par exemple dans l’attribution de bourses, de résidences à des artistes ou dans la communication, etc. Les institutions n’auront pas d’autre choix que de jouer le jeu, en espérant que le partenariat avec Kultur:LX ne s’accompagnera pas, à terme, d’un transfert budgétaire. En est-il question? Les coordinatrices ne se prononcent pas sur ce point.
La balle est dans le camp de la ministre de la Culture Sam Tanson et de ses arbitrages budgétaires. Va-t-elle déshabiller Pierre pour habiller Paul? Alors que la revalorisation de la scène artistique est l’un des axes majeurs de son mandat, elle sera attendue au tournant.
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