Le conflit entre les promoteurs Flavio Becca et Eric Lux rebondit devant le tribunal judiciaire de Paris. Des soupçons pèsent sur Flavio Becca qui aurait engagé une agence de communication dans le but de saper la réputation de son ancien associé.

Le tribunal parisien spécialisé dans les délits de presse va trancher une affaire peu conventionnelle, celle de la manipulation de l’information et de campagnes de démolition de réputation orchestrées par des agences de communication.

Une ancienne employée de l’agence parisienne «Majorelle PR & Events» a été mise en examen pour avoir rédigé et publié au printemps 2020 sous pseudonyme une série d’articles destinés à ternir la réputation du promoteur luxembourgeois Eric Lux. Ce dernier a porté plainte et l’affaire s’est emballée.

«À la demande de notre client»

L’enquête judiciaire qui a suivi la plainte montre que la salariée de 27 ans aurait écrit des articles litigieux sur les ordres du gérant de l’agence, laquelle avait été recrutée en 2020 par un client nommé Flavio Becca. Seule la jeune femme a été inculpée par le juge d’instruction. Son employeur a échappé à une mise en examen. Convoqué par la police dans le cadre de l’enquête judiciaire, le gérant est soupçonné d’avoir dissimulé lors de son audition son rôle dans la campagne de dénigrement. Or, les échanges de mails produits par l’ex-employée montrent qu’il a activement participé à la rédaction des articles incriminés.

Je suis chargée de faire de la réputation numérique (…). Nous faisons cela à la demande de nos clients. Cela peut être dans un sens positif ou dans un sens négatif.“
L’ex-employée de «Majorelle Events»

Renvoyée devant le tribunal pour diffamation et injures, la jeune femme refuse d’endosser seule la responsabilité des actes délictueux qui lui sont reprochés. Lundi, son avocat Me Gael Collin a demandé au tribunal que le gérant de Majorelle soit entendu une nouvelle fois par le juge d’instruction «afin de clarifier son rôle et son implication dans cette affaire». «Chacun doit assumer les conséquences de ses actes», ajoute-t-il. «Ma cliente se retrouve seule mise en cause dans un conflit entre deux milliardaires Eric Lux et Flavio Becca», déclare encore Me Collin à Reporter.lu en marge de l’audience.

L’audience de lundi n’a pas traité l’affaire au fond, – elle ne le sera pas avant un an. Il s’agissait de savoir si à ce stade de la procédure, le dirigeant de Majorelle pouvait encore s’expliquer devant la justice et être impliqué dans le procès. Le jugement sur incident est attendu pour le 9 novembre. Le représentant du Parquet s’est opposé à cette demande. Me Ilana Soskin, l’avocate d’Eric Lux, partie civile au procès, soutient la demande au nom de la manifestation de la vérité.

Articles sous pseudonyme

Quelle que soit son issue, cette affaire met en lumière des techniques controversées d’agences spécialisées qui, sous couvert d’intervention pour protéger l’image de marque de leurs clients, orchestrent des campagnes de diffamation destinées à ruiner la réputation de leurs concurrents, au prix d’informations fabriquées de toutes pièces par des plumitifs peu scrupuleux. «Il ne s’agit pas d’une petite affaire, car elle concerne la société entière. Il faut que l’on sache comment l’information est fabriquée et comment on peut démolir quelqu’un sur la place publique», a déclaré à l’audience Me Ilana Soskin.

Entre le 11 mai et le 23 juin 2020, une série de quatre articles signés du pseudonyme «Jlanz» sont publiés sur le blog du site d’information «Mediapart» et sur le site Internet «CategoryNet». Un premier article du blog de Mediapart – ce blog ne tombe pas sous la responsabilité de l’éditeur – est intitulé «La face cachée de l’homme d’affaires Eric Lux» et un second titre «Eric Lux, un entrepreneur mystérieux».

Me Ilana Soskin (à gauche de l’image), avocate d’Eric Lux, après l’audience du procès en diffamation et injures visant une consultante en réputation numérique. (Photo: Reporter.lu)

Le troisième article, publié à la fois sur Mediapart et sur CategoryNet, évoque la controverse autour du projet immobilier «Rout Lëns» (Lentille Rouge) d’Eric Lux à Esch-sur-Alzette. L’auteure masquée prête au promoteur luxembourgeois de mauvaises fréquentations, voire une proximité avec des milieux mafieux et questionne l’origine de sa fortune. La presse luxembourgeoise est abondamment citée, notamment des articles du «Luxemburger Wort» et de «Paperjam». L’employée assure à son patron s’être montrée «neutre» pour écrire ce troisième article. Dans ses déclarations aux enquêteurs, elle dit avoir aussi écrit deux articles «positifs» sur le commanditaire Flavio Becca. Les articles ont été retirés à la demande du dirigeant de Majorelle lorsque la justice s’est emparée de l’affaire.

En août 2020, Eric Lux porte plainte. Les enquêteurs remontent la piste de l’employée de Majorelle, en charge de la réputation numérique à l’agence. Ils retrouvent l’adresse IP de l’ordinateur depuis lequel elle a envoyé les articles à Mediapart et identifient la carte Visa de l’entreprise avec laquelle elle a payé un abonnement sur le site d’informations. Entre mars et mai 2020, la jeune femme travaille depuis son domicile en raison du confinement. Officiellement, elle est déclarée par son employeur au chômage partiel, mais livre néanmoins des articles. Une anomalie que les enquêteurs ont d’ailleurs pointé du doigt dans leur dossier.

Chargée de réputation numérique

En juillet 2021, la jeune femme reçoit un avis préalable à sa mise en examen en matière de délit de diffamation et d’injures à l’’encontre de Lux. Elle écrit au gérant de Majorelle. Ce dernier minimise la portée de la convocation: «Notre avocat prend cela en main. A la fin, il n’y aura rien du tout, mais la procédure est mécanique. Tu es couverte évidemment», la rassure-t-il sur la messagerie WhatsApp. Le dirigeant lui propose les services d’un avocat commun, ce que la jeune femme accepte dans un premier temps.

Son employeur avait été préalablement convoqué le 10 mai 2021 devant la brigade de répression de la délinquance contre la personne. Il assure alors aux policiers ne pas connaître le pseudonyme de Jlanz et nie être l’auteur des articles à l’origine de la plainte d’Eric Lux.

Son employée qui est interrogée le 20 mai contredit cette version. La jeune femme passe aux aveux et détaille, pièces à l’appui, les missions qui lui ont été confiées: «Je suis chargée de faire de la réputation numérique (…) Cela consiste à publier des articles sur le moteur de recherche Google pour modifier les résultats qui apparaissent en première page et qui sont liés à une requête précise», explique-t-elle. «Nous faisons cela à la demande de nos clients. Cela peut être dans un sens positif ou dans un sens négatif», poursuit-elle.

«Dans le cas de Monsieur Eric Lux, quel était l’objectif?», lui demande le policier. «De publier des articles négatifs à la demande de notre client qui est Monsieur Flavio Becca», répond-elle en précisant que son gérant relisait et validait sa production rédactionnelle avant publication.

Un dossier pas si vide

Dans un échange WhatsApp qui est produit dans le dossier judiciaire, le dirigeant de Majorelle demande à la jeune femme de n’utiliser dans sa copie «aucun terme qui serait contestable juridiquement», de citer «systématiquement ses sources pour que cela soit incontestable» et d’ajouter «des noms régulièrement pour supposer ou interroger les relations entre EL (Eric Lux, ndlr) et d’autres personnalités contestées».

Son employeur la presse aussi d’avancer sur la rédaction des articles et de préparer des powerpoints pour présenter les plateformes de publication au client. En juin 2020, il donne son «go» pour la publication d’un article et autorise son employée à utiliser la carte de crédit de la société pour payer un abonnement Médiapart sous le pseudonyme JLanz. «Super», la félicite-t-il après la publication.

En juillet 2021, lorsque la jeune femme est convoquée par le juge d’instruction en vue de son inculpation, le gérant lui dit de ne pas s’inquiéter, car «le dossier est vide et toutes les sources (sont) publiques». «Il fait cela uniquement pour retracer vers Becca», lui écrit-il. A ce stade, Flavio Becca n’est cependant pas partie prenante dans l’affaire qui rebondit devant le tribunal judiciaire de Paris.

Il faut que l’on sache comment l’information est fabriquée et comment on peut démolir quelqu’un sur la place publique.“Me Ilana Soskin, Avocate d’Eric Lux

En novembre 2021, quelques mois après son inculpation qui lui donne accès au dossier judiciaire – et donc au procès-verbal de son patron devant les policiers – la jeune femme démissionne de l’agence et change d’avocat: «Ma cliente s’est rendu compte de l’existence de nombreuses incohérences présentes dans la déposition», souligne Me Collin. «Face aux agissements de son employeur, elle a décidé de démissionner de ses fonctions, n’étant plus en mesure de travailler pour la société Majorelle Pr & Events», poursuit-il.

La campagne de dénigrement soupçonnée contre Eric Lux est intervenue dans un contexte judiciaire chargé au Luxembourg. Le procès en première instance de Flavio Becca pour abus de biens sociaux dans l’affaire des montres, dans lequel Eric Lux était partie civile – se profilait au printemps 2020, mais les audiences durent être décalées de plusieurs mois en raison de la pandémie qui avait paralysé l’activité judiciaire.


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