Le promoteur Flavio Becca réclame un milliard d’euros à son ex-associé Eric Lux pour solder leur union dans le fonds immobilier Olos. Leur litige porte sur la clef de partage des bijoux de famille, notamment des terrains à la Cloche d’Or. Jusqu’à présent, la justice n’a pas été favorable à Becca.

Les uns après les autres, les grands promoteurs se défont de leurs fonds immobiliers spécialisés (FIS) en raison des changements de régime en 2021 qui rendront ces instruments de défiscalisation inopérants. Premier FIS à avoir vu le jour fin 2009, le fonds Olos sera probablement celui qui survivra le plus longtemps à l’introduction d’une taxe de 20% sur les plus-values.

La raison tient au litige qui oppose les dirigeants des deux groupes fondateurs qui se sont associés dans Olos avant de se déchirer: Flavio Becca de Promobe d’un côté et Eric Lux d’Ikodomos de l’autre. Les deux hommes aux positions irréconciliables s’affrontent devant les tribunaux depuis cinq ans au sujet de leur quote-part respective dans un des compartiments d’Olos, le seul ayant d’ailleurs de la consistance.

Les enjeux financiers sont considérables et portent principalement sur des terrains constructibles dans la capitale et sa périphérie. Valorisés à plus d’un milliard d’euros, les actifs, logés dans le compartiment 6 du FIS, sont au cœur d’un conflit qui n’en finit pas de rebondir en coulisse et devant la justice.

Signaux alarmants des banquiers

En décembre 2016, un administrateur judiciaire d’Olos a été nommé pour sauvegarder les intérêts du fonds immobilier et éviter que sa dislocation n’entraîne de fâcheuses conséquences pour les banques prêteuses et un effet domino sur leur solvabilité. Début 2012, l’endettement du FIS atteignait 563 millions d’euros et des recettes insuffisantes (la seule vente du siège de PWC en 2011) pour rembourser les prêts. Autorité de contrôle du Fonds, la Commission de surveillance du secteur financier (CSSF) s’était inquiétée de la situation financière jugée désastreuse et des signaux tout aussi alarmants agités par les banquiers.

Le dernier épisode judiciaire en date remonte au 9 décembre devant le tribunal de commerce. Flavio Becca y a assigné en 2019 son ancien partenaire. Le dirigeant de Promobe demande aux juges de procéder à la séparation de biens dans Olos et de trancher sur la valeur des projets immobiliers, terrains et financements que chaque camp avait mis dans le pot commun du temps de leur lune de miel. Becca demande la nomination d’un expert pour procéder à l’inventaire des apports de chacun. Il reproche à son homologue d’Ikodomos de vouloir s’enrichir à ses dépens en faisant abusivement valoir les clauses de contrats de 2010 et 2012. Ces clauses permettaient à Eric Lux de revendiquer, sous certaines conditions, 50% des actifs dans Olos. Il ne s’en est pas privé lorsque les conditions furent réunies pour en actionner les mécanismes.

Il s’agit principalement de terrains à la Cloche d’Or. Leur valeur a fait un bond considérable depuis l’urbanisation du ban de Gasperich et fait d’Olos un fonds d’investissement systémique aux actifs dépassant le milliard d’euros. Becca avait apporté l’essentiel du patrimoine foncier tandis que Lux avait assuré le financement des projets, à une époque où les banquiers menaçaient de couper les crédits du FIS et, par conséquent, d’anéantir l’urbanisation du ban de Gasperich.

Le deuxième procès de Becca

Les juges civils ont déjà rendu des arbitrages entre les deux camps. Le 26 novembre dernier, la Cour de Cassation a débouté Promobe, considérant que les conditions des contrats étaient réunies pour qu’Ikodomos fasse valoir ses prétentions sur la moitié du patrimoine d’Olos. Becca réclamait, et réclame encore, une réallocation des actifs du fonds à son avantage, en arguant que les projets immobiliers de Promobe et ses apports ont plus de valeur que ceux d’Ikodomos.

Sans l’appui financier d’Ikodomos et des banquiers, l’ensemble du projet Cloche d’Or dont Promobe revendique aujourd’hui seul la paternité, la propriété et les bénéfices, n’aurait pas vu le jour.»Un des avocats d’Eric Lux

Sur le plan du droit, Becca n’a pas épuisé toutes ses munitions. Il a donc intenté un second procès devant le tribunal commercial, espérant que les magistrats empêchent Lux de s’enrichir à ses dépens et de mettre la main sur le patrimoine d’Olos qu’il refuse de partager à parité. Les juges rendront leur décision en février 2021.

Le divorce entre les deux associés du fonds Olos s’apparente à un règlement de compte public d’un couple qui n’était pas fait pour cohabiter. D’une complexité sans pareil, le montage du fonds Olos en 2009 est l’œuvre de Romain Bontemps, expert-comptable et ex-dirigeant du cabinet Grant Thornton et de l’avocat d’affaires Pierre Delandmeter, qui a également prêté ses services à la confection des fonds d’investissement frauduleux liés à Bernard Madoff. L’escroc américain purge une peine de prison à vie pour avoir mis en place cette cavalerie financière. Delandmeter fait l’objet de sanctions de la part de la CSSF.

Premiers accrocs

Olos devait être la pièce principale d’une association entre deux familles de promoteurs qui travaillaient ensemble depuis la fin des années 1980. Leur principal projet en commun dans le fonds a porté sur le développement du nouveau quartier résidentiel et commercial. D’autres réalisations devaient suivre (à Bertrange et à Strassen notamment) si le mariage avait survécu aux premiers accrocs.

Les relations du couple se sont assombries après le rachat en 2008 à parts égales 50/50 de Kurt. La firme de construction détenait une réserve foncière importante. L’acquisition est faite au prix fort de 192,5 millions d’euros – en tenant compte d’une dette de 42,5 millions d’euros. L’opération n’avait rien d’une bonne affaire. Un expert immobilier avait évalué les actifs immobiliers, destinés à être apportés à Olos à 124,6 millions d’euros, soit 67,9 millions d’euros en-dessous du prix d’achat.

Toutefois, la brouille définitive entre les deux promoteurs est intervenue plus tard, fin 2012 après la découverte par des représentants d’Ikodomos d’opérations suspectes dans la comptabilité de Kurt. Lux accuse Becca de faire financer des dépenses privées comme l’anniversaire de sa femme, l’entretien de sa chasse en Allemagne, l’achat de fusils et de bijoux aux frais de l’entreprise de construction. Les hostilités démarrent. Le divorce est inéluctable.

Flavio Becca serait-il un bienfaiteur mal jugé par ses pairs qui aurait fait une cession gratuite de son patrimoine immobilier?»Un des avocats du camp Becca

A l’instar d’Olos, Kurt est placé sous administration judiciaire. L’entreprise subira un contrôle fiscal puis un redressement de plus d’un million d’euros sur ses bulletins d’impôts de 2009 à 2013. Redressement qu’elle a contesté en vain devant le tribunal administratif. T-Comalux, une autre entreprise de construction, mais appartenant à 100% à la famille Becca a également été rattrapée par l’Administration des contributions directes.

Paternité abusive

Le procès du 9 décembre a fourni un éclairage sur les contributions de chacun dans ce projet phare au sud de la capitale qui regroupe aujourd’hui les quartiers généraux de Deloitte, PWC et Alter Domus et accueille le centre commercial Auchan ainsi que de nombreux immeubles résidentiels. La Cloche d’Or devrait aussi voir arriver ses premiers fonctionnaires d’Etat d’ici 2022 avec l’opération controversée de location-vente de l’immeuble Darwin pour les besoins du ministère de la Santé.

Ikodomos assure avoir porté financièrement le développement de ce nouveau quartier dont Becca revendiquerait improprement la paternité. Or, le père de la Cloche d’Or et son visionnaire s’appelle Jean-Marie Kontz, lotisseur de terrains qui avait acquis via sa société JMK sàrl des terrains des deux côtés du boulevard Raiffeisen. Intégrés dans le périmètre constructible de la Ville de Luxembourg, les terrains seront progressivement rachetés au début des années 2000 par des sociétés du groupe Promobe (Grossfeld et Grossfeld 2) et Ikodomos (Wimafel et Ipsilux).

Promobe va financer ses emplettes par des emprunts bancaires auprès de la BIL et de la BGL. Ikodomos assure avoir contribué au projet par des fonds propres et avoir cautionné les prêts bancaires de son partenaire. «Sans l’appui financier d’Ikodomos et des banquiers, l’ensemble du projet Cloche d’Or dont Promobe revendique aujourd’hui seul la paternité, la propriété et les bénéfices, n’aurait pas vu le jour», a expliqué l’un de ses avocats à l’audience du 9 décembre.

Bataille de chiffres

Le camp Lux assure avoir apporté 79 millions d’euros dans le pot commun alors que la contribution de Promobe s’est limitée à 5 millions d’euros. Le camp Becca conteste ces chiffres et fait valoir au contraire une créance de 37 millions d’euros sur Ikodomos.

Un contrat de 2010, au centre de la dispute, prévoyait que chaque promoteur reprenne possession de son patrimoine et de ses bénéfices, au prorata des contributions de chacun, dès lors que l’équilibre du financement avait été atteint. Faute d’avoir retrouvé la parité de financement à l’échéance du 31.12.2012, les deux partenaires se retrouvaient à 50/50 dans Olos, quels que soient leurs apports initiaux.

Le dirigeant de Promobe a mis en cause la légitimité de cette clause, qui aurait été rajoutée à ses dépens et qui l’obligerait à partager avec son ex-partenaire la plus-value tirée du projet Cloche d’Or. Toutefois, la justice a douché ses espoirs jusqu’à présent, d’où le second procès intenté devant la juridiction commerciale. Ses avocats ont plaidé l’inéquité et les incohérences du contrat, à défaut d’avoir pu prouver son illégalité.

La défense d’Eric Lux a pour sa part contesté le caractère inéquitable et anormal du contrat litigieux. Ikodomos ayant mobilisé des fonds propres importants en soutien financier du FIS, l’obligeant à reporter voir abandonner d’autres projets privés, il est normal que Lux revendique 50% des actifs du fonds qui valent désormais de l’or, ont argumenté ses avocats.

Le mythe de la parité

Chaque camp a mobilisé un nombre impressionnant d’experts et de consultants plus ou moins indépendants, de PWC à KPMG au cabinet parisien Ricol en passant par une des sommités du droit à Luxembourg, le professeur André Prum, pour conforter leurs thèses respectives, d’enrichissement logique pour Lux qui évoque un pacte d’actionnaire avec Promobe dans Olos et Kurt et d’appauvrissement inadmissible pour Becca qui parle, lui, d’un mariage avec séparation de biens. «Il ne devait y avoir ni enrichissement, ni appauvrissement au détriment de l’autre, chacun devait retrouver son patrimoine à la fin des opérations. La parité de financement relève du mythe», a assuré l’un des avocats de Becca.

«Flavio Becca serait-il un bienfaiteur mal jugé par ses pairs qui aurait fait une cession gratuite de son patrimoine immobilier? Non, Becca ne s’est pas engagé dans Olos dans un but altruiste et n’a pas fait de donation. Il n’a pas eu la volonté de subir une perte si douloureuse», a renchéri un autre avocat du camp Becca.

La réponse tombera dans un peu plus de deux mois. Pour autant Flavio Becca n’en aura pas fini avec la justice. Le promoteur a été renvoyé devant un tribunal correctionnel dans une affaire d’abus de biens sociaux présumé. Il comparaîtra début 2021 devant les juges pour répondre de soupçons de détournement de fonds dans une quinzaine de sociétés pour avoir acheté des montres de collection. Selon les informations de Reporter.lu, l’affaire porte sur un montant proche de 18 millions d’euros pour plus de 800 montres.

Cet article a été modifié. Le jugement sera rendu en février 2021 et non pas en avril.


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