«Changeons de décor». L’ambition s’affiche clairement sur le nouveau site internet du Théâtre d’Esch, dans sa communication visuelle, dans sa programmation ou ses nouvelles offres de médiation pour le public. Un coup de fraîcheur qui va bousculer le public.

Le jour de la présentation de la programmation à la presse, deux habituées du Théâtre d’Esch profitent de la pause déjeuner pour récupérer la nouvelle brochure. «Le format a changé», lance l’une d’elle avant de tourner les pages rapidement.  La déception ne se fait pas attendre. «Nous venions depuis des années mais là il n’y a rien pour nous. C’est dommage. Le théâtre est beaucoup moins cher ici que de l’autre côté de la frontière», confie l’une des frontalières amatrice de théâtre de boulevard. Elle n’a pas retrouvé ses têtes d’affiche habituelles et n’a pas pris le temps de se pencher plus en détail sur la brochure où figure aussi, assez discrètement il est vrai, un petit pictogramme «humour»  accolé à certaines pièces.

Cette réaction contraste avec celle des professionnels réunis peu avant pour la présentation officielle. En 40 minutes et avec une dizaine de slides, Carole Lorang a abattu devant eux ses cartes. Les commentaires ont unanimement applaudi la révolution dans une institution que Charles Muller n’avait pas réussi à façonner selon sa vision, achevant les 14 ans à la tête du Théâtre d’Esch en artiste blessé. «Je ne dirais pas que c’est une rupture. C’est plutôt un changement», estime la nouvelle directrice.

De fait, si le cadre change, certaines bases restent. Comme par le passé, la programmation est pluri-disciplinaire. On pourra voir la saison prochaine à Esch du théâtre, de la danse, des spectacles musicaux ou pour jeune public, lesquels montent en puissance sans perdre en qualité.

Créer du lien et du sens

L’un des changements les plus notables découle d’une philosophie différente des liens entre l’institution et le public. Le Théâtre veut s’affirmer comme un facteur de lien social et de développement personnel, à l’instar de ce qui se fait beaucoup en France ou en Belgique notamment. Le nouveau site internet a été entièrement revu pour cela, dans une optique magazine et interactive. Le public pourra faire partie d’un comité de spectateurs qui offrira un accès privilégié aux artistes. Des ateliers «Avec vous», pour petits et grands, seront organisés en marge de certains spectacles. Les enfants en bas âge pourront être gardés pendant que les plus grands assisteront avec leurs parents à une représentation. Autre idée dont on est curieux de voir si elle fonctionnera: les personnes seules seront mises en relation avec d’autres personnes de leur voisinage pour organiser une virée commune au Théâtre.

L’inflexion vient aussi du côté des thématiques abordées. Faut-il y voir une sorte d’auto-portrait de la nouvelle directrice? La programmation 2019/2020 fait la part belle à «L’humour» pour traiter de questions sérieuses autour du «Courage » et de «L’engagement». On verra notamment «Footnotes » de Claire Thill sur le féminisme ou encore «Le courage» de Catherine Schaub – sur le courage ordinaire.

À côté des créations luxembourgeoises, on note que la directrice est allée faire son marché de nouveaux talents du côté de la Belgique, où elle a étudié. L’intérêt pour cette scène créative et pétillante est partagé par son collègue du Kinneksbond, Jérôme Konen, avec lequel elle s’est d’ailleurs associée pour le projet «Is there Life on Mars» sur l’autisme. «Nous ne ciblons pas le même public. Nous associer permet de faire jouer les synergies», observe Carole Lorang.

Afficher une identité

Le Théâtre d’Esch veut aussi se positionner comme un lieu du théâtre documentaire, genre où Carole Lorang s’est illustrée par le passé en tant que metteuse en scène. «On est une trop petite institution pour être hyper profilé. D’un autre côté, je trouve que tout le monde ne doit pas proposer partout la même chose sur la scène culturelle», estime la directrice qui pense important de «répondre aux caractéristiques démographiques de la population d’un territoire». C’est ainsi qu’elle produit par exemple un projet qui sera mis en scène par Sophie Langevin sur «Les frontalières».

Enfin, on relève une attention particulière portée à la durabilité des projets artistiques. La chorégraphe Simone Mousset, lauréate du Lëtzebuerger Danzpräis en 2017, sera durant trois ans «artiste associée» et présentera la prochaine saison une reprise de «Bal». D’autres pièces seront retravaillées ou présentées dans de nouvelles configurations. «Voir la feuille à l’envers», de Renelde Pierlot, sold out lors de sa création au Théâtre des Capucins, va s’installer à Esch. «Monocle» de Stéphane Ghislain Roussel avec Luc Schiltz sera présenté avec une autre pièce liée aux années 1920, «L’Histoire du Soldat» de Stravinsky interprété par la Kammerata Luxembourg.

Le coup d’envoi de la prochaine saison sera donné les 5 et 6 octobre 2019 avec «La Finale», un spectacle de danse «joyeux, libre et métissé qui donne le ton de la nouvelle saison du Escher Theater», peut-on lire sur le site. Cette ambition programmatique parviendra-t-elle à sortir du cadre du Théâtre pour s’étendre à toute la cité? C’est tout l’enjeu de ce qui se déroule actuellement du côté de la place du Brill.


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