Condamné pour violation de la loi sur le blanchiment en première instance, un avocat a bénéficié de l’indulgence des juges de la Cour d’appel. Les magistrats ont toutefois rappelé les obligations de vigilance et de contrôle de l’origine des fonds transitant sur les comptes de tiers des avocats.

L’avocat d’une petite étude voulait éviter l’inscription à son casier judiciaire d’une condamnation pour violation de la loi anti-blanchiment. Une question d’honneur mais aussi de survie professionnelle, a-t-il fait valoir face aux juges dans son procès en appel qui s’est tenu fin mars.

En janvier 2020, l’homme a été condamné à une amende correctionnelle de 3.000 euros pour avoir contrevenu aux dispositions de la loi modifiée du 12 novembre 2004 relative à la lutte contre le blanchiment et contre le financement du terrorisme.

Partie civile à son procès devant la 18e chambre correctionnelle, le Barreau avait obtenu un euro symbolique de dommages et intérêts en réparation du préjudice moral. Le Barreau avait en effet considéré que les agissements de l’avocat avaient porté atteinte à l’image de la profession toute entière.

L’avocat avait été pris en défaut de respect de ses obligations de vigilance à la suite d’une affaire de rabattement de faillite en 2012. En défaut de paiement de TVA, la société, cliente de l’avocat, fut assignée en faillite par l’Administration de l’enregistrement et des domaines.

Procédures d’évaluation défaillantes

Le jugement de faillite fut contesté et la dette fiscale de 11.500 euros fut acquittée. Son paiement transita par le compte tiers de l’avocat, qui était aussi domiciliataire de la société. Toutefois, les fonds provenaient non pas de la poche du client, mais du compte d’une autre société dont il n’était qu’un des administrateurs. La transaction était donc entachée d’irrégularité et valut d’ailleurs en 2017 au dirigeant fautif une condamnation pour abus de biens sociaux.

En relayant l’argent sans s’interroger sur la légalité de l’opération, ni l’origine des fonds passés par son compte tiers, l’avocat fut à son tour au cœur d’une enquête judiciaire ouverte par le Parquet pour infractions à la loi anti-blanchiment. La perquisition à son étude en novembre 2018 montra ses défaillances dans les procédures d’évaluation des risques de blanchiment. Il fut renvoyé devant un tribunal correctionnel en décembre 2019 pour violation de ses obligations professionnelles. Il avait été sanctionné quelques mois plus tôt par le conseil de l’ordre des avocats à une réprimande, sanction disciplinaire la moins lourde qu’un avocat est susceptible d’encourir.

La loi est suffisamment claire et précise pour tout justiciable qui est soumis à la loi du 12 novembre 2004. »Cour d’Appel, 11 mai 2021

Un appel fut interjeté contre la condamnation de première instance. Son avocate réclama l’acquittement, arguant que l’acte posé par le prévenu s’inscrivait dans le cadre de la défense de son client dans un procès judiciaire. Ce qui exonérait l’avocat du champ d’application de la loi anti-blanchiment et de l’obligation de dénonciation. Un avocat ne pouvant pas incriminer son propre client. Or, dans l’affaire l’ayant fait comparaitre devant les juges correctionnels, l’avocat est intervenu comme intermédiaire. La défense contesta également que les mesures de vigilances puissent s’appliquer à des transactions financières inférieures à 15.000 euros transitant sur le compte tiers d’un avocat. En principe, sous le seuil des 15.000 euros, les procédures anti-blanchiment sont inopérantes.

Aucune marge d’indétermination

Le représentant du Parquet balaya les arguments de la défense d’un trait: «L’opération mise en cause, à savoir la réception d’argent par virement bancaire d’un tiers pour le compte de son client et la continuation de cet argent à une autre personne constitue bien une transaction financière visée (…) par la loi du 12 novembre 2004, de sorte que l’opération reprochée au prévenu  tombe dans le champ d’application de la loi», a-t-il soutenu. Même si le seuil des 15.000 euros n’est pas atteint.

L’argumentation a été reprise par les magistrats de la Cour d’Appel pour lesquels les virements litigieux de 11.500 euros passés par le compte tiers de l’avocat sont à qualifier de transaction financière tombant dans le champ d’application du dispositif anti-blanchiment. Les juges ont encore soutenu que «la loi énonce d’une façon précise et exhaustive des différentes matières dans lesquelles les professionnels doivent mettre en place des mesures et procédures». L’avocat prévenu ne pouvait donc pas se cacher derrière le caractère prétendument vague de la législation et de l’étendue de ses obligations professionnelles. «Les termes de la loi ne comportent dans leur formulation aucune marge d’indétermination», notent les magistrats de la juridiction d’appel dans leur arrêt du 11 mai dernier. «La loi est suffisamment claire et précise pour tout justiciable qui est soumis à la loi du 12 novembre 2004», ajoutent-ils.

Pour autant, et compte tenu de l’ancienneté des faits, la Cour a décidé de ne pas hypothéquer l’avenir professionnel de l’avocat. Il a bénéficié d’une suspension du prononcé pendant une durée de trois ans. Son casier judiciaire restera donc immaculé, à moins d’une récidive.

Le représentant du Parquet ne s’était pas opposé à cette clémence. Le barreau était également favorable à l’option de la suspension du prononcé.

En première instance, le substitut du procureur d’Etat s’était montré ferme et avait requis une condamnation exemplaire de l’avocat à 15.000 euros d’amende.


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